Festival national des arts plastiques

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Plus qu’une exposition, c’est une explosion de formes et de couleurs qu’abrite, depuis avant-hier, la Maison de la culture Ali Zaamoum de Bouira. Comme le carré des martyrs est juste à côté et que l’ouverture de ce salon des arts plastiques coïncide avec le premier novembre, on comprend qu’après le dépôt d’une gerbe de fleurs à la mémoire des quelques 600 martyrs dont les cendres reposent en ce lieu béni, le wali se soit fait un devoir de le visiter.

Il n’avait pas perdu son temps, car la qualité artistique et la variété des thèmes traités y étaient garanties. Les visiteurs, eux, étaient en tel nombre qu’on avait du mal à ne pas se marcher sur les pieds et à conserver son équilibre. Ayant fait le tour de cette galerie chatoyante et expressive, où l’abstrait, le réalisme et l’impressionnisme se côtoyaient sans se faire du tort tant l’ordonnancement était savant, nous avons marqué une pause plus longue devant les tableaux qui nous ont frappé tout particulièrement par leur beauté et leur originalité.

Nadia Ouahioune et l’effet loupe

La peinture, comme la poésie et la musique, et plus peut être encore que ces deux genres, ne saurait être expliquée. La formule vaut pour l’œuvre de cette artiste plasticienne, qui, depuis 24 ans, expose tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Son tableau intitulé «Racines» est très caractéristique à cet égard. Il parle au cœur et si peu à l’esprit. À moins d’être un expert en la matière et d’analyser ces petits cubes colorés dont l’ensemble séduit par «cet effet loupe», effet grossissant à mesure que l’on s’éloigne du tableau. Alors si l’art est mouvement et si le mouvement est la vie, Mme Cherrak aura réussi son pari qui est de permettre à son œuvre de plonger ses «Racines» dans la nature, dans la vie. Mais encore une fois, elle n’explique rien. Tout au plus parlait-elle de sa technique de composition : «Je pars toujours d’un point. Une forme embryonnaire, une ligne… Ensuite je me laisse guider par ma sensibilité. C’est très important, la sensibilité. C’est elle qui guide le pinceau de l’artiste. C’est elle qui parle en libérant l’émotion. Joie ou peur. Face à Racines, on est comme devant une boule de feu : on est ébloui. Et plus on recule devant cet éblouissement et mieux on le ressent». On peut admirer sans réserve l’intégralité de son œuvre à la Maison de la culture de Tizi-Ouzou, où elle possède sa propre galerie sous le titre ONCE. Une œuvre qui a beaucoup voyagé à l’occasion de nombreuses expositions à Alger, à Chalon sur Yon (Paris, 2004), à Dieppe (2006), à la Foire internationale de Chalon en Champagne. «Mon bonheur quand j’expose est de me retrouver au milieu d’autres artistes et de découvrir de nouveaux talents, de nouveaux génies», dira-t-elle. Et d’ajouter : «Je peins sur tout support. J’utilise de l’acrylique sur toile. J’ajoute de la résine. Ce qui a pour conséquence de produire cet effet que j’ai appelé effet loup.»

Reformuler les signes

L’art de ces deux artistes, Ahmed Stambouli (Aïn Defla) et Abdelhamid Khitous est de reproduire les signes, soient pour les faire parler autrement soit les préserver de l’oubli. Ainsi en est-il des toiles de Tambouli qui s’inspirent de la peinture rupestre et des tatouages anciens. Le tour artistique consiste en la reproduction de ces signes, mais de façon originale et assez éloignée des formes originelles. Membre fondateur de l’école des beaux-arts de Mostaganem en 1987, son séjour à Tunis (99-2011) lui a permis de réaliser mille œuvres. S’inscrivant dans la même démarche, mais avec pour principal souci de sauver les lettres, en l’occurrence de Tifinagh, du statut d’art décoratif (poterie, costumes, bijoux traditionnels) auquel les condamne l’usage, Khitous peint dans ses toiles à l’huile et à l’acrylique les signes qui, dépoussiérées, font pâlir par leur nouvel éclat les signes en vigueur. On pourrait adjoindre à ces deux artistes, la peintre Nidale Guedri qui expose partout et qui est présente à ce salon avec deux tableaux, dont «la mère». Avec un art consommé cette native de Tébessa dessine une femme avec les seules lettres de mère. En effet, quelques mots simples ont permis à l’artiste de montrer qu’il s’agit bel et bien d’une femme. «La mère est ses peines, la mère est ses rares moments de joie, la mère et ses peurs, voilà ce que je dis dans ma toile», nous dira-t-elle.

