«Les CET représentent une solution limitée»

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Dans cet entretien, l’expert en agro-écologie, Hammoum Arezki, dit son petit enthousiasme pour l’option des CET dans la gestion des déchets ménagers. Lui, il se dit convaincu que seule la formation d’éco-citoyens, appelés à s’investir dans le tri, le compostage et le recyclage, pourrait constituer une alternative durable.

La Dépêche de Kabylie : Pourriez-vous tout d’abord vous présenter à nos lecteurs ?

Hammoum Arezki : Je suis né en 1965 à Athwizgan, dans la commune de Bouzeguène. J’ai eu mon doctorat en agro-écologie en France en 2006. Depuis 2007, je suis chercheur et maître de conférences à la faculté des sciences biologiques et des sciences agronomiques à l’université Mouloud Mammeri. En nous inspirant de ce qui se fait dans d’autres pays, nous axons nos recherches sur les questions environnementales, notamment la gestion des déchets solides. Nous formons les étudiants dans ce domaine et nous travaillons avec la société civile. Nous avons pu créer 17 associations à travers la daïra de Bouzeguène, le but étant de former des citoyens écologistes.

Comment réagissent les villageois à vos opérations de sensibilisation ?

En effet, un groupe de 25 étudiants qu’on forme à la gestion des déchets se déplace à travers tous les villages, afin de sensibiliser les gens et les aider à trouver des solutions adaptées à chaque région. Nous ciblons notamment les jeunes pour les former à créer et bien gérer une association environnementale. Nous avons visité plus d’une centaine de villages dans toute la wilaya de Tizi-Ouzou. Les salles étaient à chaque fois pleines. Les citoyens se sont montrés soucieux de leur environnement. Nous avons formé beaucoup de villageois au compost et autres techniques de recyclage des déchets. Les gens nous suivent. Les femmes notamment ont très vite adopté le tri des ordures, avant de les apporter au centre de tri. Mais ce ne sont pas tous les villages qui bénéficient d’un centre de tri. A Illoula par exemple, les villages sont dispersés et il n’est pas pratique de mobiliser un transport lourd pour une petite quantité. Malheureusement, les autorités locales ne suivent pas. Ce sont les mairies qui doivent collecter les déchets recyclables à travers les villages pour les transporter vers des entreprises qui attendent de la matière pour travailler. Le maire de Bouzeguène avait promis en 2015 de voter un budget pour aider les villages dans la gestion des déchets, mais rien de concret n’a suivi.

Quel constat faites-vous sur l’environnement à Bouzeguène ?

C’est une véritable catastrophe. Glissements de terrain, déforestation, eaux usées à ciel ouvert… Mais le pire, c’est la mauvaise gestion des déchets, ce qui a un impact négatif sur tous les secteurs : agriculture, économie, tourisme… La décharge d’Azaghar fut le point de départ d’un gigantesque incendie qui a ravagé des centaines d’hectares d’oliviers en 2012. Et plus de 200 ruches d’abeilles ont disparu. Le chef-lieu de la commune est envahi d’ordures. La loi 01 19 du 12/12/2001, relative au contrôle, à la gestion et à l’élimination des déchets parue au journal officiel n° 77 du 25 /12/2001, notamment l’article N°2, énonce à l’Etat les principes de «l’organisation du tri, la valorisation des déchets par leur réemploi pour obtenir des matériaux réutilisables et de l’énergie….». Mais elle n’est pas appliquée. Le ministère de l’Environnement préfère le traitement par CET, imposant aux citoyens les articles n° 55, 56 et 57 qui leur interdisent de «jeter, abandonner ou refuser d’utiliser le système de collecte de déchets mis à leur disposition». Mais quand ces moyens font défaut, on ne peut sanctionner le citoyen. Est-ce logique de gaspiller 7 millions de dinars tous les six mois, tirés du fonds public, pour engager une entreprise privée qui évacue une partie des déchets du chef-lieu et du plateau de Loudha ? Et si au moins cela était efficace ! Pourtant avec cette somme, on pourrait mettre fin au problème des déchets, avec une gestion durable intégrée. Le CET de Tizi-Ouzou était destiné à accueillir les déchets de trois communes : Tirmithine, Draâ Ben Khedda et Tizi-Ouzou, mais il dessert 17 communes… Donc, au lieu de 15 ans il ne fonctionnera que 5 ans. Il faut investir dans la formation d’éco-citoyens. La daïra de Bouzeguène compte plusieurs sites touristiques qui, mieux que le pétrole, représentent une vraie richesse qu’on doit tous préserver.

