«La défunte était à sa 5e césarienne et…»

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Après le décès d’une parturiente jeudi dernier à la clinique gynéco-obstétrique Sbihi Tassadit de Tizi-Ouzou, Mme Yebdri, directrice de l’établissement, revient sur les circonstances du décès dans cet entretien et évoque d’autres questions.

La Dépêche de Kabylie : Une parturiente est décédée jeudi dernier après une césarienne pratiquée au sein de votre établissement. Pourriez-vous nous expliquer les circonstances de ce décès ?

Avant tout, en tant que citoyenne, mère et gestionnaire, je présente toutes mes condoléances à la famille de la défunte. Ce décès nous a profondément affectés. Le cas de Madame Z. B. était particulier, on l’a suivi de près dès le début, notamment le docteur Hami, gynécologue, qui a beaucoup apporté à l’établissement. Depuis mon installation il y a quatre mois, j’ai constaté une énorme amélioration dans la gestion du service médical, et c’est tout à son honneur. Donc, le cas de cette jeune femme était celui de 60% des patientes que nous recevons au sein de l’établissement. Ce sont des patientes qui sont suivies dans le privé. Ce dernier ne leur accorde pas d’attention, ce qui fait qu’il passe à côté de beaucoup de choses. Le cas de la défunte, selon le docteur Hami, nécessite au moins une heure de prise en charge lors de chaque visite. C’était une patiente qui était à sa cinquième césarienne et dont l’utérus est cicatriciel, donc elle courait plusieurs risques. La norme est de trois. Sur le plan gynécologique, elle était très bien prise en charge. Le médecin, après une hémorragie aigüe, demanda l’autorisation d’appliquer une hystérectomie (ablation de l’utérus) pour arrêter le saignement. Son état a été stabilisé après l’opération. Malheureusement, juste après, on a été confrontés à un problème d’insuffisance rénale, qui nécessitait une dialyse. Ce qui nous a poussés à l’évacuer en urgence au CHU Nedir Mohamed, où elle a rendu l’âme. La cause du décès est l’inertie utérine. Nous avons une unité de réanimation qui fonctionne correctement, avec neuf réanimateurs, mais le cas de cette patiente nécessitait une prise en charge par une unité d’hémodialyse (il n’existe qu’une seule au niveau de la wilaya de Tizi-Ouzou).

Vous êtes nouvellement installée à la tête de cette structure sanitaire. Pourriez-vous nous dresser l’état des lieux ?

Ce que je peux assurer, en quatre mois de service au sein de cet établissement, est que les patientes sont très bien prises en charge. Nous avons d’excellents praticiens qui effectuent un travail remarquable malgré qu’ils soient dépassés par la charge. Toutefois, ce facteur ne constitue pas un motif de négligence et nous ne sommes pas dans l’incapacité de suivi, mais plutôt dans celle d’accueil, vu que nos structures sont limitées. Nous avons 72 lits et nous accueillons le triple de ce chiffre et parfois plus, surtout en été. On a en moyenne 35 admissions par jour. On accueille les cas les plus complexes de toute la région. Les patientes nous viennent d’Alger, de Bouira, de Boumerdès et d’ailleurs encore. On a toujours demandé que ce soit moi ou mes prédécesseurs, la réalisation d’un établissement qui aura une plus grande capacité d’accueil. Le projet devait être inscrit, mais vu la conjoncture économique actuelle, j’en doute fort. On travaille avec nos propres moyens. Nous avons tout pour prendre normalement en charge une parturiente. Récemment, on s’est endettés pour prendre en charge une patiente. Nous avons même cotisé pour payer une césarienne chez un privé pour une autre. Son cas le nécessitait, son mari a refusé de payer. Les patientes des fois s’impatientent et s’orientent vers le privé. On ne peut les renvoyer ou les abandonner. Ce qui est à noter, c’est qu’on est en manque d’effectif (paramédical) surtout les sages-femmes qui sont en majorité sur le point de prendre leur retraite. La prochaine promotion est attendue en 2017. Des fois, on a un problème de garde à cause des médecins qui n’avertissent pas en cas d’absence, mais on se débrouille toujours pour assurer la permanence.

Quel sera votre plan d’action pour «soigner» la réputation de la clinique après ce drame ?

Avant, j’entendais dire, comme tout le monde, qu’à Sbihi, les femmes sont reçues par terre, agressées verbalement et même physiquement. J’entendais dire que Sbihi était une boucherie. Mais je vous assure que de l’intérieur, on voit les choses autrement. Je tiens à signaler aussi que l’inconscience de certaines femmes ne nous facilite pas la tâche (elles ne suivent pas pendant la grosse, certaines sont âgées, d’autres nous cachent leurs maladies, etc). Toutefois, la mise en fonction du pôle d’Azazga avec cinq gynécologues, nous soulagera un peu, vu qu’il prendra en charge les patientes d’Azazga. On souhaite que les gynécologues qui sont dans la périphérie prennent en charge les patientes qui sont dans leurs localités. On a un problème d’orientation des malades. On nous envoie des fois des patientes qui peuvent être prises en charge facilement à leur niveau. Les patientes de Tizi-Ouzou ne représentent que 40% des admises. On reçoit même des malades de Béjaïa, d’Oran, de M’sila, de Bordj Bou-Arréridj… Si chaque établissement faisait son travail correctement, on aurait eu moins de charge et une meilleure prise en charge. On gère la situation au jour le jour. On compte sur les autorités pour avoir un établissement plus spacieux, plus apte à répondre à la demande. Nous appelons les établissements voisins à nous envoyer des sages-femmes pour nous «dépanner». On ne lésine pas sur les moyens et autres équipements, on achète tout ce qu’il faut mais malheureusement, le problème qui se pose est l’usure. Le manque de réactifs est un problème de taille auquel il faut remédier prochainement. D’ailleurs, je remercie le CHU qui nous dépanne souvent sur tous les plans.

Justement, des rumeurs sous-tendent un éventuel rattachement de votre structure au CHU…

Je ne peux pas me situer, Sbihi Tassadit est un établissement autonome créé par décret exécutif en 1997, le rattacher remettra en cause ce décret. Pour ce faire, il faut une réorganisation de la carte sanitaire; d’ailleurs, une nouvelle est en cours de préparation. Pour le moment, il n’y a pas de démarche concrète dans ce sens. En tout cas, si cela arrive à se concrétiser, on sera soulagé.

On vous laisse conclure …

Il faut être à l’intérieur de Sbihi pour comprendre la pression que nous vivons. On n’a pas le droit à l’erreur, on est tout le temps vigilants, 24h sur 24. Je suis ravie d’intégrer l’équipe de Sbihi malgré la charge de travail. On est très loin de la moyenne nationale de mortalité qui est de 11%. J’appelle les époux à casser certains tabous qui mettent en danger la vie des parturientes.

Entretien réalisé par Kamela Haddoum

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