La Kabylie aux portes de fer

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Sis à quelques encablures des territoires de la wilaya de Béjaia, le village des Ath Sidi Brahem communément appelé Sidi Brahim Boubekeur, par opposition à Sidi Brahim Eddis se trouvant du côté de M’sila, relève administrativement de la wilaya de Bordj Bou-Arréridj.

Bien avant le découpage administratif de 1985 qui a vu cette région subdivisée en trois départements, Ath Sidi Brahem fut un grand « Arch » regroupant plusieurs villages étalés sur les différentes communes actuelles. Taddart qui est le chef-lieu communal, La gare des Portes de fer et Tizi Ikachouchen appartiennent à la wilaya de Bordj Bou-Arréridj ; Metchik, une petite bourgade relevant de la commune de Boudjellil est donc affiliée à la wilaya de Béjaïa et enfin Errodha et Azro Ouqellal, deux villages de l’autre commune Ath Mansour découlant de la wilaya de Bouira.

Quoi que plusieurs des anciens importants « Arch » de Kabylie aient connu exactement le même sort que celui des Ath Sidi Brahem, les habitants continuent à nos jours de respecter les normes ancestrales et les codes propres à chaque tribu, leur permettant ainsi un mode de vie unique et une meilleure organisation sociale.

Les habitants renouent avec Timechret

L’initiative est venue de la bouche de quelques jeunes du village d’Ath Sidi Brahem se remémorant la dernière fois que ce rite a été pratiqué dans leur région. Ils témoignent que depuis l’année 1970, les villageois avaient cessé avec tout genre de célébration et de festivité permettant une telle tradition si importante dans un village typiquement kabyle. Les jeunes se sont alors proposés d’essayer de ramasser une somme d’argent pour du moins acheter un bœuf, juste pour la remémoration de cette coutume d’autrefois.

Etant tous au courant, le village et puis toutes les autres contrées limitrophes appartenant à Ath Sidi Brahem, des dons comme personne ne l’avait cru s’amassaient sur la main du sage du village. Tous les natifs de cette région se trouvant dans les différentes grandes villes du pays rejoignent le bercail pour assister à cette fête longuement omise. Les émigrés vivant en France et aux Etats-Unis étaient aussi de la partie pour apporter leur aide et participer à la fête.

Vu tous ces imprévus avantageux, les villageois et en l’espace de six jours avaient pu s’offrir onze bœufs et une importante somme d’argent déversée au trésor du village.

C’est dans la journée du jeudi 2 février que les bœufs étaient sacrifiés dans une ambiance bon enfant. D’après les témoignages recueillis sur place, chacun des villageois a apporté son aide pour la réussite de cette manifestation. Les uns ouvrent leurs locaux pour suspendre les bœufs sacrifiés, couper la viande et la diviser en parties selon le nombre de foyers, les autres recensent les familles que compte la région des Ath Sidi Brahem et les invités étrangers à leur localité et d’autres encore s’occupent justement des invités et informent les médias présents des détails de cette initiative en marche.

Dans la journée du vendredi, en passant par la région des Ath Abbas, nous atteignons la RN5. Après quelques minutes de route, nous nous retrouvons sur les hauteurs des monts des Bibans. C’est sur une de ses collines qu’est perché le village des Ath Sidi Brahem.

Offrant une vue paradisiaque, des monts des Bibans on distingue toute la vallée de la Soummam à un village près. Les habitants qui nous ont chaleureusement reçus, nous racontent l’histoire de la région et notamment l’événement de la semaine ; Timechret qui a vu tous les enfants de la région se retrouver après des années d’absence.

Une fois au centre du village, on s’est vraiment rendu compte de l’incroyable mobilisation des jeunes de tous âges confondus. La viande est déjà entrecoupée et séparée dans des caisses conformément au nombre de familles se trouvant à travers toute la région. « Exactement comme pour les dons où on compte le nombre de personnes dans chaque foyer pour faire le total sur une base de 300 DA la personne, c’est aussi de cette manière qu’on distribue la viande selon la quantité en notre possession bien évidemment », nous informe un vieillard de Taddart, le chef-lieu de la commune des Ath Sidi Brahem.

Les valeurs de ce rituel ancestral propre à la Kabylie sont plus morales que matérielles. L’ambiance de fête, la joie apparente sur les effigies des enfants, les retrouvailles entre tous les villageois dans un climat de conciliation entre les uns et les autres sont autant de principes et de buts dont jouit une telle tradition. “Cela fait plus de quarante ans que je n’ai pas vu un de mes amis d’enfance», s’étonne un quinquagénaire du village.

Tôt le matin dans la journée du samedi, les femmes préparent le couscous, roulé il y a quelques jours. Un dîner est donc servi à l’honneur des invités et également de tous les habitants de la région pour remercier les uns pour leur présence et les autres pour leur contribution.

C’est sur un tapis blanc que nous sommes accueillis cette fois-ci. Il a neigé pendant toute la nuit du vendredi et dans la journée du samedi. Juste après le déjeuner et profitant de la présence de tous, les parts de viande sont distribuées par liste. Cela est sûrement pour éviter tout genre d’erreur dans la répartition.

