«Quand la reine Élisabeth d’Espagne…»

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Ali Bachouchi, un enfant d’Ath Yenni et un adepte de tout ce qui concerne le patrimoine local, parle dans cet entretien de l’histoire du bijou, de son évolution et de ses perspectives.

La Dépêche de Kabylie : Vous êtes né à Ath Yenni et avez vécu de nombreuses éditions de la Fête du bijou. En témoin averti, quelle appréciation faites-vous de la Fête et du bijou de manière générale ?

Ali Bachouchi : Ath Yenni est la terre du bijou d’argent. La localité a cette particularité d’être le berceau de la bijouterie depuis des siècles. L’arrivée du bijou à Ath Yenni se situe lorsque la reine Élisabeth d’Espagne (Catholique 1ère) a voulu reconquérir le royaume de Grenade et ce fut la chasse aux Musulmans et aux Juifs qui avaient refusé de devenir Chrétiens. Ils avaient regagné les trois pays d’Afrique du Nord : Maroc, Algérie et Tunisie. Ceux qui ont choisi l’Algérie se sont concentrés à Béjaïa, exactement à Ath Abbès, sous le commandement du Sultan Abdellaziz qui était en guerre continue contre le roi de Koukou, dont les Ath Yenni faisaient partie. Quand il a eu le dessus sur le roi, il avait éparpillé ses sujets à travers le royaume. Et à Ath Yenni, une famille des Ath Abbès de Béjaïa serait venue s’installer à Taourirt Mimoun. On dit que ce sont les ancêtres de la famille Allam qui ont eu une parcelle de terrain à Agoulal, sur laquelle ils ont construis leur maison et leur atelier.

Le métier de la bijouterie aurait été alors répandu par des ancêtres des Allam?

La maison construite est devenue par la suite, ce que je suppose, le premier centre de la formation en bijouterie. De nombreux jeunes du village d’Ath Larbaâ ont appris le métier. Et de nos jours, ce village recèle beaucoup de bijoutiers, puis viennent les villages Ath Lahcène et Taourirt Mimoun où on exerçait aussi le métier de l’armurerie, du commerce, d’ébénisterie… Voilà comment est arrivé le métier de bijou dans sa forme moderne, c’est-à-dire par cloisonnement en prenant une plaque d’argent et la partager en plusieurs motifs, sur lesquels on versait les émaux. La cuisson se faisait à une température de 860&deg,; si ma source est fiable.

Que pensez-vous de la relève ?

En visitant les stands, j’ai constaté beaucoup de jeunes qui travaillent l’argent, ce qui constitue une véritable relève avec maîtrise et goût et c’est très encourageant. Ils ne sont pas restés avec les vieux modèles. Ils ont un esprit créatif. Mais attention, la modernité du métier ne veut pas dire la disparition de l’âme du bijou et la finesse du travail. Cette âme existe toujours et c’est à cela que le bijou des Ath Yenni se reconnait. Les quatre couleurs sont le bleu (couleur du ciel), le jaune (du soleil et des épis de blé), le vert de Dame Nature et le rouge du corail. Il y a aussi une autre caractéristique : la décision de Tadjemaât. Une loi non écrite et appliquée de nos jours : on ne fabrique pas des bijoux purement en or. Pour ces deux métaux, on ajoute un autre : le cuivre qui est aussi conseillé contre les rhumatismes, à la place du nikel qui irrite la peau.

Mais sinon si vous deviez porter une appréciation sur la Fête du bijou telle que célébrée ces dernières années…

À chaque édition, il y a de l’amélioration, de l’engouement chez ces jeunes qui veulent pousser plus loin ce bijou kabyle tout en se gardant de ne pas perdre son âme. Sur le plan qualité, je peux dire que d’année en année, il y a une évolution qui va dans le sens de la demande des jeunes. Cependant, les bijoux anciens qui passent de mère en fille ne peuvent être vendus. Il ne faut pas perdre de vue aussi la nouvelle génération qui cherche de nouveaux styles tout en retrouvant cette âme du bijou des Ath Yenni : conservation de l’alliage et des couleurs. Il faut tout de même apprécier le professionnalisme des jeunes qui perpétuent ce patrimoine chez les hommes et chez les femmes.

Qu’en est-il de la disponibilité de la matière première, notamment le corail ?

N’étant pas bijoutier, je ne peux vous donner une réponse exacte à ce sujet, néanmoins j’ai demandé aux artisans ce qu’ils en pensent et tous sont unanimes à affirmer que la matière première fait défaut, ce qui augmente aussi les prix. L’absence du corail est flagrante.

Un mot pour conclure…

Je souhaite que chaque année, la Fête du bijou apporte quelque chose de nouveau, beaucoup de joie. C’est aussi le croisement des rencontres entre gens venus des quatre coins de l’Algérie. Pour permettre un véritable développement de cet art, la matière première devrait être disponible et plus elle se fait rare, plus les prix augmentent. Il faut éviter ces fausses concurrences avec ces trocs et faux alliages. Nos jeunes ont du goût, un esprit créatif, donnons leur les possibilités de les développer dans l’intérêt de la promotion de ce bijou berbère.

Entretien réalisé par M A Tadjer

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