“Abdeljelil n’est plus l’homme de la situation”

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Depuis Zouara, ville berbère située à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Tripoli, M. Fethi Benkhelifa, ex-membre du Conseil national de transition (CNT) libyen, élu au début octobre à la tête du Congrès Mondial Amazigh (CMA), livre, en exclusivité à la Dépêche de Kabylie sa lecture de la situation qui prévaut en Libye, notamment les déclarations du chef du CNT après la mort de Kadhafi.

La Dépêche de Kabylie : Le président du Conseil national de transition (CNT) de la Libye, Mustapha Abdeljalil, a affirmé dimanche à Benghazi, que la principale source d’inspiration de la législation de son pays sera la Charia (la loi islamique), quelle lecture faites-vous de cette annonce ?

Mr Fethi Benkhelifa : Nous sommes indignés par de tels propos. Je pense sincèrement que le rôle de Mustapha Abdeljelil à la tête du CNT est terminé. On ne remet pas en cause sa loyauté vis-à-vis du combat pour la libération du peuple libyen de la dictature ainsi que son honnêteté mais je dois dire que pour la nouvelle étape qu’amorce notre pays, il n’est pas l’homme de la situation. La Libye ne peux pas se permettre d’avoir à sa tête un homme politique qui fait des déclarations légères et dangereuses pour l’issue du processus engagé. Il nous parle de Charia et d’un système financier basé sur la pratique islamique. Il n’est pas habilité à parler de ces questions économiques, car ce n’est pas un expert qui comprend les arcanes du système monétaire mondial. Je note, par contre, que ces déclarations, faites lors du discours de proclamation de la libération définitive de notre pays, sont une pure création de leurs auteurs, à mettre sur le dos de l’« Idjtihad », rien de plus. Ce sont des déclarations que nous rejetons et que tout le peuple libyen condamne vigoureusement, car il ne peut pas accepter que sa révolution qui a fait tant de martyrs soit détournée au profit d’orientations idéologiques sans l’aval du peule qui détient, à lui seul, la souveraineté. Nous ignorons, néanmoins, la position des autres membres du CNT qui n’ont pas pris publiquement la parole depuis la mort du tyran Kadhafi, un silence que nous regrettons. Nous annonçons, aujourd’hui, notre refus et notre rejet de l’annonce faite par Abdeljelil, après qu’on se soit interdit de rendre publique une quelconque position qui pouvait nuire à la révolution. Maintenant que Kadhafi est mort, toutes les questions doivent être débattues en toute liberté.

Justement, vous avez qualifié les déclarations du chef du CNT de « brutales » et « illégitimes » qui « portent les germes de la division », pensez-vous que le processus de démocratisation de la Libye est remis en cause ?

Effectivement, si la situation continue à évoluer sur ce rythme, la réponse à votre question sera oui, il y a péril en la demeure. J’ai vu que Abdeljali s’est rétracté hier (Lundi, Ndlr), cela prouve qu’il était dans une logique de sondage. Nous disons, aujourd’hui, que la nouvelle étape qu’amorce la Libye ne peut pas se permettre des expérimentations ou des discours de sondage. Nous avons besoin de personnalités politiques responsables qui peuvent être à la hauteur des enjeux qui se présentent. Le chef du CNT a prouvé par ses déclarations qu’il est un homme irresponsable. Nous voulons des responsables qui viendraient avec un projet de société clair, une vision globale et une approche de gestion collégiale qui réponde au soucis de servir un peuple qui a souffert de la dictature durant de très longues années et non pas des gens qui se rétractent au moindre couac. C’est d’ailleurs là l’une des tares des régimes de Ben Ali et du tyran Kadhafi, qui ont fait de leurs pays un champ d’expérimentations. Abdeljalil n’est pas le Superman qui peut régler cette crise tout seul, d’autant plus que la nation libyenne n’acceptera pas de vivre sous le diktat, elle qui s’est sacrifiée dans une glorieuse révolution. Le peuple peut relever le défi, car il n’a peur de rien. Il faut, pour ce faire, une décision politique et une solution qui passera par une autorité politique qui tire sa légitimité du peuple. Je dois dire que ces derniers mois, nous avons observé avec stupéfaction, des personnalités tel que Mahmoud Jibril, qui sillonnent des capitales étrangères, qui participent à des réunions des ministres des affaires étrangères arabes et qui prennent part à des forums économiques. Au nom de qui ? Et d’où tirent-ils cette légitimité. Je réitère mon refus des « Superman ». Ces gens qui prétendent jouir de responsabilités doivent comprendre que le peuple refuse cette logique du fait accompli et ne veut guère sombrer dans les erreurs du passé.

Comment voyez-vous le rôle du CNT dans la transition qui s’annonce après la mort de Mouammar Kadhafi ?

Je suis un Amazigh libyen, qui a participé activement à la révolution qui a eu raison de l’une des pires dictatures de l’histoire de l’humanité. Personnellement, je refuse de travailler avec une autorité qui ne reconnaît pas l’existence de l’identité amazighe. Le CNT est illégitime car sa création répondait à une urgence, celle d’encadrer la révolution. C’est une sorte de cellule de crise créée par les militants et qui n’à aucune raison d’être après la chute de la dictature. J’ai été membre du CNT, au sein duquel j’ai activé notamment dans de multiples missions à l’étranger pour sensibiliser l’opinion internationale de la justesse de notre action, car l’objectif de tout libyen était de faire triompher la révolution. Maintenant, il faut aller vers des institutions légitimes qui émaneront du peuple à travers des élections crédibles, option qui constitue le seul gage pour une véritable démocratisation du pays.

Qu’en est-il de la reconnaissance de la langue berbère ? Il semble que le CNT est plutôt réticent sur la question …

Nous savons, dores et déjà les intentions des uns et des autres. La première mouture de la constitution annoncée par le CNT, qui est elle-même illégitime, dénie aux Amazighs le droit d’exister comme une identité à part entière. Je dois rappeler que nous n’avons pas évoqué précédemment la question, car nous étions en état de guerre, mais maintenant, tout sera remis sur table. Nous n’allons ni reconnaître ni travailler avec celui qui ne reconnaît pas notre identité amazighe. Nous sommes tous égaux devant les lois et on ne peut se permettre de vivre un autre siècle de déni, comme l’ont vécu les Amazighs d’Algérie et du Maroc, entre autres. Nous sommes prêts à faire appel à tous les moyens de pression pour faire valoir cette revendication.

Entretien réalisé par Omar Zeghni.

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