«Réorganiser nos structures en pôles spécialisés»

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Mme Leila-Ilhem Ghalem, la nouvelle DSP de Bouira récemment installée, vient de mettre en place de nouveaux dispositifs pour appliquer le programme du ministère de la Santé. Dans cet entretien exclusif, elle développe les grands axes de son programme.

La Dépêche de Kabylie : Quel est votre constat sur le secteur de la santé à Bouira ?

Mme Ghalem : La wilaya de Bouira dispense essentiellement des soins secondaires et primaires, en l’absence d’un centre hospitalo-universitaire. Il n’y a pas de soins tertiaires et il n’existe aucune formation ou recherche scientifique, car sans CHU nous n’avons pas de résidents. Les soins secondaires et primaires sont dispensés par plusieurs catégories d’établissements, notamment des salles de soins, des polycliniques et des EPH. La capacité de la wilaya est de 1 100 lits techniques, un chiffre digne d’une wilaya universitaire. Il y a aussi en parallèle le secteur privé, avec 4 établissements hospitaliers privés et 4 centres d’hémodialyse. Au niveau de chaque établissement public, il y a plusieurs services. Le programme du ministère de la Santé est de répondre aux besoins de la population, mais d’y répondre par réseau. C’est à dire qu’on ne va pas mettre dans une seule structure toutes les spécialités, car c’est contre-indiqué. Il faut pouvoir s’organiser en pôle et en réseau, pour permettre avant tout de rationnaliser les moyens humains et matériels à travers la wilaya. En concentrant les moyens matériels et humains de la wilaya dans un endroit, nous sensibilisons le citoyen. Par exemple, je souhaite que le pôle de traumatologie soit implanté à Lakhdaria. Une ville où il n’y a pas que des jeunes spécialistes qui effectuent leur service civil, mais aussi des médecins qui ont achevé le service civil et qui ont choisi de rester dans la santé publique. Ils sont actuellement au nombre de dix. De ce fait, inutile de dispatcher du matériel de traumatologie à travers toute la wilaya en le répartissant entre Ain Bessem, Bouira et Sour El Ghozlane, alors que je peux créer un pôle important à Lakhdaria, là où se trouve le maximum de ressources humaines, en les renforçant avec un apport en matériel. Ainsi, d’ores et déjà les citoyens de Bouira ou ceux des wilayas limitrophes sauront que Lakhdaria est synonyme de pôle de traumatologie. Nous essayons également actuellement de créer un autre pôle au niveau de M’Chedallah, pour faire de la néonatologie. A Aïn Bessem, nous essayerons de développer l’ophtalmologie, car il y a beaucoup d’ophtalmologues sur place. Quant à l’EPH de Bouira, parce que c’est le chef-lieu, il va falloir le développer beaucoup, car c’est le mieux classé, ce qui sous-entend que c’est le plus budgétisé et draine le plus de ressources humaines. Cette démarche de s’organier en réseau est celle du ministère de la Santé, et elle est particulièrement applicable à Bouira, car il n’y a pas de résidents ni de centre hospitalo-universitaire. Dans les wilayas où il y a des CHU, l’essentiel des urgences sont gérées au CHU car il y a toujours des résident, cela fait partie de leur formation, et il y a le spécialiste, le maitre-assistant. Mais à Bouira, nous n’avons pas cet avantage et c’est pour cela que la wilaya, plus que les autres wilayas, doit s’organiser en réseau.

La wilaya de Bouira souffre toujours autant du manque de gynécologues dans la plupart des établissements. Comment comptez-vous y remédier ?

Je vous annonce qu’une nouveauté est inscrite au programme du ministère de la santé pour l’année 2018. Il s‘agit de la prise en charge de la femme enceinte qui a bénéficié d’un programme spécial. Un groupe d’experts a travaillé l’été dernier, pour mettre en place un guide de prise en charge de la femme enceinte. Ce guide a hiérarchisé cette prise en charge en 4 paliers. Vous savez que le plus grand souci des femmes enceintes est de savoir où elles accoucheront. Le premier palier consiste donc à faire passer, au moins, une consultation pendant la grossesse aux femmes enceintes au niveau des PMI. Ainsi, au premier trimestre, nous pourrons signifier à la femme le lieu où se déroulera son accouchement. Cette orientation se fera selon son dossier médical. S’il ne s’agit pas d’une grossesse à haut risque et si elle est originaire de Bordj Okhris par exemple, elle sera orientée vers la maternité rurale de Bordj Okhris en s’assurant qu’il n’y a aucun risque pour elle et son bébé. Pour le deuxième palier, supposons que la même parturiente qui doit accoucher à Bordj Okhriss, au cours du deuxième trimestre de grossesse, il s’avère qu’il y a un risque de complication. Nous allons élever le niveau de prise en charge en l’orientant vers le troisième palier, là où il existe un bloc opératoire. Le travail de gynécologie peut basculer d’un moment à l’autre et donc nous orienterons la future mère vers un support hospitalier disposant d’un bloc opératoire et de toutes les commodités s’y afférant. Pour le quatrième palier, ce sera pour les grossesses à haut risque qui seront détectées dès le début de la grossesse, avec des individus présentant diabète, hypertension ou autres pathologies. Pour ces cas, ils seront pris en charge au niveau des établissements hospitaliers spécialisés. Pour le moment, il est vrai que les femmes ne savent pas où elles devront accoucher, mais au niveau des hôpitaux on ignore également combien de femmes doivent accoucher dans nos structures. Une fois que nous aurons identifié tout cela, l’organisation sera facilitée. Les parturientes de la wilaya pourront être prises en charge de manière correcte et dans des conditions sanitaires répondant aux normes. Nous allons faire tout notre possible pour que les autres wilayas ne nous devancent pas dans l’application de ce guide. Nous ferons en sorte d’être les premiers à l’appliquer pour le bien être des femmes enceintes.

