La pierre bleue, un filon sous-exploité

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La pierre bleue est le principal matériau de construction de la région. Utilisé depuis des siècles, il a acquis au fil du temps le statut d’un précieux matériau de décoration, très recherché et prisé à l’échelle nationale, grâce à la dextérité et à la créativité des artisans qui ont réussi à faire de lui un sérieux concurrent des cubes de marbre d’Italie ou de Turquie. Nos « ciseleurs » de pierres qui n’en finissent pas d’innover se sont fait une solide réputation qui dépasse le cadre régional en faisant parvenir aux quatre coins du territoire national la pierre taillée d’Ath-Mansour. L’explosion de cette activité s’est produite vers la fin des années 80 quand survient la crise économique qui a fait des milliers de chômeurs. Ces derniers ont versé dans ce métier pour échapper à la misère et il fut pour eux une planche de salut durant tout le temps qu’a duré cette crise. Le gisement de ce produit ne peut être que comparé à un filon d’or qui s’étend sur deux communes Ath-Mansour et Ahnif dans la daïra de M’Chedallah sur plusieurs milliers d’hectares. C’est un gisement inépuisable qui constitue une énorme richesse qu’aucune des deux communes n’a malheureusement envisagé de valoriser. Pourtant, c’est un produit qui peut être industrialisé à grande échelle avec même des possibilités d’exportation grâce à ses qualités exceptionnelles, ses gisements inépuisables, en plus de son esthétisme et les diverses formes décoratives qu’on peut lui donner. La pierre bleue a un jeu de couleurs naturelles allant du rouge vif au bleu nuit, bleu ciel, marron, blanc et autres gris ou orange. Les cubes de pierres sont à 100% naturels, taillés à l’état brut sans aucune transformation ou un quelconque mélange. Le traitement de ce matériau se réduit à deux opérations qui sont l’extraction et le façonnage. Opérations certes pénibles car menées de la même façon et avec les mêmes moyens rudimentaires utilisés depuis plusieurs générations, à savoir, la masse de 5 à 10 kg et de longs burins utilisés comme leviers pour l’extraction, ainsi que le marteau pour la taille et le cisellement. Et l’opération qui prend le plus de temps, c’est le déblayage. La pierre étant enfouie entre deux et quatre mètres sous terre, en plaques de plusieurs mètres de circonférence et d’une épaisseur allant de 10 à 60 cm. Etant pleine, plate, et non poreuse, elle est extrêmement lourde. Pour la sortir à la surface, il faut d’abord la découper sur place en plaques allant de 2 à 4 m. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, toute l’opération se fait manuellement. Et c’est à ce niveau que doit intervenir l’Etat en mettant à la disposition des extracteurs des moyens mécaniques modernes, tels que des pelles excavatrices, les marteaux-piqueurs et autres brise-roches dont le prix d’acquisition est hors de portée de ceux intervenant dans ce créneau. L’aide de l’Etat ferait de ce métier une industrie. La pierre bleue d’Ath Mansour sert tant à la décoration des façades qu’à celle des intérieurs. On la retrouve dans toutes les constructions de luxe, touristiques et même dans des édifices administratifs. Elle continue également à être utilisée comme dalles pour les tombes. Nos aïeuls l’utilisaient aussi pour les lavoirs et on en retrouve de larges plaques à proximité de toutes les anciennes fontaines de la région.

Des gisements inépuisables

Les artisans extracteurs ont aménagé des aires de stockage et d’exposition le long de la RN5, sur le tronçon situé entre les deux communes précitées, sur une distance de plus de 5 km. On peut constater, à longueur de journées et durant toute l’année, des camions de transports immatriculés dans toutes les wilayas du pays qui viennent y charger la pierre taillée. On reconnaît les artisans qui exercent ce métier de tailleurs de pierres et qui travaillent dans des conditions inhumaines à leurs visages tannés par le soleil, la peau sèche craquelée sous l’effet d’un sirocco presque quotidien et qui est le vent dominant de cette région. On les reconnaît aussi à leurs yeux rouges larmoyants à cause de la poussière que dégage cette matière durant sa manipulation. Elle contient sans doute de la cellulose, une matière cancérigène semblable à celle de T’kouk dans les Aures et qui fait des ravages parmi les malheureux artisans de la région. Cela ressemble à s’y méprendre à de l’amiante de ciment. C’est un problème sur lequel doivent se pencher les services de la santé publique, sachant que ces artisans travaillent sans aucune protection, ni filtres à air, ni gants, ni casques, ni chaussures adéquates. Nous apprenons sur place, après discussion avec plusieurs tailleurs de pierres, que tous les anciens qui ont exercé ce métier ont eu des séquelles très graves telles la cécité des bronchites, de l’asthme et autres maladies respiratoires. On nous parlera également de gros handicaps moteurs, conséquences directes d’accidents du travail. Et aucun de ces artisans ne pense par ailleurs à se faire assurer. Il serait donc tout à l’honneur de la Direction de la protection sociale de procéder à une inspection sur les lieux et étudier les moyens pour venir en aide à ces malheureux qui font plutôt penser à de véritables bagnards. Leur fournir un équipement adéquat et leur fixer un calendrier de visites médicales encadrées par une équipe de la médecine du travail seraient un grand pas en avant.

Oulaid Soualah

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