Le paradoxe

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On sent un certain climat électrique dans l’atmosphère durant ces journées de Ramadhan à Aokas.

Les nerfs sont à fleur de peau. Il suffit qu’une voix s’élève pour qu’elle ait, en écho, une diatribe d’insultes qui peuvent mener aux mains. C’est le jeûne qui veut ça, avance-t-on, à chaque fois. Mais ce n’est que de  l’incivisme qui et à l’origine des rixes. Et cela arrive tout au long de l’année. Pour exemple, pour livrer les marchandises aux commerçants de la ville, les grossistes éprouvent un malin plaisir à garer leurs fourgons en plein milieu de la chaussée malgré la présence, parfois, d’aires de dégagement à proximité. Cela engendre un encombrement et des coups de klaxon à n’en plus finir. Et parfois, on en vient aux mains. Mais il est vrai que les choses empirent en ce mois, pourtant, de retenue et de patience. Des scènes de cet acabit se produisent devant les épiceries, les boulangeries et autres commerces. Déjà de bon matin, la bouche pâteuse, l’haleine repoussante et la mine affreuse, le mauvais jeûneur, car il y en a de bons, comme pour rappeler qu’il observe le carême, se renfrogne en une expression maussade, comme s’il guettait la moindre occasion pour en découdre. Tout au long du trajet vers son lieu de travail, à pied ou en voiture, il multipliera les provocations, violant le code de la route ou pestant contre toutes les personnes qu’il rencontre. Arrivé au bureau, après avoir jeté un coup d’œil à ce qui l’attend comme travail, il liquide le plus urgent et laisse la suite pour le lendemain. Tout cela lui demande entre une ou deux heures de travail et c’est la seule plage horaire qu’il accordera au boulot. Viennent ensuite les appels téléphoniques pour se constituer un groupe d’amis et commencer, dans une seule voiture de préférence, la tournée des grands ducs de la bouffe. De tel marché à tel autre, de telle épicerie à telle autre ou encore de telle boulangerie à telle autre, l’équipe se déplace et fait parfois plusieurs kilomètres pour acheter un pain d’orge, une belle pastèque ou encore un kilogramme de la zlabia de Boufarik. Cette randonnée durera jusqu’à presque la fin de la journée de travail. En revenant au bureau, on jette un coup d’œil aux journaux qu’on vient d’acheter durant la sortie avec les copains et on range tout avant de rentrer chez soi avec la conviction d’avoir terminé la journée de travail. Bien entendu, sur le trajet du retour, le comportement ne sera pas différent du matin, sinon pire. Ce comportement dit ramadhanèsque ne peut être justifié ni par la baisse de la glycémie ni par la hausse des prix et il ne peut être accepté indéfiniment. Néanmoins, le soir, les comportements sont tout autres. Les ‘’saha ftourkoum’’ fusent, les mosquées se remplissent, les café tonnent de rire et de bonne ambiance. Tout le monde devient généreux et paie les consommations à qui en veut. Les démons du jour se transforment en anges du soir. Facile donc de conclure que courtoisie rime avec ventre plein et que la gentillesse est nocturne au mois de Ramadhan.

 A. Gana

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