Il n’y a pas que la gynécologie cependant…

Le but du ministère de la Santé, à travers toutes les DSP des wilayas, est d’arriver à faciliter l’accès des soins aux citoyens à travers plusieurs programmes. Il y a la prise en charge des femmes enceintes, il y a aussi ce qu’on appelle l’extériorisation de la consultation spécialisée. J’ai vu que cela existe déjà à Bouira. Il y a beaucoup d’acquis, mais on n’a pas su, jusque-là les mettre en valeur. Il va falloir les consolider et les améliorer. Par exemple, pour l’extériorisation, nous avons adopté le thème de la santé de proximité. Il existe des polycliniques implantées un peu partout, qui disposent de médecins généralistes qui assurent les consultations. Les citoyens de Chorfa, Takerboust ou Bordj Okhris, pour ne citer que ces localités rurales, rien que pour avoir accès à une consultation spécialisée en pédiatrie, pneumo-phtisiologie ou autre, il faut qu’ils se rendent à l’hôpital car c’est l’endroit où se trouvent les spécialistes. Cependant, une fois à l’hôpital, ces patients vont constituer un flux, et pour nous le but c’est de désengorger l’enceinte hospitalière. En dehors des malades hospitalisés et des visiteurs, il nous faut maîtriser le va et vient incessant des patients venus pour des consultations. Donc, le ministère de la Santé oblige les spécialistes à se rendre dans les polycliniques pour des consultations. Pour Bouira, sur les 45 communes, on touche actuellement 20 communes avec ce genre de consultations spécialisées dans les polycliniques, mais nous allons consolider tout cela en renforçant ces acquis. Nous avons également un autre programme pour les soins et hospitalisations à domicile. Nous avons des équipes que nous mettrons sur place pour les personnes en fin de vie et qui n’ont pas besoin d’être hospitalisées. Ils ont juste besoin d’oxygène ou changement de pansements où un traitement en ambulatoire. Il y a un autre programme du ministère de la Santé qui est le jumelage, consistant à ramener des spécialistes qui ne sont pas présents au niveau de la wilaya et qui viennent pratiquer des actes au niveau de la wilaya. A Bouira par exemple, on peut, pour certaines spécialités, penser à jumeler l’EHS psychiatrique de Sour El Ghozlane avec celui de Tizi-Ouzou. L’EHS de Sour El Ghozlane n’a pas démarré convenablement avec les objectifs ni les attentes que l’on s’était fixés. On peut d’ores et déjà pour y parvenir, le faire fonctionner avec un jumelage avec Tizi-Ouzou. Pour la prise en charge des AVC, nous pensons à un jumelage avec Blida. Il nous faut absolument développer les réflexes de prises en charge immédiate pour que des vies soient sauvées. C’est vrai que pour Bouira, qui dispose de spécialistes mais pas à 100%, nous ferons appel à l’aide des centres hospitaliers universitaires limitrophes. Pour ma part, je privilégie le fait de ne pas briser le lien entre élèves et maitres. Vous savez que la plupart des médecins de Bouira ont obtenu leurs diplômes dans les wilayas limitrophes. Ce sont des spécialistes qui ont fait médecine à Tizi-Ouzou ou à Alger et ils ont leurs enseignants dans ces deux CHU. Ce lien, il ne faut jamais le briser, il faut au contraire l’entretenir car il va permettre de consolider la prise en charge du patient. Un neurologue de Bouira par exemple, s’il reçoit des cas qui le dépassent pourra aisément les envoyer là où il a fait médecine auprès de son professeur de Tizi-Ouzou ou d’Alger. Ainsi, avec une évacuation, le malade est pris en charge correctement. Un lien qui ne sert pas uniquement aux évacuations, mais qui demeure vital même lors des journées pédagogiques auxquelles nos médecins de Bouira pourront assister. Les sciences médicales évoluent chaque jour. Lorsqu’on me pose la question pourquoi évacuer de Bouira vers Tizi-Ouzou ou vers Alger, je réponds que c’est normal car nos médecins ont leurs enseignants dans ces CHU, je ne vais pas évacuer vers Boumerdès où nous avons le même palier de soins. Ce sont des échanges bénéfiques, qu’ils rentrent dans le cadre du jumelage ou pas.

Entretien réalisé par Hafidh Bessaoudi

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