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Une grande figure de la résistance dans la région de Bouira (1837 – 1847)

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Par : Ahmed Kessouri(*)

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Il faut dire aussi que nos historiens-trop obnubilés par les grands sujets académiques — ne voient pas beaucoup d’intérêt à se consacrer à une entreprise limitée dans l’espace, et sans grand retentissement médiatique. Ahmed Ben-Salem, que nous présentons ici, est une figure de la résistance en Kabylie, peu connu sauf dans sa région natale.

Qui est Ahmed Ben-Salem ?Ahmed Ben-Salem est originaire de Ain-Bessem dans la région de Bouira, il est descendant d’une famille maraboutique dont le grand aïeul Sidi Salem Ben Makhlouf était venu de Fez et s’était installé en Kabylie au 16e siècle et fonde une zaouia dans l’actuelle commune d’El-Mokrani. La zaouia de Sidi-Salem était très respectée dans la région et ses Mokadems avaient un grand ascendant sur la population. Un auteur français dresse son portrait dans ces termes : “C’est un homme de taille moyenne ; il a la barbe et les yeux noirs, la peau blanche, les dents belles ; son âge doit être aujourd’hui (en 1847) quarante à quarante-cinq ans. On le dit sage et très bon Musulman ; il a prouvé longtemps par des sacrifices de tout genre son attachement à ses principes religieux. Les Tolbas le citent comme un homme instruit, laborieux et plein de dignité dans ses manières ; les guerriers vantent sa prudence au conseil, sa bravoure dans le combat, et les Arabes mêmes son habileté à manier un cheval” (1).

Le khalifa de l’Emir AbdelkaderAprès la signature du traité de la Tafna en 1837, entre l’Emir Abdelkader et le général Bugeaud, l’autorité coloniale reconnaissait la souveraineté de l’Emir sur une grande partie de l’ouest et du centre du pays. Pour jeter les bases de son jeune état et se faire connaître, l’Emir avait entrepris des déplacements dans toutes ces régions, notamment en Kabylie. C’est lors de l’un de ces déplacements qu’il fit la connaissance d’Ahmed Ben-Salem en 1839 à Hammam-Ksenna dans la région de Bouira. En bon observateur, l’Emir ne tarda pas à entrevoir en l’homme des qualités d’un bon chef de guerre, et d’un meneur d’hommes qui lui sera d’une grande utilité dans on entreprise. C’est ainsi qu’il décida de le prendre pour Khalifa sur toute la région de l’oued Sahel et du Sébaou (territoires des actuelles wilayas de Bouira et de Tizi-Ouzou).

L’organisation de la région sous le commandement de Ben-SalemL’Emir Abdelkader qui voulait donner un commencement d’organisation à la Kabylie et aider à asseoir l’autorité de son nouveau Khalifa, alla à la rencontre de la population et des notables kabyles, accompagné par Ben-Salem. Là ou ils arrivaient, ils étaient bien reçus. Par la même occasion, il procéda à la nomination des adjoints de Ben-Salem : Belkacem ou Kaci, le chef des Ait-Kaci de Tamda fut désigné Agha du Sébaou (les Amraoua Oufella), El-Hadj Omar Oumehiedine, le chef des Ait Mahiedine de Taourga, Agha des tribus de Dellys et de Ouaguenoun, El Hadj Mohamed Ben Zaâmoum, Agha des Flissa et Guechtoula. Ahmed Ben Salem se réserva le commandement direct des ribus du versant sud du Djurdjura et de l’oued Sahel (Ait-Laâziz, Ait Yaâla, Beni Djaâd…)Ahmed Ben-Salem, qui s’était fixé comme premier objectif l’unification de sa région, “convoqua en 1840 les deux prestigieux Cheikhs de Kabylie : El Mahdi Seklaoui des Ait Irathen et Cheikh El Moubarek des Ait Mahmoud, en vue de réconcilier les divers clans kabyles qui s’entre-déchiraient, la réunion eut lieu à Djamaâ Sidi-Amar de Draâ Ben Khedda, et se termina par une réconciliation totale et les adversaires jurèrent d’oublier le passé et de se mettre sous les ordres du Khalifa” (2). En 1841, il réussit à dissiper le différend qui éclata entre les Amraoua de Tamda et ceux de Taouarga et fit rencontrer leurs deux grands chefs : Belkacem ou Kaci et Omar Oumehiedine.Ben-Salem n’hésitera pas aussi à employer la force pour amener les récalcitrants à rejoindre cette union. Après avoir dépêché plusieurs émissaires chez les Ahl El Ksar dans la région de Bouira, pour les convaincre de reconnaître son autorité et de payer l’impôt, et que ceux-ci s’obstinaient à refuser, Ben Salem marche contre eux le 10 octobre 1839. Ayant perdu 20 des leurs et des prisonniers, ils se soumettent enfin et payent une contribution de guerre. En 1840, il se déplace même dans la Mitidja pour punir les tribus soumises à l’autorité coloniale.

