Un village historique marginalisé

Partager

Faisant partie des quatre villages qui composent la commune d’Amdoune n’Seddouk, située au piémont de la majestueuse montagne d’Achtoug, Seddouk Oufella a toutefois sa spécificité. 

Son appellation de ‘’village historique’’ n’est pas le moins du monde usurpée et c’est la raison pour laquelle l’ONEC a décidé d’y faire démarrer les festivités de la célébration du 18 Février, journée nationale du Chahid. En effet, un riche programme y a été concocté. Le Village de Seddouk Oufella a payé un lourd tribut pour la souveraineté du pays. Une foule de gens vient chaque année implorer la ‘’baraka’’ de Cheikh Belhaddad. Des hommes de culture, des chercheurs et des historiens viennent y puiser de témoignages sur l’insurrection de la population locale contre l’occupant colonial. Le village a par ailleurs d’autres atouts, touristiques ceux-là qui attirent un grand nombre de visiteurs et de vacanciers. Ils viennent y chercher la détente et un dépaysement, laissant derrière eux le tumulte de la ville et les tracasseries du quotidien. La région offre en effet des paysages enchanteurs. Pour en revenir à la commémoration de la journée nationale du Chahid, les festivités ont démarré le samedi 15 février, au chef- lieu. Dés 8h du matin, la grande placette, où se trouve le siège de la mairie, grouillait de monde, dont les enfants de chouhada qui se sont mobilisés pour la circonstance. Malgré le fait que le bus de la mairie qui devait être là à 9h a eu un retard de deux heures, les présents ont pris leur mal en patience. Tout le monde était prêt pour la visite guidée au village de Cheikh Belhaddad. Le cortège composé dudit bus et d’un grand nombre de voitures s’est ébranlé vers 10h30.

Le village du chantre de l’émigration, Hammouche Mohand

A partir des Trois chemins de Taghzouit, les paysages présentent un merveilleux décor. Sur la RN 74, sinueuse, mais large et en montée sur 8 kms, les yeux s’écarquillent du panorama splendide qu’offre la généreuse nature. Des amandiers fleuris bordant tantôt des oliveraies, tantôt des figueraies, sont un enchantement pour les yeux. Au détour d’un virage, nous laissons la côte pour déboucher sur une plaine à la verdure éclatante entourant des habitations. Certaines, très anciennes, ressemblent à des gites ruraux, tandis que d’autres ont été très récemment construites. C’est la région d’Amdoune n’Seddouk que certains découvrent. Nous traversons le quartier Tizza, dont la chaussée de la route est dans un piteux état, tenons-nous à signaler. Puis nous arrivons à Tibouamouchine, le village du grand chanteur de l’émigration, Hammouche Mohand. La localité souffre également de l’état lamentable de sa route principale. C’est pourtant le village le plus important de la commune de Seddouk. Un notable nous dira combien ce village est marginalisé. Heureusement que l’association Assirem, gérée par de jeunes universitaires, a entamé des actions d’embellissement de la placette d’Agoulim, tout en sensibilisant les habitants sur le respect de l’environnement.En quittant Tibouamouchine, et après seulement deux kilomètres, nous nous retrouvons face à la pancarte qui annonce ‘’village historique de Seddouk Oufella’’. Par une bifurcation, nous y parvenons.

«Si les voleurs sont intelligents, ils voleraient du fumier»

La verdure bat son plein et annonce déjà un printemps des plus beaux. Une fontaine située au bord de la route laisse couler une eau cristalline, attestant que l’endroit regorge de sources sortant directement des entrailles de la terre. Elle atteste aussi que cheikh Belhaddad et les familles composant ce village ont choisi l’endroit pour l’abondance de cette richesse, source de vie. L’agriculture est d’ailleurs la seule économie de la région où l’on se transmet, de génération en génération, un dicton laissé par Cheikh Belhaddad : «si les voleurs sont intelligents, ils voleraient du fumier». Et l’on comprend par là toute l’importance que revêt en effet cet engrais naturel dans toute la région. Un grand nombre de voitures sont garées sur les accotements. Les occupants en sont tous descendus et attendent patiemment leur tour pour, certains pour remplir des jerricans, d’autres pour se laver le visage ou boire quelques gorgées. L’on se croirait dans l’éden, entouré de verdure caressée par un soleil radieux, de fleurs dominées par la lavande dont les odeurs enivrantes chatouillent les narines et d’oiseaux qui gazouillent et virevoltent de branche en branche. Nous sommes à 1 200 mètres d’altitude et la semaine dernière encore, les cimes étaient couvertes de neige qui a vite fondu. En arrivant à Taâssast, ce sont les membres de l’association Isulas, à leur tête Lahnèche Kheirdine, le président, qui a accueilli la délégation. Celle-ci se dirigea immédiatement vers la stèle des Chouhada, réalisée en 2010 par les villageois eux-mêmes qui ont mis la main à la poche. Sur une plaque en marbre, on peut lire les noms des 60 martyrs du village. Après le dépôt d’une gerbe de fleurs, une minute de silence a été observée. Rappelons que le village a bénéficié d’un budget spécial, alloué par la présidence de la République pour la construction d’un mausolée où reposent les ossements de cheikh Belhaddad et un de ses fils, transférés du cimetière de Constantine en 2009. Cela permit également la reconstruction de la maison des Khouans et de l’ancienne demeure de cheikh Belhaddad. Tous ces endroits furent visités par l’imposante délégation. Au niveau du mausolée, une femme du village a déclamé des poèmes  sur la révolution qui ont ému l’assistance.

