«Il faut réhabiliter la culture du figuier de barbarie»

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En marge de la journée d’étude dédiée au figuier de barbarie, organisée, jeudi dernier par la Chambre de l’agriculture de Bouira, Mme Nadhira Oulebsir, ingénieure d’état en agronomie au niveau de la DSA de Béjaïa, titulaire d’un master en biologie et vice-présidente de l’association Cactus Dz, révèle que l’avenir de la filière du figuier de barbarie demeure une opportunité à ne pas rater pour faire de l’Algérie l’un des plus grands exportateurs des sous-produits issus de ce cactus. Cette journée d’étude a été organisée pour vulgariser la culture du figuier de barbarie, une espèce utilisée jusque-là pour servir de clôture aux habitations en milieu rural. Toutefois, l’heure est arrivée, selon la conférencière, pour la figue de barbarie de s’introduire dans différents secteurs, en plus de l’alimentation traditionnelle qu’on lui connaissait. Les bienfaits du figuier de barbarie sont multiples, selon les dernières études menées. Des produits issus de la figue de barbarie algérienne sont commercialisés en France, à l’instar de l’huile et du tourteau utilisé dans l’industrie pharmaceutique pour en extraire la pectine préconisé pour les diabétiques et les traitements diététiques. Dans l’ensemble, cette plante est bénéfique de la racine aux fruits en passant par les raquettes, y compris ses épines très riches en sels minéraux. Pour les épines justement, des travaux de recherches sont effectués à l’université au laboratoire d’étude de Béjaïa mais pour en arriver à l’échelle industrielle, il est encore assez difficile de maitriser la technique. En substitut de produit frais, la conférencière s’attèlera à démontrer aux présents que les raquettes, après ébullition sont comestibles et même succulentes, vu l’engouement suscité par le couscous fait à base de ces raquettes qui a été rapidement savouré. De même pour les crêpes kabyles, toujours à base de raquettes de figuiers de barbaries, mais également des raquettes en condiment, un peu comme les cornichons mais en plus savoureux. Des plats traditionnels qui ont marqué les esprits des agriculteurs venus assister à cette journée, qui promettent de ne plus regarder de la même manière ce fruit et ce cactus disgracieux qui, avec ses épines, en effraient toujours plus d’un.

La Dépêche de Kabylie : Où en est la filière figuier de barbarie en Algérie ?

Nadhira Oulebsir : Par rapport à nos voisins tunisiens et marocains, nous sommes mieux organisés en matière de plantation de figuiers de barbarie. Et l’Algérie s’en sort mieux du côté plantation et planification pour développer cette filière. Par contre, sur le plan organisation, il reste encore du travail à faire. Cette filière existe qu’on le veuille ou non. Nous disposons de plantations, de transformateurs, et le marché demande ces produits. C’est le rôle de l’association d’organiser cette filière en coordination avec tous les maillons entrant dans cette culture. Depuis 2001, dans les pays voisins, cette filière s’est largement développée avec l’aide des investisseurs étrangers, ce qui n’a pas été le cas pour l’Algérie. Nous avons vu les exploits des pays étrangers dans la transformation des produits dérivés de la figue de barbarie. Nous pouvons aisément les devancer avec les cultures disponibles ici en Algérie. Il faut impérativement se constituer en filière pour tirer tous les bienfaits du figuier de barbarie. Déjà maintenant, on retrouve parmi les statistiques agricoles la figue de barbarie, ce qui fait que ce fruit est pris en considération comme plante rustique à l’image du caroubier. Nous allons, avec notre association, tout mettre en œuvre pour que cette filière s’impose comme telle. La nouveauté par rapport à nos actions depuis l’année dernière, est que nous avons arrêté de faire le travail de sensibilisation de proximité. Travail entamé depuis 2015, date à laquelle notre association a été créée. Maintenant, nous entamons des actions sur le terrain, et pour cela, nous avons besoin de formation. Je fais actuellement des formations pour les cadres au niveau des ITMA. Ces personnes, aussi bien au niveau des DSA que des Chambres d’agriculture, connaissent le potentiel du figuier de barbarie. Les actions sur le terrain se sont concrétisées avec des privés, adhérents de l’association pour que chacun s’occupe d’une mission pour planter autrement, notamment au niveau des steppes où la culture du figuier de barbarie se faisait de manière traditionnelle. Il existe des méthodes de plantations plus efficace et plus rentable pour l’exploitant, avec des itinéraires techniques à suivre. Nous sommes actuellement au stade de préparation du guide pratique pour ces agriculteurs avec illustrations, en collaboration avec le ministère de l’Environnement. En décembre dernier, lors du séminaire international avec les Mexicains, il y a eu parmi les recommandations faites, l’inscription de ce guide pratique avec les différentes méthodes de plantations, de valorisations. Cela se fera incessamment. L’objectif de cette journée d’étude est l’introduction de la raquette de figuier de barbarie dans la gastronomie kabyle en tant que légume à consommer à volonté.

Dans ces conditions, quels sont les objectifs de votre association ?