Fascination pour le Hoggar

On ne peut pas avoir visité Tamanrasset et ne pas en revenir fort impressionné. À plus forte raison si on est artiste comme Fatima-Zohra Beggar et Brahim Benamri. Chacun, à ses manières, nous ai fait part de ses impressions. Fatima Zohra peint dans son tableau un Hoggar au paysage brouillé par le vent de sable. En vérité ce n’est qu’une impression, car la peintre qui expose deux tableaux à cette occasion est essentiellement impressionniste. «Je l’ai vu (le Hoggar) lorsque je me suis rendu au 1er Salon d’art plastique de Tamanrasset. C’est fort émouvant, tout ce sable et ces monts qui s’enchainent à perte de vue. Et le Hoggar est soudain là comme surgi du sable et l’on est comme écrasé par tant de grandeur et de majesté.» Brahim est, lui aussi, présent à ce rendez-vous avec deux tableaux. Le premier nous propose un coucher de soleil sur le Hoggar, le second qui est un portrait, nous campe un targui dans son costume traditionnel bleu. «On a le plus beau coucher du monde sur le Hoggar», nous a-t-il confié alors. On peut croire sur parole cet artiste de Chlef que le Sahara fascine totalement. Son œuvre plaide pour lui.

Deux artistes qui interpellent

Deux artistes nous interpellent : Zahia Kaci d’Alger et Hacène Fodil de Bouira. Présents à cette exposition avec deux tableaux chacun, ils tentent d’attirer notre attention sur deux drames différents. Pour Zahia, dont les tableaux voyagent tous seuls jusqu’à l’étranger, la Casbah, qui fait partie de notre patrimoine culturel matériel, croule sous le poids de son passé. Elle menace ruine. Et son tableau qui représente deux femmes voilées dans une des rues de ces très vieux quartiers le claironne assez. Si on n’y prend garde, si des mesures concrètes ne sont pas prises rapidement, la Casbah pourrait disparaitre plus tôt qu’on ne pourrait le croire. «J’ai été un jour témoin d’une vieille maison qui s’est écoulée près de moi dans ce quartier. Alors j’ai fait ce tableau pour sensibiliser tout le monde sur l’agonie de ce quartier qui appartient à notre patrimoine culturel.» L’artiste algéroise, l’ancienne élève des beaux-arts et de Mohamed Issiakhem, celle qui a peint quelque 150 toiles, a bon espoir que les autorités concernées réagissent à cette situation.

Le sémillant Hacène et son tableau sur la Syrie pose le problème de la guerre civile dans ce pays, objet d’enjeux contradictoires qui poussent ces habitants pris entre deux feux à fuir les horreurs, à entreprendre la traversée de la mer dans des conditions hypothétiques. «La mer attire les plus désespérés. Elle symbolise à leurs yeux la délivrance. Parfois, elle se révèle un piège, puisqu’elle se referme sur eux et fait des centaines de victimes parmi eux», soutient l’artiste. Et il ajoutait : «Le Printemps arabe n’a rien permis de pousser hormis la mort et la désolation. C’est pourquoi j’ai peint sur ma toile la désillusion de milliers d’hommes et de femmes qui s’étaient laissés prendre à ce leurre fatal.» Un tableau qui vous prend aux tripes et les tord sous les tenailles de la plus vive émotion.

Aziz Bey.

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