La Kabylie ancienne (4ème partie et fin)

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Les Romains ont développé, sur les sites des anciens comptoirs phéniciens, mais aussi, sans doute à l’emplacement d’agglomérations autochtones, des cités importantes de l’Algérie antique. La présence romaine, en Kabylie, n’a pas été de tout repos, puisqu’elle a été secouée par de nombreuses insurrections, dont celle de Firmus.

Située à l’intérieur des terres, à une trentaine de km de Tizi Ouzou, Djamaâ Saharidj est une autre cité romaine, connue sous le nom de Bida Municipum. L’agglomération devait être antérieure aux Romains, ainsi que le montre une monnaie de Massinissa découverte dans le village, en 1967.

On ignore à quelle époque Bida a été fondée. Certains auteurs, en se basant sur une stèle découverte dans les ruines et des monnaies de Trajan, parlent du 2e siècle de l’ère chrétienne, mais le fait de ne pas être citée ne signifie pas que la ville n’existait pas : de toute façon, la présence romaine sur les côtes de Kabylie est bien antérieure au 2e siècle.

Si le site de Djamaa Saharidj a intéressé les Romains, c’est avant tout pour sa position stratégique. En effet, situé sur le flanc du Djurdjura, il est bien protégé. De plus, la présence de nombreuses sources a été déterminante pour l’installation d’une population civile et la pratique de l’agriculture.

Les sources qui entourent Bida en font tantôt une colonie, tantôt un municipe, un statut qui permettait à la ville de vivre selon ses propres lois mais qui la faisait participer de la citoyenneté romaine. On soupçonne aussi Bida d’être un catellum, c’est-à-dire une ville fortifiée, chargée de la défense d’une ville plus importante, sans doute Rusuccuru (Dellys).

Quand éclatent les grandes insurrections berbères du 3e et du 4e siècles, Bida est l’une des pièces maîtresse du système de défense romain. Ses murailles sont renforcées et on les flanque d’un système d’observation dont il reste quelques ruines. Les Vandales la ruinent, et on sait, par une note que son évêque (catholique) a été exilé : or si Bida était un évêché cela prouve que c’était une ville importante.

Revenons aux côtes ; avec le port et la ville de Ruzurus, à quelques kilomètres du village actuel d’Azeffoun.Les ruines ne sont pas aussi nombreuses qu’à Tigzirt ou à Dellys, mais on sait que Ruzurus, i a connu son apogée sous le règne d’Auguste. Il subsiste, de la ville antique, quelques vestiges de murailles, de thermes et de conduites d’eau.

Pour finir cette revue des villes antiques de la Kabylie, citons une ville plus à l’est, Tiklat, au pied du mont Fenaïa, sur la rive gauche de l’oued Sahel (Soummam). Tiklat a eu dans l’antiquité son heure de gloire sous le nom de Tubusuptus et de Tubuscum Oppidum.

Tubusuptus est citée à propos de la guerre de Tacfarinas, le prince berbère qui, en 25 de l’ère chrétienne, a brandi l’étendard de la révolte contre l’occupant romain et entraîné à sa suite les populations maures et numides. Tacfarinas est parvenu à occuper la région de la Nasava (Soummam) et à mettre le siège devant Tubusuptus. Mais le proconsul Dollabela, qui le combattait, a reçu de gros renforts et il est parvenu à le forcer à lever le camp.

Trois siècles après, c’est au tour de Firmus, un autre prince berbère à assiéger Tubusuptus et, cette fois-ci, à l’enlever. Firmus est l’auteur d’une des plus grandes insurrection de la Kabylie antique, c’est pourquoi il importe de retracer l’histoire de ce prince méconnu.

Firmus appartenait à la tribu des Jubaleni qui résidait dans la montagne des Bibans, en Kabylie orientale. Firmus qui portait un nom romain –on pense qu’il était chrétien ainsi que sa famille- appartenait à une famille puissante dont le père, Nubel, occupait une citadelle, à Souma, dans la région de Thénia, la Tizi Nat ‘Aysha des Kabyles.

Firmus, l’aîné des fils de Nubel, résidait au château de Souma., ses frères, Sammac et Mazuca, qui avaient des noms berbères, possédaient des domaines fortifiés, l’un non loin de de Tiklalt, l’autre dans la vallée du Chélif.

