Les missions de l'État et le rôle de la société

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Secrétaire général  de l’ONU pour la réduction des risques de catastrophes, Margareta Wahlstrom, a fait remonter à la surface le thème récurrent de la gestion des risques majeurs dans notre pays, particulièrement ceux relevant des bouleversements de la nature. Cette visite intervient au lendemain du retour de l’équipe algérienne de la Protection civile du Népal où elle s’est distinguée dans les opérations de sauvetage après le séisme ravageur qui a frappé ce pays. La représentante de l’Onu a rencontré le ministre de l’Habitat de l’Urbanisme et de la Ville et le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales. Ces deux départements détiennent à eux seuls la majorité des mécanismes et des clefs qui permettent de faire face aux catastrophes naturelles. Le premier, en matière de prévention, par le système de bonne planification urbaine, le second, en matière d’intervention, par la mise en place de dispositifs efficaces de coordination entre les différents services (protection civile, police, gendarmerie, SAMU, Croissant rouge, APC, daïra, wilaya,…). À cela s’ajoute le ministère des Transports pour prendre en charge les prévisions météorologiques, particulièrement les bulletins météo spéciaux (BMS), et le ministère de la Santé lorsqu’il s’agit d’organiser des secours de soins et de dresser des hôpitaux de campagne. Le schéma peut paraître d’une banale simplicité lorsqu’il est dressé sur papier ou dans un rapport administratif. Pourtant, la réalité est toute autre. L’Algérie est instruite aussi bien par les catastrophes naturelles que par les insuffisances et les erreurs qui ont grevé le processus de prévention et les méthodes d’intervention. Les deux segments sont intimement liés. D’ailleurs, les grands travers de l’Algérie sur le plan de l’intervention sont souvent générés par le déficit de prévention et de planification spatiale de son développement. Les principes de l’aménagement du territoire sont les grands absents dans la politique de développement économique. Plus les erreurs et le laisser-aller dans la politique de l’urbanisation et de la réalisation des infrastructures sont importants, plus les efforts à faire pour sauver des vies humaines et des biens matériels sont immenses et… aléatoires. On l’a vu à Bab El Oued, lors des inondations historiques de novembre 2001, à Boumerdès, lors du séisme de mai 2003, pendant les inondations de Ghardaïa d’octobre 2008 et dans d’autres circonstances où la vie des Algériens a été mise en danger suite à la conjonction d’éléments factuels immédiats, naturels, avec des facteurs aggravants ayant préparé le lit des catastrophes. Autrement dit, ces dernières, à l’occasion desquelles on a enregistré entre 100 et 2500 morts rien que dans les trois cas cités plus haut, auraient pu être d’un impact beaucoup moins important si la politique du développement de l’urbanisme et des infrastructures était plus rationnelle et soumise aux règles et normes techniques mondialement reconnues. L’hiver 2014/2015 a été rigoureux en Kabylie et dans plusieurs autres régions d’Algérie. Des pluies diluviennes avaient isolé des quartiers entiers, des cités et des routes. Des voies de desserte dans les zones de montage (cols, routes et pistes) ont été emportées par les eaux. À la fin du mois de février, la paisible localité d’Aokas a été gravement touchée par des éboulements historiques qui ont détaché une partie de la montagne surplombant la RN9. Résultat: 9 personnes décédées sous le poids de blocs de pierres pesant plusieurs tonnes. Des coulées de boue ont également obstrué la route de la Kelaâ n’Ath Abbas et Bordj Boni. Des portions entières de routes ont été emportées à Aïn El Hammam, Takerbouzt, sur la RN24 de la Kabylie maritime, dans la région de Draâ El-Mizan, etc. Tout à fait au début de la saison pluviale, à la fin de septembre 2014, ce sont deux élèves et un directeur de collège qui furent emportés par les crues ayant affecté la région d’El Adjiba, dans la wilaya de Bouira. La neige aussi a occasionné quelques dégâts mineurs. Mais les populations gardent en mémoire l’historique épisode neigeux de février 2012 qui avait isolé la Kabylie du reste du monde. Après les épreuves des inondations et éboulements de l’automne et de l’hiver, le pays se prépare, comme d’habitude, à faire face aux incendies de forêts, période qui va coïncider avec le mois de Ramadhan. Faire face aux incendies est sans doute une expression un peu trop optimiste par rapport à la stratégie actuellement à l’œuvre.

Lorsque la société s’implique

L’administration des forêts a des moyens limités, particulièrement lorsqu’il s’agit de zones de montage très accidentées. Les APC n’ont que les pelles et les pioches, avec des ouvriers qu’il est difficile de regrouper et de mobiliser dans une journée de jeûne. Reste la protection civile qui est de plus en plus modernisée sur le plan de la dotation et de la formation. Cependant, l’histoire et la sociologie de la Kabylie nous apprennent que les premiers sapeurs-pompiers sont les habitants eux-mêmes, organisés dans le système de tajmâath. D’abord, en débroussaillant régulièrement, chaque famille dans sa propriété tout le sous-bois garnissant le bas des houppiers des arbres; ensuite en intervenant dès l’apparition de la première fumée aux alentours des villages. Le compter-sur-soi était la règle. Lorsque l’administration a investi tous les segments de la vie, elle était déjà happée par la médiocrité l’incompétence et la rente. Une grande partie des dégâts du séisme de Boumerdès est due à la qualité technique du bâti. La fraude sur la qualité et la quantité des matériaux a été fatale. L’enquête diligentée à l’époque par le ministère de l’Habitat a traîné la savate jusqu’à ce qu’on ait oublié d’en reparler. De même, les constructions anarchiques, ne répondant à aucune norme architecturale ni urbanistique, rendent difficiles, voire parfois impossibles, l’évacuation des personnes et le dégagement par la protection civile des personnes coincées dans un quelconque recoin de la maison ou du bâtiment. Globalement, les Algériens ont perdu les structures sociales traditionnelles sans gagner ce qui se fait de mieux, sous d’autres cieux, dans les services publics modernes. Certes, des réflexes, des atavismes, sont en train de reprendre leurs droits dans certains villages, non seulement pour faire barrage aux risques naturels, mais aussi pour instaurer un cadre de vie sain et propre. Certainement, c’est insuffisant. Mais, c’est là aussi un message aux pouvoirs publics, aux collectivités locales et à l’administration, de devoir prendre leurs responsabilités pour compléter l’effort des citoyens et l’inscrire dans la modernité politique, y compris en sensibilisant pour la contractualisation de la police d’assurance contre les catastrophes naturelles et les risques de toutes natures.   Incontestablement, le segment le plus important de la gestion des catastrophes naturelles demeure la prévention; œuvrer à ce qu’il n’y ait pas de catastrophes, lorsque cela est possible; ou à ce qu’il y en ait moins. Faire en sorte que, s’il y a une calamité il y ait le moins de victimes possible. La communion entre la société dans ses structures les plus profondes, avec l’action des pouvoirs publics, s’appuyant aussi sur les compétences scientifiques du pays, est la seule à même de faire tendre les efforts de tout le monde vers cet idéal de la protection des biens et des personnes face aux aléas de la nature et aux risques domestiques et industriels.                  

Amar Naït Messaoud 

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