Le multilinguisme et le développement humain en débat

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«Le multilinguisme en recherches doctorales», «L’attitude linguistique des Tizi-Ouziennes vis-à-vis des dialectes et langues» ou «La capitalisation du multilinguistique dans le développement humain», sont, entre autres, les thèmes abordés lors d’un colloque international organisé à l’université de Tizi-Ouzou en fin de semaine dernière.

La politique du multilinguisme dans un pays se règle, en général, dans le cadre de sa culture et de son système politique, du moment que la gouvernance de la langue fait partie de la gouvernance générale, estiment les spécialistes. Qu’en est-il exactement de l’impact du multilinguisme sur le développement humain ? Une question essentielle qui était donc au centre de ce colloque international organisé par l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, les 7, 8 et 9 novembre derniers. Plusieurs communications ayant trait au multilinguisme et au développement humain, sous toutes ses formes, ont été programmées en trois langues (arabe, français et anglais) tout au long de ces 3 journées. La politique linguistique dans la société, en général, et à l’université algérienne, en particulier, étaient l’une des thématiques traitées par les chercheurs et spécialistes, lors de ce rendez-vous. Abordant le thème «Le multilinguisme en recherches doctorales» dans l’université algérienne, Dr Farida Bouarab-Dahmani, de l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, dira : «C’est comme un Algérien qui parlerait le français au travail, le kabyle en famille et l’arabe en société, du fait qu’il vit à Constantine par exemple. En résumé, les mots multilinguisme et plurilinguisme décrivent le fait qu’une communauté (ou personne) soit capable de s’exprimer dans plusieurs langues». Face à l’anglais, cette langue dominante qui est la plus sollicitée dans la diffusion des savoirs, la majorité des langues se trouvent, aujourd’hui, dans une position complexe qui vire à la marginalisation pour certaines, et ce, bien que l’élaboration, la diffusion et la transmission des savoirs n’ont jamais été le fait d’une seule langue et/ou culture», souligne l’intervenante. Pour le cas de l’Algérie, et malgré la situation linguistique qui est celle d’un multilinguisme, la langue arabe est déclarée, seule, langue nationale et officielle dès l’indépendance. Or la langue arabe coexiste avec d’autres langues, notamment le berbère. «Le français est largement usité au quotidien et est essentiellement utilisé dans l’enseignement supérieur, en particulier l’enseignement des sciences et technologies», rappellera Dr Farida Bouarab-Dahmani.

Quatre langues utilisées à travers les universités algériennes

En revanche, quatre langues sont utilisées actuellement par les universités en Algérie pour l’enseignement et la recherche : L’anglais, essentiellement utilisé par les départements de langue anglaise et de traduction/interprétariat. Quelques instituts spécialisés, comme l’ex-INELEC (actuel Département de Génie Électrique et Électronique (DGEE) de l’Université M’hamed Bougara de Boumerdès, ont adopté la méthode américaine d’enseignement supérieur et l’anglais comme langue de formation. Le français, utilisé au département de langue française, dans les facultés des sciences (technologies, génie civil, sciences de la matière, biologie, …), facultés de médecine, quelques enseignements en sciences économiques et commerciales … L’arabe, utilisé au département de langue arabe, dans les facultés de droit, quelques enseignements en sciences économiques et pour les enseignements de sciences sociales et humaines. Le tamazight, utilisé au département de langue et culture amazighes. A la fin de la communication, Dr Bouarab-Dahmani proposera quelques recommandations pour faciliter l’accès au multilinguisme : «Il faut créer une image positive sur la langue étrangère et attirer l’attention sur les qualités des personnes qui la parlent pour s’ouvrir à cette nouvelle langue et à sa culture ; Créer un service interuniversitaire pour le développement des langues ; Encourager et sensibiliser les étudiants pour l’apprentissage des langues avec les TIC», préconisera l’intervenante.

Les recommandations du colloque…

En ce qui concerne les enquêtes de terrain présentées lors de ce colloque, on citera la communication de Fadhila Leroul intitulée «Attitudes linguistiques des Tizi-Ouziennes vis-à-vis des dialectes et langues». Cette étude comparative a été effectuée sur le terrain dans quelques quartiers de la ville de Tizi-Ouzou en 2013. Les réponses d’une centaine d’enquêtées ont fait l’objet d’une analyse des attitudes linguistiques. Concernant les attitudes positives, la langue française vient en première position avec 97, 32%, dépassant légèrement le kabyle qui occupe la deuxième position, avec un pourcentage de 96, 43%. En cinquième et dernière position, on trouve l’arabe dialectal tizi-ouzien qui représente 17, 86%. Quant à l’arabe standard, il représente 70, 54%, et 55, 36% pour l’arabe dialectal en général. A signaler qu’aucune attitude négative n’a été enregistrée vis-à-vis de la langue française et du kabyle, selon l’étude. Par contre, 31,25% des enquêtées ont des attitudes négatives vis-à-vis de l’arabe dialectal tizi-ouzien, 1,78% de l’arabe dialectal d’autres wilayas et 8, 03% de l’arabe standard. Sur un autre volet, la langue française est valorisée chez le sexe féminin. L’étude montre également que la langue kabyle, en tant que langue maternelle, est valorisée par ses propres locutrices et par les locutrices des autres langues maternelles. Par contre, l’arabe dialectal tizi-ouzien, est peu valorisé que ce soit par ses propres locutrices 58, 33% ou par rapport aux locutrices de langues maternelles, kabyle 12, 22% et arabe dialectal 11,11%. Contrairement aux idées reçues, l’arabe dialectal tizi-ouzien est dévalorisé par les locutrices de langues maternelles, que ce soit le kabyle ou l’arabe dialectal. Enfin, le kabyle est valorisé en tant qu’identité, langue maternelle dans un paysage linguistique, contrairement à l’arabe dialectal tizi-ouzien qui est considéré uniquement comme une langue de communication dans un paysage linguistique.

Farida Elharani

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