Une décennie de lutte Quoiqu’issu d’une famille maraboutique qui avait fondé une zaouia, et appartenant à un ordre confrérique, Ahmed Ben-Salem était plutôt un homme de lutte et d’action et non un derwiche adepte de la khaloua comme son appartenance peut le supposer. Et l’Emir Abdelkader choisissait généralement ses Khalifats parmi les membres de ces familles, non pour leur descendance propre — l’Emir lui-même appartenait à une confrérie — mais plutôt pour leurs qualités personnelles. L’Emir, qui agissait en homme d’Etat, savait aussi l’influence qu’avait ces familles sur les populations. De 1837 à 1847, Ahmed Ben-Salem mènera un combat sans relâche contre l’armée coloniale. Après la violation du traité de la Tafna par le général Valée (gouverneur général) en traversant le territoire de l’Emir sans son autorisation dans la région de Bouira en octobre 1839, celui-ci rassemble ses khalifats et lui déclare la guerre en novembre de la même année. Ben-Salem, suivant les directives de l’Emir, réunit ses contingents (les Ait-Laâziz, Ait Yaâla, Guechtoula, Beni Djaâd et Flissa) et se dirige vers Bouzegza près de l’oued Kaddara, de là il lance son attaque sur les fermes et les postes français dans la Mitidja, conjointement avec les deux autres khalifas : El Berkani qui avançait de Médéa, et Ben Allal qui venait de Miliana. Les combats de Ben-Salem vont se suivre sans interruption, en 1840, il revient vers la Mitidja pour punir les tribus ralliées aux Français, ses contingents parviennent jusqu’à Bir Khadem et El Harrach, et un vent de panique souffle sur Alger. En août 1842, avec l’appui du Khalifat El Berkani et son adjoint Bouchareb, Ben Salem entreprend une campagne dans la région de Boussaâda pour répondre à l’appel du khalifat Is-Mohamed Ben Amar de M’sila qui rencontrait des difficultés devant la progression française. En octobre 1842, le général Bugeaud, qui était excédé par les agissements de Ben-Salem, décide de diriger une première campagne contre lui pour l’éliminer. Une fois arrivé chez les Beni Djaâd, le convoi fut attaqué dans ses arrières par les contingents de Ben Salem, lui causant quelques pertes dont le colonel Leblond. Pour châtier les Ait Laâzir qui avaient pris une part prépondérante à cette attaque, et pour tenter d’éliminer Ben-Salem qui avait installé son camp à Bezzit en ce moment-là, Bugeaud dirige une colonne contre eux le 10 octobre 1842, qui se termine pas une soumission nominale, contre une amende et des otages (3). Au début de 1843, le Duc d’Aumale vient de Médéa pour inquiéter Ben-Salem dans son fief, il s’attaque aux Nezliouas et brûle leurs villages. Le khalifat essaye de contre-attaquer de nuit mais ne parvient pas, en raison du mauvais temps. Pour se mettre en sécurité, Ben-Salem transfert son camp dans la forêt de Boumahni, entre les Flissa et les Maâtkas, et il dépêche un émissaire auprès de l’Emir dont il n’a plus de nouvelles depuis des mois. L’Emir reçoit le message et exhorte Ben-Salem à continuer la lutte et lui promet de venir l’aider dès qu’il le pourra. En avril 1844, Bugeaud dirige une seconde campagne contre Ben-Salem, et lance un avertissement aux populations qui sont toujours fidèles au khalifat. Il part d’El Harrach avec un corps expéditionnaire de 8000 hommes, une partie de cette armée est laissée à Tadmait sous le commandement du général Gentil. Bugeaud, qui poursuit sa marche vers les Flissa fut attaqué par la cavalerie de Ben-Salem qui se replie immédiatement sur les hauteurs de Sidi Ali Bounab. Après 14 heures de combats, Bugeaud décide la retraite, après avoir perdu 32 hommes. Les pertes kabyles étaient très élevées aussi, et plusieurs de leurs villages furent incendiés. Le 21 septembre 1844, Ben-Salem et Belkacem Oukaci décident d’attaquer les tribus de Dellys dont les chefs étaient allés faire leur soumission devant le gouverneur à Alger. Bugeaud entreprend une troisième campagne le 22 octobre 1844 avec 5370 soldats, il commence par incendier le village de Tifra du côté de Tigzirt, puis celui d’Abizar, les Ait Djennad demandent la paix que le gouverneur accepte et les exonère d’impôts pour six ans. En mars 1845, Ben Salem et Belkacem Oukaci reprennent l’offensive, et un bref combat eut lieu à Boukhalfa. Le 19 juin, le khalifat va se battre aux côtés des Ait Laâziz qui subissaient une attaque menée par le général d’Arbouville, après un combat de quelques heures sur des collines de Sidi-Messaoud, les Français se retirent vers Bouira. En juillet 1845, Bugeaud promu entre temps Maréchal dirige des expéditions sur le Sébaou, Ait Aissa-Mimoun, Tikobain et adresse un avertissement aux Ait Irathen qui accueillent chez eux Ben-Salem, Bouchareb et Oukaci, et qui ne cessent aussi d’inquiéter les tribus alliées. Au même moment, le khalifat reçoit un appel à l’aide de l’Agha Mohamed Ben Kouider de Médéa, un fidèle de l’Emir, en difficulté avec un caïd rallié, Abdelkader Ben Mohamed. Bouchareb répond à l’appel et bat ce caïd le 20 mai 1845. Il est alors poursuivi avec son contingent par le général Marey, mais les hommes de Bouchareb, réfugiés dans la forêt de Hammam Ksenna, ne peuvent être rejoints. Le 11 juin 1845, les hommes de Bouchareb rejoignent le rassemblement des contingents de Ben Salem chez les Ait Laâziz. A ce moment-là les colonnes d’Arbouville et Marey font jonction à Draâ El Khemis et combinent une attaque d’envergure contre cette tribu. Ben Salem qui tombe malade ne prendra pas part à ce combat, c’est Mohamed Bouaoud qui dirigera les opérations. Les pertes françaises sont de 22 tués et 113 blessés, quant aux résistants ils ont 14 tués et 23 blessés. Au mois de février 1846, l’Emir Abdelkader arrive en Kabylie et organise un grand rassemblement à Boghni. Le 20 février il se porte chez les Ait Laâziz et dresse son camp sur la colline de Sidi-Messaoud. L’Emir qui sera vite rejoint par Ben Salem essayera de relancer la résistance, mais sans grands résultats. Le 28 février il réussit à réunir tous les chefs kabyles à Boghni, et beaucoup d’entre eux avaient promis de le suivre. Le 5 mars il quitte les Ait Laâziz pour aller dans le Sud d’où il pourra gagner l’Oranie. Ben Salem qui s’était fixé chez les Ait Bouaddou, prendra le relais en formant un rassemblement des populations du Titteri, et des Aribs, avec le concours de Mohamed Bouaoud et Mokrani El Aieb, et il essaya d’inciter à la révolte le Ksenna et le Dira. Mais beaucoup de renforts arrivent, et l’armée française gagne chaque jour du terrain.

