L'École algérienne à la recherche d'un nouveau souffle

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Par Amar Naït Messaoud

Aujourd’hui, c’est la première rentrée scolaire, depuis quatorze ans, qui se déroulera sans le « patronage » de Boubekeur Benbouzid. Des centaines de milliers d’élèves n’ont connu de ministre de l’Éducation que celui-là. On ne sait à quel objectif pouvait répondre une telle longévité dans un secteur aussi sensible dans la vie de la nation, sachant qu’avant de prendre ce poste, Benbouzid avait déjà officié dans l’Enseignement supérieur et dans la Jeunesse et les sports. Ce sujet, tenant de l’impénétrable logique régissant un domaine strictement politique, à savoir la désignation des membres de l’Exécutif selon des longévités différentes, cédera assûrément, sous peu, la place à des thèmes autrement plus cruciaux qui engagent directement l’avenir de l’école algérienne. Ce sont plus de huit millions d’élèves qui rejoindront, aujourd’hui, leurs classes. Dans certains pays, ce chiffre correspond à la population totale du territoire. En d’autres termes, l’avenir de l’Algérie, proche et lointain, dépendra essentiellement de la manière dont est assurée, aujourd’hui, la prise en charge de la formation de cette population scolaire, qui évoluera en population universitaire. Quatre années avant son départ du gouvernement, Benbouzid lança cette tirade, lors d’une cérémonie célébrant la rentrée scolaire:  »Une éducation réussie constitue assûrément une vie personnelle et sociale réussie ». Cette belle  »maxime » et, le moins que l’on puisse dire, en porte-à-faux avec la réalité du terrain qui rend difficile de croire à une réussite personnelle et sociale que garantirait l’école algérienne dans la situation qui est aujourd’hui la sienne. C’était certainement une réalité dans le contexte des premières années qui ont suivi l’Indépendance du pays, malgré le fort taux d’analphabétisme hérité de la colonisation. Pour relever le défi du départ des cadres français d’Algérie, d’immenses efforts ont été déployés par l’administration et le personnel algérien pour réaliser le vœu d’une école performante et accessible à tous les Algériens. Les cadres qui en sont issus forment, aujourd’hui, la crème des laboratoires, de l’administration et des entreprises d’Algérie, comme ils font valoir leurs compétences dans les boites et instituts étrangers. En matière de réussite personnelle et sociale, l’on peut dire que le pari est gagné pour cette génération, même si le sentiment d’indignation de voir le niveau scolaire actuel rétrograder à une vitesse vertigineuse et la frustration, pour les cadres expatriés, de ne pas pouvoir exercer dans leur propre pays, relativisent bien ce beau parcours. L’histoire récente du secteur de l’Éducation est grevée de mille interrogations, qui donnent une image peu sereine d’une institution qui emploie le plus fort taux de fonctionnaires de l’État et qui  »abrite » dans ses classes près de neuf millions d’enfants. Cette lourde charge s’est inévitablement traduite par des dysfonctionnements et vicissitudes qui ont incontestablement déteint sur la marche générale de l’école et sur la qualité de l’enseignement. C’est ce qui fait que, au cours des dix dernières années, par exemple, on a peu entendu parler d’innovation pédagogique ou de prouesse méthodologique dans les pratiques didactiques, alors que des sujets, comme ceux liés aux protestations de rue des enseignants, aux grèves et autres malentendus entre administration et personnel enseignant, ont  »fait florès » et débordé sur l’ensemble du corps social au point de prendre en otage les élèves et leur avenir.

Aisance financière et chute vertigineuse du niveau scolaire

Et pourtant, on est bien loin de la situation de quelques pays d’Afrique, où les parents d’élèves ont été parfois contraints de puiser dans leurs poches pour payer les enseignants après que le budget de l’État se fût épuisé. C’est précisément en pleine aisance financière, qui a permis la réhabilitation et l’extension des infrastructures scolaires ainsi que l’acquisition d’équipements modernes, que les problèmes des salaires et des statuts particuliers ont connu leurs moments les plus tendus, faisant, par là même, reléguer au second plan les questions de formation et de pédagogie qui constituent, pourtant, le joyau de la mission de l’Éduction nationale. Cette mission a été rappelée par le nouveau texte relatif à l’Orientation scolaire (loi n°08/04 du 23 janvier 2008 qui abroge l’ordonnance du 16 avril 1976 relative à l’École fondamentale). D’après Abdelmadjid Hadous, cadre central au ministère de l’Éducation, les nouveautés induites par la nouvelle loi « ont trait à l’encadrement juridique, notamment en termes de finalités et de missions de l’École. Elles concernent, aussi, l’organisation des cycles d’enseignement et les dimensions éducatives que doivent contenir les programmes scolaires tout au long du cursus de l’élève. Ces nouveaux textes maintiennent et consolident les acquis antérieurs, notamment les principes d’égalité et du droit à l’éducation et à la gratuité de l’éducation de base ». Dans le sillage de la nouvelle loi d’Orientation scolaire, l’ancienne commission des programmes, datant de 1999, est remplacée par un Conseil national des programmes, destiné à  »assurer la crédibilité scientifique des contenus de l’enseignement et de veiller à la cohérence des programmes ». Malgré cette floraison de textes réglementaires et de lois, le malaise continue et évolue dans le sens de son aggravation. La remise en cause de la qualité de l’enseignement et de ses objectifs n’a jamais, sans doute, fait l’unanimité qui est aujourd’hui la sienne, non seulement auprès des parents d’élèves, épris de cette « éducation réussie » dont parlait Benbouzid, mais aussi auprès des experts en pédagogie et en psychopédagogie, des économistes et des planificateurs. L’inadéquation entre les besoins de la nouvelle économie algérienne et la formation, en général, est établie depuis au moins le début de la dernière décennie. Les formations (universitaire et professionnelle) sont le prolongement obligé de l’enseignement général. La baisse du niveau scolaire n’est pas tout à fait étrangère au chômage affectant une grande partie de la jeunesse. Si l’enseignement général (comprenant les paliers du primaire, du moyen et du secondaire) n’arrive pas à se mettre au diapason des nouveaux enjeux, impliquant modernisation de l’appareil économique, formation aux idéaux de la citoyenneté et l’émancipation politique, c’est toute la politique de l’Éducation nationale qu’il y a lieu de revoir dans ses fondements même.

A. N. M

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