«Tamazight a besoin de moyens»

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L’ancien membre de la coordination des comités citoyens de la wilaya de Bouira (CCCWB) lors du mouvement citoyen d’avril 2001, M. Djamel Yahiaoui, parle dans cet entretien de la situation actuelle de la langue amazighe, notamment sur sa récente reconnaissance officielle.

La Dépêche de Kabylie : Vous étiez impliqué dans le mouvement citoyen et dans les événements d’avril 2001. La revendication phare était la

reconnaissance de tamazight comme langue nationale et officielle. Comment a été votre réaction après son inscription dans la constitution en 2016 ?

Djamel Yahiaoui : Avant de répondre à votre question, je dois rendre un vibrant hommage à l’ensemble des militants et acteurs de la revendication identitaire en Algérie, et plus particulièrement en Kabylie, en plus des journalistes et des intellectuels qui se sont sacrifiés pour cette cause démocratique. L’officialisation de tamazight et son inscription dans la constitution est un acquis de longues et douloureuses années de lutte de tout un peuple. C’est un grand acquis du mouvement identitaire, rendu possible grâce aux sacrifices des militants, d’intellectuels et de citoyens algériens. Mais il faut préciser que beaucoup reste à faire, car il ne suffit pas d’inscrire tamazight dans la constitution. Il faut mettre à sa disposition les moyens humains, matériels et financiers nécessaires pour son épanouissement, sa promotion et son développement en une langue des sciences, de littérature et une langue qu’on pourra utilisée dans notre quotidien et dans nos échanges. En plus de cela, il faut officialiser tamazight sur l’ensemble du territoire algérien et pas uniquement à l’échelle de quelques wilayas. Il faut aussi lever le caractère facultatif ou optionnel pour son enseignement. Il faut que tamazight soit enseignée dans nos écoles au même titre que les langues arabe, française, anglaise… Je dirais, donc, que notre combat se poursuit toujours, pour que l’État reconnaisse entièrement cette langue.

Quels sont ces moyens qui doivent être mis au service de Tamazight au stade actuel ?

En premier lieu, il faut procéder à la création effective de l’académie berbère. Ce cadre officiel, pédagogique et scientifique, devra disposer de l’ensemble des moyens humains et matériels pour assurer, d’un côté, les travaux de la recherche pour la promotion de cette langue et, d’un autre, sa promotion et son utilisation dans la vie quotidienne des Algériens, plus particulièrement dans les administrations publiques et les écoles à travers tout le pays. Il faut aussi investir d’une manière durable dans la formation des instituteurs en langue amazighe, notamment pour satisfaire le processus de sa généralisation dans l’enseignement. Il faut aussi réadapter les textes et règlements officiels, de manière à permettre l’introduction de tamazight dans les administrations, les entreprises et la vie quotidienne des Algériens.

Selon vous, le combat pour Tamazight doit se poursuivre de quelle manière ?

Effectivement le combat et la lutte doivent se poursuivre d’une manière pacifique, comme c’est toujours le cas à travers l’histoire de l’Algérie. Les militants et les citoyens doivent rester mobilisés au service de cette cause noble, car il faut rappeler à chaque fois la nécessité de la généralisation de tamazight en Algérie, mais surtout afin d’éviter la reproduction des erreurs que nous avons commis dans le passé, notamment concernant la généralisation de la langue arabe. Cette dernière a été officialisée et généralisée depuis les années 1970 mais sans moyens et sans pédagogie, et le constat est bien clair aujourd’hui. Je dirais, donc, qu’il faut établir une feuille de route bien étudiée et bien méthodique pour le processus de généralisation de tamazight. Il ne faut pas aussi négliger nos compétences et nos expériences, notamment dans les domaines de la recherche, de l’enseignement et de la promotion de tamazight, qui serviront pour sa généralisation.

Un débat a suivi l’officialisation de Tamazight, concernant les caractères qui devront être adoptés pour sa transcription. Que pensez-vous

de ce débat ?

Je dirais que tamazight a besoin actuellement d’objectivité, de recherche et de débats scientifiques. La question de sa transcription doit revenir aux spécialistes et aux chercheurs. Ce débat doit sortir de la scène politique et même sociale, et il doit revenir aux spécialistes qui travailleront en toute objectivité et sincérité.

Entretien réalisé par Oussama Khitouche

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