Les autorités, notamment locales, n’ont donc jamais pris au sérieux vos propositions concernant la gestion des déchets…

Effectivement, je suis déçu par la négligence et l’insouciance des autorités locales et de willaya. Les déchets sont pourtant l’un des plus grands problèmes dont souffre notre environnement, mais tous les responsables que j’ai sollicités n’ont fait preuve d’aucune volonté politique de régler définitivement la question de la gestion des déchets. Tout le monde, citoyens, entreprises et institutions de l’Etat, doit intégrer la culture du «Rien ne se jette, rien ne se perd, tout se transforme». Les autorités ont tendance à aller vers la solution la plus facile. Nous ne devrions plus chercher combien cela coûte, mais plutôt combien cela rapporte. La solution durable est bien le tri, le compostage et le recyclage à 80% de nos déchets qui ont une valeur. Le centre d’enfouissement technique est un trou, un casier où on veut tout mettre. Mais nos déchets ne sont pas tous destinés à l’enfouissement. Un CET a une durée de vie maximum de 15 ans, et après on doit chercher une autre solution. Au niveau des villages, nous avons réussi à convaincre les citoyens de l’importance des centres de tri.

Un exemple de village où le centre de tri fonctionne comme vous le souhaitez ?

Je suis très content et même très fier de dire que plus d’une dizaine de villages de la daïra de Bouzeguene ont pu réaliser leur centre de tri. Je prends le premier, Taourirth. Un village de 1500 habitants, dans la commune de Bouzeguène. Grâce à la volonté des villageois, on a pu ouvrir en août 2014 un centre de tri des déchets ménagers qui fonctionne comme une déchetterie. Même de très vieilles femmes ont très vite compris la technique. Elles rapportent leurs différents déchets dans des sacs de couleurs différentes et font des kilomètres pour arriver au centre. On estime à 60% la valorisation des déchets organiques à Taourirth. C’est en effet un schéma très simple et pas coûteux. Pour la collecte sélective, on n’a même pas besoin de mobiliser un moyen de transport. C’est un gros avantage surtout que nous sommes confrontés en Algérie aux difficultés d’assurer la maintenance du matériel roulant. Cela fait participer les citoyens qui sont les producteurs de ces déchets et donc les premiers concernés. Je crois que c’est le seul schéma qui puisse réussir en Algérie. Les autorités locales et de willaya sont priées d’encourager ce genre d’initiative et de s’y impliquer. L’association écologique de Taourirth trouve par exemple des difficultés à commercialiser les déchets triés, tel que le plastique dont le coût de transport dépasse largement sa valeur marchande. Nous aimerions que la commune de Bouzeguène soit prise comme territoire pilote, afin de mettre en place une stratégie globale pour la gestion durable des déchets par le tri sélectif, la collecte sélective et la valorisation des déchets. Nous travaillons par ailleurs avec les associations écologiques, dans le but de former et accompagner les jeunes dans la création et l’installation d’entreprises de valorisation dans la daïra. Nous voulons que tout le monde comprenne que les déchets ont une valeur, ils représentent une richesse économique pour le pays.

Figue, plantes médicinales… Toutes ces fêtes qu’on organise annuellement dans la région apportent-elles un plus ?

Il est temps de sortir du festif pour aller vers l’économique. Quand on organise la Fête de la figue, on doit le faire pour promouvoir sa culture et préserver le figuier. Il faut toute une équipe de spécialistes pour développer l’agriculture de montagne, commercialiser, économiser et rapporter de l’argent pour la région. La fête doit être une occasion pour faire un bilan de la situation, selon des objectifs tracés, tout en prenant compte de l’environnement. Une région insalubre rate ses chances économiques et touristiques.

Que pensez-vous du concours du village le plus propre qu’organise chaque année l’APW ?

Je crois qu’il est très utile. Il permet de motiver les villageois. Mais l’administration ne doit pas s’en contenter, ça ne doit être qu’une étape de sensibilisation. L’APW doit mettre en place pour la willaya une stratégie globale pour une gestion durable des déchets par le tri et le recyclage. Les CET n’y jouent qu’un infime rôle. Il ne sert à rien de régler un problème durant un mandat et léguer ses retombées à ceux qui viennent après.

C’est votre conclusion ?

J’ajouterai juste que l’Etat seul ne réglera jamais le problème des déchets. Il est temps que les citoyens prennent en charge ce volet. Le tri doit se faire au niveau de chaque foyer, dans chaque village et doit se généraliser dans chaque commune, puis dans chaque daïra. C’est une chaîne à respecter. Je lance un appel aux habitants de Bouzeguène, pour une mobilisation générale de tous les instants, afin de résoudre le problème de l’environnement qui risque de nuire à la santé publique, physique et mentale. Qui peut vivre sereinement et en bonne santé là où il ne peut même pas ouvrir sa fenêtre pour respirer ?

Entretien réalisé par Fatima Ameziane

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