Des familles de la région en Nouvelle Calédonie

Ce village porte encore les stigmates de l’artillerie de l’armée française qui avait détruit une partie des maisons, en guise de sanctions pour la résistance de Cheikh Belhaddad, qui avait donné du fil à retordre à ses soldats, lorsqu’il appela au djihad, le 08 avril 1871 provoquant une insurrection qui avait embrasée toute la Kabylie. Le village avait reçu, il y a quatre mois, un invité de marque en la personne d’Abdelkader Mem, un journaliste d’une chaîne qatari qui prépare la réalisation d’un film sur les déportés à la Nouvelle Calédonie. Il était venu compléter son reportage avec des témoignages d’habitants de la région. Il a témoigné avoir trouvé beaucoup de familles de la région d’Amdoune n’Seddouk dans cette île du pacifique. Il a rapporté que beaucoup d’entre elles en pleurs voulaient rentrer au pays, sur leur terre ancestrale. Quant à l’histoire du village, le président de l’association locale a bien voulu nous livrer plus amples informations : «Cheikh Belhaddad était le père de la nation algérienne pendant 17 ans, soit de 1857 à 1872, au temps où il était guide de la Tarika Rahmania, une organisation qui avait à son actif plus d’une centaine de Zaouïas, répandues à travers le territoire national que vénèrent 300 000 Khouans. Il avait aussi soulevé les masses contre l’occupant colonial. Comme brillant homme était érudit et formait des étudiants en théologie. Durant la guerre, nous étions aussi en première ligne avec un lourd tribut consenti pour l’indépendance. Je citerai Benarabia Malek, dit Lekbayli, le premier martyr de la bataille d’Alger, mort lors d’un attentat à El Biar, Alger et Boudiba Larbi qui était commandant, il fut tué dans la région de Tizi-Ouzou. Souvenons-nous également de Mouhoubi Mélaâz, une héroïne qui a désarmé un harki. Elle fut assassinée par ce dernier », relatera notre interlocuteur.

Démission des autorités

«L’absence des autorités locales lors de cette visite guidée à Seddouk Oufella n’est pas passée inaperçue. Ça dénote de leur manque d’intérêt pour ceux qui ont sacrifié leurs vies pour le pays. C’est d’une telle ingratitude !», a souligné un habitant de ce village. Notre interlocuteur dénoncera par la même occasion l’état d’abandon dans lequel se trouve le village où notamment les jeunes sont livrés à eux même. «Nos jeunes souffrent le martyr. Ils n’ont même pas un stade où taper dans un ballon, ni une maison de jeunes où ils peuvent se retrouver. Nous sommes en 2014 et nous n’avons toujours pas de téléphone fixe. Nos jeunes sont donc aussi privés des bienfaits d’Internet. Le mausolée cheikh Belhaddad, construit avec des milliards en 2008, n’a toujours pas de statut. Il est géré par deux employés payés par l’ANEM. Par ailleurs, notre village est à vocation agricole, mais il manque cruellement de pistes agricoles. Et la liste des carences est loin de s’arrêter là», a-t-il ajouté révolté.Nous quittâmes le village, avec l’espoir d’y revenir une autre fois. Peut être à l’occasion de la commémoration de l’appel au djihad lancé par cheikh Belhaddad, soit le 08 avril prochain.La deuxième destination de la délégation fut le centre de tortures, où furent assassinés 5 Moudjahiddine, après avoir subi les pires sévices. Ils furent enterrés dans une fosse commune. Leurs ossements ont été transférés au cimetière de Tibouamouchine où une stèle portant leurs noms a été érigée.Le retour au chef-lieu eut lieu à 14h. Une conférence fut animée par deux moudjahidines, dans la salle des fêtes de la municipalité. Ils livrèrent des témoignages sur l’assassinat de 10 moudjahiddines ramenés par les soldats français de différents villages. La célébration de la journée du Chahid a duré quatre jours, proposant au public des expositions et différentes activités sportives. Elle fut clôturée, hier, 18 février, avec le dépôt d’une gerbe de fleurs au cimetière des chouhada, au chef-lieu de Seddouk.

L. Beddar.

Partager