Au niveau de l’association nationale pour le développement du figuier de barbarie « Cactus Dz », créée en 2015, dont je suis la vice-présidente, nous avons plusieurs principaux objectifs, notamment celui de tracer un programme national pour le développement de la filière et de l’organiser afin de l’inclure dans les programmes de l’Etat pour sa subvention. Il faut impérativement procéder au classement du figuier de barbarie car, jusqu’à présent, nous ne savons pas s’il faut le considérer comme arbre forestier, arbre fruitier ou légume. La figue de barbarie n’a pas de classement et peut se retrouver dans toutes ces catégories. Avec nos 55 membres actifs, nous n’avons pas encore eu l’opportunité de nous organiser en bureaux de wilaya. Nous avons eu énormément de travail pour sensibiliser et pour faire des études sur le terrain à travers les 48 wilayas. Par exemple, pour cette année, par rapport à la précédente où nous avions juste abordé l’utilisation du fruit et des raquettes, nous nous concentrons sur le fait d’inclure la raquette de figue de barbarie en tant que légume entrant dans la préparation de plats traditionnels. Cette raquette de figue de barbarie est bourrée de bienfaits nutritionnels. Je voulais démontrer que non seulement elle est comestible mais qu’elle est très bénéfique pour la santé. D’ailleurs, la plante n’est pas seulement utilisée en cosmétique ou en produits parapharmaceutiques. Auparavant, elle était utilisée traditionnellement comme aliment de bétail, mais aujourd’hui il y a des techniques pour parvenir à un aliment de bétail complet qui est réalisé entièrement à base de figuiers de barbarie. En plus, des études ont été faites en Algérie et à l’étranger. Ainsi, les bienfaits du figuier de barbarie ne sont plus à démontrer dans le domaine pharmaceutique. La plante entière, de son épine à la raquette en passant par la fleur, le fruit et même ses racines apportent des bienfaits au corps humain. La fleur séchée est utilisée comme remède pour la prostate ; pour les enfants afin de les aider à avoir de l’appétit ; dans le traitement des diarrhées et même pour les produits cosmétiques. Ceci dit, cette fleur doit être séchée. Ensuite, vient le fruit qui est épépiné pour en tirer les graines afin d’en presser l’huile végétale. Un procédé assez simple qui demande toutefois des moyens colossaux pour extraire les graines du fruit, les séparer, les faire sécher avant d’en extraire l’huile. Une extraction à froid qui en fait ainsi l’huile la plus chère au monde qui coute entre 1 000 et 1 300 euros le litre, au prix de gros bien sûr. À titre indicatif, je peux vous dire qu’il faut 800 kg de pépins de figues de barbarie à presser pour atteindre un litre d’huile.

L’Algérie doit-elle revoir sa politique pour accroitre les plantations de figues de barbarie ?

Rien que pour les cultures faites par le Haut commissariat au développement de la Steppe (HCDS), une plantation pastorale de 52 000 hectares de figuiers de barbarie a été réalisée sur 25 wilayas. Cette superficie continue de s’étendre à travers le territoire national. D’ailleurs, ces wilayas ont bénéficié d’un programme spécial pour lutter contre la désertification et la fixation des sols. Il reste encore à comptabiliser et recenser les plantations du nord du pays qui ne figurent pas encore dans nos statistiques. Si vous prenez la wilaya de Souk Ahras, a elle seule, elle a réussi le pari d’atteindre l’autosuffisance en figues de barbarie mais en plus, elle pourvoit au besoin de 18 wilayas. C’est à partir de ce constat que l’heure est à la valorisation et à la transformation de ce produit sensible, dont la saison de récolte s’étale sur deux mois. Au delà le soleil les endommage. Je tiens à préciser que la valorisation du figuier de barbarie est passée par la certification des produits bios issus du cactus. La wilaya de Souk Ahras est un exemple qu’on doit extrapoler dans d’autres wilayas au vu des potentialités disponibles autour du figuier de barbarie. À Oum El Bouaghi, il y a eu la création, récemment, d’une coopérative, ainsi qu’une SARL à Béjaïa. Mais il y a également des unités qui travaillent dans le sous-produit de la figue de barbarie, à savoir confiture, vinaigre ainsi que dans la production d’huile. Il faut dire qu’à Béjaïa, il y a tout un laboratoire de l’université qui fait des recherches sur le figuier de barbarie, ce qui est important car, lorsque les scientifiques s’intéressent à une plante, elle sera immédiatement valorisée. À Tizi-Ouzou, il existe également deux unités de transformation. Nous avons également entendu dire qu’il y a des projets menés par des femmes à Médéa et Bouira. Des projets qui, j’espère, verront prochainement le jour. Il faut savoir que pour cueillir ces fruits dans les zones rurales du nord du pays, la main d’œuvre revient chère. Mais si l’on pense à la création de zones de plantation, la cueillette pourra se faire mécaniquement comme c’est le cas dans les zones steppiques ou dans le Grand Sud. Récemment, un producteur d’Alger a ramené des variétés de figuiers de barbarie en provenance d’Italie, c’est lui l’initiateur du consortium. Il a d’ailleurs tout un verger dans la banlieue d’Alger. La culture de ce cactus est très lucrative. Le ministère de l’Agriculture en a fait l’expérience en envoyant des figues de barbarie aux Emirats Arabes Unis. À Batna, il existe une unité de production spécialisée dans l’emballage qui a exporté, l’année dernière, plusieurs cargaisons de ce fruit vers l’étranger. Ce sont là que quelques exemples qui démontrent les multiples potentialités de l’Algérie dans cette filière que nous cherchons à promouvoir.

Entretien réalisé par Hafidh Bessaoudi.

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