En 372, Firmus, exaspéré par les exactions commises par le comte d’Afrique, Romanus, qui administrait alors l’Afrique romaine, entre en révolte. Romanus, qui connaissait le poids de la famille de Nubel dans la région, et qui redoutait une extension de la rébellion tente de provoquer la division parmi ses fils. C’est ainsi qu’il pousse Summac contre Firmus et, celui-ci, pour ne pas être livré, doit supprimer son frère. Le comte tente de faire arrêter Firmus, et comme celui-ci refuse de se rendre, c’est la guerre.

L’insurrection, d’abord circonscrite en Kabylie occidentale s’étend rapidement à d’autres régions. Les populations, lassées d’être exploitées et humiliées, répondent, en masse, à l’appel de la révolte. Les Berbères, engagés dans l’armée romaine, désertent. D’abord, il s’agit d’individus qui font défection, puis de corps de troupes entiers, tels les Constantiani Pedites et les Equites cohortes saggitariorum, qui rejoignent les insurgés. Les Donatistes aussi, en révolte contre l’eglise catholique, alliée des Romains, s’allient à eux.

Firmus enlève Césarée (Cherchell), capitale de la Maurétanie césarienne et Icosium (Alger). D’autres villes se rendent sans se battre : c’est le cas de Rusubiccari (Mers-el-Hadjadj) dont l’évêque donatiste ouvre lui-même les portes à Firmus. Par contre, Tipasa résiste et Firmus doit lever le siège qu’il a mis devant elle.

Rome doit envoyer le général Flavius Théodose, père du futur Théodose le Grand, pour mater la rébellion. Il débarque à Igilgili (Jijel), prend en main l’armée romaine et s’installe à Tubusuptu. Firmus tente de négocier avec lui, mais il refuse de lui envoyer les otages qu’il lui demande. Cependant, ce n’est pas seulement contre les Romains que Firmus doit se battre mais aussi contre son frère Gildon qui commandait les troupes auxiliaires romaines et refusait de se joindre à l’insurrection contre l’ennemi. Deux frères de Firmus qui, eux, ont pris le parti du jeune rebelle, sont tués et leurs camps rasés.

Firmus fait de nouvelles propositions de négociation et accepte, en échange de la paix, de rendre son butin de guerre et d’évacuer Icosium. Théodose occupe Icosium et, de là, il rejoint Tipasa. Il refuse la paix et s’empare de positions stratégiques dont Castellum Tingitanum (Chlef). Au cours de cette campagne meurt un troisième frère de Firmus, Mazuca tombé prisonnier des Romains, a préféré se donner la mort pour ne pas devenir un otage.

En 373, Firmus reprend le dessus ; il ne reste plus aux Romains qu’à recourir à la ruse pour vaincre les Berbères. Il corrompt les chefs des tribus de l’ouest et les détache de l’insurrection. Firmus, abandonné par une grande partie de ses alliés, s’enfuit jusqu’aux monts Caprarienses (monts du Hodna) où il trouve refuge chez les Isaflensens, puis poursuivi par les Romains, chez les Jubalens, sa tribu d’origine. La guerre reprend et, fort du soutien populaire, Firmus est sur le point de l’emporter quand Théodose réussit à corrompre le chef des Isaflensens, Igmasen qui accepte de lui livrer Firmus. Le prince, fait prisonnier, préfère se donner la mort..

D’autres villes de la Kabylie sont citées dans les itinéraires de l’antiquité, notamment la carte de Ptolémée et les Tables dites de Peutinger. Mais en l’absence de ruines, on ne peut identifier ces villes avec les villes actuelles. Ainsi, la station romaine d’Equizentum est, en raison de la ressemblance des noms, identifiée à Guenzet, localité, à 10 km au nord de Zemmoura, dans la région de Bordj Bou Arréridj. Mais cette identification a été contestée. Il y va autrement d’Akbou, identifiée à l’antique Ausum de l’itinéraire de Ptolémée, qui allait de la ville de Saldae (Béjaïa) à Auzia (actuelle Sour el Ghozlane). Ici, il n’y a pas de ruines romaines mais on dispose d’un beau monument, le fameux tombeau romain, qui se trouve sur le piton qui domine la ville. Nous avons déjà cité ce monument dans la série que nous avons consacrée aux monuments de l’Algérie ancienne.

Ainsi, la Kabylie a joué un rôle éminent dans l’histoire de l’Algérie. Les vestiges des différentes époques –préhistoire, période libyque, période antiques, sont aujourd’hui, menacés de disparition. Il est grand temps de les sauver, car il y va de notre mémoire.

S. Aït Larba

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