En définitive, Timechret demeure un fait social et humanitaire qui occasionne l’union, ainsi que la miséricorde au sein de la société. A cet effet, les organisateurs exigent sa préservation et sa protection de la part des futures générations et enfin remercient tous les citoyens qui se sont donnés à fond pour que cette louable initiative réussisse et se donnent ainsi rendez-vous pour une autre célébration dès l’entame de l’année prochaine.

Ath Sidi Brahem ou la porte de la Kabylie

Au même titre que toutes les localités en Kabylie, les écoles de la région des Ath Sidi Brahem avaient vu leurs portes fermées durant toute l’année du boycott scolaire auquel avait appelé le Mouvement culturel berbère en 1994.

Amplement présentée comme une région entièrement acquise aux adeptes de l’islamo-arabisme du pouvoir central, les habitants des différentes communes kabyles de Bordj Bou-Arréridj avaient poussé les autorités via une déclaration commune des comités de villages, il y a quelques années de cela, à mettre sur pied des classes de tamazight dans leurs écoles.

La localité des Ath Sidi Brahem a toujours été présentée dans les ouvrages de Tassaàdit Yacine Titouh, écrivain anthropologue originaire de cette région, comme la vitrine de la Kabylie ou pour reprendre ses dires : “Une des principales portes de la petite Kabylie.

Invitée, pour rappel, par les associations et l’APC de Boudjellil, l’auteur de Izlan honore de par sa simple présence les régions des Ath Abbas et des Ath Sidi Brahem. Cette région kabyle de Bordj ne veut donc pas rester en marge de la volonté de la Kabylie de prendre son destin en main. Les Kabyles de Bordj l’ont dit d’une autre manière, ils veulent afficher leur différence et c’est par l’école qui les a longtemps ignorés et à travers le profond respect des traditions de nos aïeuls, qu’ils ont grandement réussi leur adhésion au combat de la Kabylie.

Un village enclavé

En marge des festivités de Timechret, les habitants du village Ath Sidi Brahem nous ont fait part de la misère et des différents problèmes dans lesquels sombre leur région. A commencer par l’autoroute Est-Ouest qui a touché leur localité et qui les a laissés abandonner leurs propriétés agricoles. Outre la disparition de la tranquillité et le calme qui ne résistent pas à l’analyse de beaucoup d’autres citoyens à travers le pays, les contestataires de ce projet au niveau de la commune d’Ath Sidi Brahem ont un argument de taille qui n’a rien à voir avec les sentiments. Ils sont tout simplement séparés de leurs champs d’oliviers. Comme ces derniers sont leur principale source de revenus, ils se retrouvent dans l’impossibilité d’y accéder vu l’absence de passerelles tant revendiquées. L’accès motorisé à leurs champs n’a pas été aménagé pour ramener la récolte, ils doivent faire un long détour, synonyme d’une vingtaine de kilomètres, ou abandonner l’activité. Certains prennent le risque de traverser l’axe routier, mais la mort est souvent au rendez-vous. Pour se rendre également à Alger, Bordj Bou-Arréridj ou Béjaïa, ils doivent encore faire le même détour alors que l’autoroute est à côté. Autant dire qu’ils ne peuvent profiter de cette proximité qui ressemble pour eux à une chimère. « On a bien demandé un accès, mais la réponse des responsables a été négative. Cela nous pousse à faire pression davantage pour que notre appel soit entendu « , menaçait un jeune du village.

En plus de ce malaise important, les habitants d’Ath Sidi Brahem signalent le flagrant manque en infrastructures notamment dans le secteur de la santé publique. Pour achever leurs malades, ils font recours à la ville de Maillot ou à Akbou. Pour cela, ils demandent de relier la commune de Boudjellil à la leur par un pont au niveau de la localité de Metchik pour ainsi leur faciliter l’accès aux différentes villes de la vallée de la Soummam. Par rapport à ce sujet, la wilaya de Bordj les renvoie à celle de Béjaia et vice-versa. Le maire de la commune de Boudjellil, nous éclaire que l’étude du projet est faite par les services de la commune qui ont estimé le projet à plus de neuf milliards de centimes. « Le dossier est actuellement au niveau de la wilaya de Béjaïa, il aura sûrement une suite favorable », ajoute M. Saadi Salah.

Cela, sans parler d’autres problèmes que rencontrent les habitants de cette région au quotidien. Pour exemple, pour continuer ses études secondaires, les filles s’inscrivent en internat dans la localité de Mansoura et les garçons à El M’hir, faute d’un lycée au niveau des deux communes Ath Sidi Brahem et Tizi Ikachouchene. C’est ainsi donc que nous avons quitté Ath Sidi Brahem en gardant l’image d’une belle région riche en potentialités humaines et naturelles. Une région où la population n’a nullement l’intention d’abdiquer devant le joug de la misère qui les guette régulièrement. Une population fière de ses origines et de son appartenance.

M. S.

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