Les Algériens étaient appelés, en ce jour 29 septembre, à voter pour la réconciliation nationale. Nous nous sommes rapprochés d’eux pour recueillir leurs témoignages et leurs impressions par rapport à la charte. Nous quittons Alger pour nous rendre à Sidi Moussa, Ben Talha et Larbâa, surnommés « le triangle de la mort », durant les années rouges. Nous y retournons dix années plus tard, accompagnés de A.B, un villageois de Sidi Moussa âgé de 22 ans, victime du terrorisme. A.B a perdu 14 membres de sa famille.Six kilomètres déjà, la route est presque vide. Trois barrages de la Gendarmerie nationale d’Alger, à Sidi Rezine. Une agglomération qui fait partie de Baraki. Quinze kilomètres après, une plaque annonce « Bienvenue à Sidi Moussa ». Il est 11h20, exactement. Tous les commerces sont ouverts dans la ville. Les gens, les femmes, les enfants, beaucoup plus d’hommes, circulent, contrairement à Alger qui semblait presque vide, quand nous l’avons quitté, en tout cas.En face de l’église Marabout, habitée par des familles, les propriétaires des magasins de chaussures à gauche, du taxiphone au milieu et du magasin de téléphonie mobile, apportent leurs témoignages par rapport au référendum. »Nous réclamons tous le retour de la paix, c’est tout ce qu’on peut vous dire », dit l’un d’eux. Les autres semblent être d’accord quant à cette réponse.Dans la rue, une femme, âgée de 40 ans portant un couffin, dira aussi : « Oui pour la réconciliation nationale, nous avons assez souffert ». A.B. semble déçu de ces témoignages, mais il finit par approuver. « Je ne sais plus quoi dire, je ne peux pas accepter l’idée de cohabiter avec des gens qui ont tué ma famille, mais je ne peux rien faire contre une politique qui m’offre le retour de la paix. C’est difficile de l’admettre mais, au fond de moi, je suis pour la charte », témoigne-t-il.Nous sortons de la ville pour nous rendre à Ouled Allal. Là, se trouve El Hofra, ainsi appelée par la population pour désigner la morgue de Sidi Moussa, à l’époque du terrorisme. Un endroit est choisi dans ce grand terrain agricole par le Groupe islamiste armé, (GIA) pour abandonner des cadavres. On y trouve au moins un mort aux premières lueurs matinales, chaque jour que Dieu fait. « Qui osait passer ici en cette période ? Ce lieu était occupé par le groupe islamique armé », dira A.B. Derrière ces terrains agricoles se trouve Oued Boudjmâa, le fief du GIA, habité bien avant par des villageois. Cette ville semble morte. Pas de voiture, pas de piéton, les demeures sont désertes. Même celles du quartier kabyle.A quelques mètres, nous apercevons de nouveaux logements. Cette construction, réalisée pour les victimes du terrorisme, a été inaugurée dernièrement par le ministre de la Solidarité, Ould Abbas. Oued Boujmâa est encore à quelques mètres, aucun signe de vie ne s’y manifeste. L’abri des terroristes a été démoli par l’armée nationale. Oued Boudjmaâ reste dépeuplé. Pour approcher la population, il faut se rendre à Larbâa, précisément au marché principal. Enfin, c’est le seul marché qui existe. »Vous retrouvez dans ce marché beaucoup plus de commerçants islamistes qui faisaient partie de l’Armée islamique du salut (AIS). Ils se sont rendus puis se sont battus pour défendre cette ville contre les attentats terroristes du GIA. Il est vrai que ce qu’ils ont fait est impardonnable, mais il faut également admettre que c’est grâce à eux que Larbaâ a été sauvée », témoigne un citoyen de la ville. Nous nous adressons, à l’intérieur du marché, à un vendeur de légumes. Le voisin d’à côté qui est en pleins travaux de rénovation, nous a dit qu’il s’agissait d’un « émir » de l’AIS. Il est venu de Tablat.L’ex « émir » nous parle en hésitant, mais il finit par s’exprimer tout de même, brièvement: « Je ne vais pas m’étaler sur ce sujet pour essayer de me justifier, je suis Algérien et j’ai le droit de voter. Je dis tout simplement oui pour la charte ». Le plus surprenant est que c’est la population la plus touchée par la sauvagerie humaine qui apporte sa voix avec ardeur à la réconciliation nationale. Sur le trottoir, trois enfants, souriant, disent d’une voix haute : « Oui à la charte ». C’est avec cette image que nous quittons Larbâa pour rentrer sur Alger.
Fazila Boulahbal