Fin de parcours et exil La situation s’annonce de plus en plus difficile à partir du début de l’année 1847. Beaucoup de tribus déposent les armes et demandent la paix. Les populations sont fatiguées, et là où il arrive, Ahmed Ben-Salem reçoit la même réponse : il faut cesser le combat. Le 27 février il décide de faire sa soumission, il se présenta à Aumale où le Maréchal Bugeaud l’attendait déjà depuis quelques jours. Après avoir refusé des titres et des biens pour lui-même, il pose comme seule condition pour sa soumission l’engagement des Français à ne pas inquiéter les tribus dans leurs territoires. Il choisira ensuite d’aller à la Mecque, d’où il gagnera la Syrie avec sa famille. Un neveu de l’Emir Abdelkader raconte (4) que Ben-Salem se consacra au travail de la terre, et à l’entretien des immigrés kabyles qui arrivaient par groupes à Damas. Ben-Salem n’avait pas coupé les liens avec le pays, il avait entretenu pendant longtemps des correspondances avec ses amis demeurés en Algérie. Il est mort et enterré en Syrie en 1856.

Notes :1- Daumas et Fabar, La Grande Kabylie, ed. Hachettes Paris 1847.2- M. S. Feredj, Histoire de Tizi Ouzou et de sa région, ed. Hammouda, Alger, 1999 page 76. Nous devons aussi quelques autres notes dans cet article à cet auteur avec qui nous avons eu des entretiens avant sa disparition en 2003.3- Ahmed Kessouri, Les Ait Laâziz face à la conquête coloniale, La Dépêche de Kabylie, 28 décembre 2005.4- L’Emir Mohamed, Tuhfat Ezzair, (en arabe), Alexandrie, 1903.

A. K.(*) Chercheur en Histoire

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