Quel destin pour le livre et la lecture ?

Partager

Outre les préoccupations inhérentes au monde du livre dans l’acception large du terme (industrie de l’édition, diffusion, traduction et problématique de la faiblesse du lectorat), le 17e Salon international du livre (SILA), qui se tient depuis jeudi dernier à la Safex d’Alger, est censé nous donner une image de la nouvelle littérature algérienne, celle qui est destinée à prendre le relais des précurseurs (Mammeri, Dib, Feraoun, K.Yacine, les Amrouche,…).

Il est vrai que ces derniers, par la qualité de leurs œuvres et par les circonstances particulières de la naissance de leurs textes, exercent un poids écrasant sur la perception que nous avons de la littérature algérienne en général. Un mot suffit sans doute pour résumer cette influence historique: ce sont des classiques de la littérature algérienne.

Une des fondatrices de la littérature algérienne moderne, Assia Djebar, a même fini par siéger à l’Académie française; un honneur et une distinction dont ne sont porteurs que de rares africains et un nombre insignifiant de femmes. La puissance et la prégnance des œuvres de ces pères fondateurs ne cessent d’exercer leur influence non seulement sur le goût des lecteurs, mais également sur les nouveaux auteurs. Parmi ces derniers, plus d’un a essayé- avec un succès qui n’est pas du tout assuré- de mouler son verbe dans celui des classiques algériens. Le Salon international du livre d’Alger tient à célébrer, cette année, avec un faste particulier, deux noms de cette période: en français, c’est Mouloud Feraoun; en arabe, il s’agit de Redha Houhou. Visiblement, le travail de la critique littéraire n’a pas encore atteint sa pleine maturation pour consacrer définitivement des noms et des œuvres apparus après l’Indépendance, bien que des noms comme Djaout, Mimouni, Boudjedra, Ouassini Laâredj,… etc. s’imposent d’eux mêmes. Cependant, en dehors d’un travail de fond, qui inclurait également des pédagogues capables de choisir les textes à insérer dans les livres de lecture, des noms comme Rabah Belamri, Malek Ouary, Chabane Ouhioune, Nabil Farès, Messaour Boulanouar, Aziz Chouaki…risquent de ne pas parvenir à la jeunesse d’aujourd’hui et de finir dans un stupide anonymat. S’agissant du paysage littéraire actuel, le travail de critique littéraire doit être engagé immédiatement pour intégrer les nouveaux noms de la littérature algérienne: Salim Bachi, Yasmina Khadra, Habib Ayyoub, Hamid Grine et d’autres écrivains dont commence à peine à scintiller dans la constellation des lettres. En ce début du vingt-et-unième siècle, le paysage littéraire algérien est, en incontestablement riche de la diversité de ses horizons, de l’éventail de ses styles, de la pluralité de ses thématiques et de la gamme de ses langues d’expression. Les études et les critiques littéraires nous apprendront dans quelques années si vraiment la relève de la génération de la guerre de libération nationale est définitivement assurée. Cela ne pourra se faire que par des moyens académiques (université revues littéraires spécialisées, séminaires, …), seuls à même de juger l’impact et l’importance des œuvres, jauger les décantations qui se feront dans un domaine où les auteurs faussaires disputent la vedette aux écrivains authentiques, et dégager les grandes tendances des écrits algériens qui s’expriment en arabe, en français et en berbère. Malgré les retards de l’Université ou d’autres institutions spécialisées, à prendre pleinement en charge la critique littéraire pour les œuvres récemment publiées, les romans, nouvelles, poésies, pièces de théâtre écrits en arabe ou en français bénéficient quand même d’un début de travail, ne serait-ce que par des fiches de lectures assez régulières publiées dans la presse ou par des émissions radio et télé qui en vulgarisent le contenu. Il n’en est pas tout à fait de même pour les œuvres écrites en tamazight. Le rythme de production de livres est jugé parfois foisonnant; mais, les potentiels lecteurs sont tenus en marge des éclairages ou d’éventuelles critiques littéraires qui puissent classer les textes selon leur valeur esthétique. La phase de l’acte  »populiste » ou  »militant » consistant à se suffire d’écrire en langue amazigh pour être lu, suivi et loué est aujourd’hui révolue; d’autant plus que des œuvres littéraires de valeur, qui n’ont rien à envier aux productions en langue française et arabe, sont éditées parfois dans grand  »tapage », voire dans un quasi anonymat. Ici, les départements de tamazight des universités de Tizi Ouzou, Bouira et Béjaïa, ainsi que le Haut commissariat à l’amazighité sont interpellés pour se pencher sur une production qui commence à prendre de l’ampleur sur le plan quantitatif et qui demande à être confirmée sur le plan qualitatif. Mieux, elle a besoin d’un travail de psychopédagogie afin d’en extraire des textes de lecture pour les élèves qui reçoivent les cours de tamazight. En effet, il serait contradictoire de se plaindre de la régression de l’enseignement de tamazight et de ne rien faire, au moins sur le plan de la pédagogie et de l’ambiance culturelle, qui puisse changer les choses dans le sens de l’amélioration.

 »Célèbres anonymes »

Pourtant, ceux qui écrivent en tamazight le font dans un climat qui n’est pas toujours favorable. Si une partie de ceux qui écrivent arrivent à faire passer leur message par le biais de l’édition, une frange importante de poètes, prosateurs, conteurs et chercheurs en patrimoine culturel plonge dans l’anonymat le plus durable. L’édition étant d’abord un acte commercial, le  »célèbre anonyme » d’un village de la montagne ne dispose pas d’armes nécessaires pour affronter l’édition. A compte d’auteur, voilà la nouvelle logique marchande. Beaucoup de candidats hésitent ou refusent à franchir le pas. C’est un peux le cercle vicieux : pour se faire éditer, il faut être un auteur établi, sinon célèbre. Pour accéder à ce statut, il faut se faire d’abord éditer ! C’est pourquoi, des dizaines de jeunes auteurs, principalement en Kabylie, font leur deuil d’une possible publication de leurs écrits mais continuent à taquiner le papier, à coucher des strophes, à produire des pièces de théâtre et à consigner des renseignements historiques et ethnologiques précieux. Sans grands moyens, ils tiennent des cahiers d’écolier ou des feuillets volants sur lesquels ils transcrivent les inspirations de la journée, les halètements de leur cœur, les ennuis d’un quotidien morose ou les espoirs de la vie en rose.

En kabyle ou en français, parfois dans les deux langues, des écrivains anonymes existent. Ils ne se confient qu’à des connaissances qui peuvent comprendre leur situation de poètes ou prosateurs damnés.

Quelques privilégiés parmi eux ont accédé furtivement à l’antenne de la radio chaîne II. D’autres ont pu glisser certains de leurs textes à des chanteurs qui se les sont parfois appropriés d’une manière indécente. A chacun son destin dans un domaine où les mérites et les compétences mettent beaucoup de temps pour s’imposer. Donc, au-delà de son côté festif et commercial, et en plus de ces lancinantes questions d’édition, le Salon d’Alger est supposé nous amener à nous poser les vraies questions sur la lecture, la littérature et l’enseignement des langues.

Amar Naït Messaoud

Partager