Attouche, une paisible bourgade de la commune de Makouda. On parle peu de cette localité située à une vingtaine de kilomètres de Tizi-Ouzou ville.
Ou rarement.
Comme ce fut le cas avant-hier, à travers cette information confirmée par les services de la Protection civile qui faisaient part d’une découverte macabre : il s’agit de trois corps d’une même famille en état de décomposition avancée (voir notre édition de mardi dernier).
Ceux d’une mère de 72 ans et de ses deux enfants, un homme de 44 ans et une femme de 40 ans. Une découverte énigmatique qui a laissé pantois les habitants de la localité. Avant-hier matin, sur la route de Tigzirt, peu avant d’atteindre Makouda, une plaque de signalisation, tordue et visiblement calcinée, indique tout de même toujours la direction de Attouche : Il faut virer à gauche à la prochaine intersection. C’est une descente. De petits fourgons, assurant le transport vers le chef-lieu de la localité sont stationnés, donnant l’air d’une chenille immobilisée, juste à l’entame de la bifurcation.
Le long de la route sinueuse, les véhicules roulant en sens inverse ne sont pas fréquents. La route étroite et pressée de part et d’autre part, la végétation semble mener vers l’inconnu. Par moment, on éprouve la sensation de s’enfoncer vers le noyau de la terre, par d’autres, on se croirait monter vers Dieu.
C’est clair, la nuit, ça ne devrait pas être un circuit de plaisance, où il serait conseillé de se permettre une balade… Du moins c’est l’impression qu’éprouve tout de suite un visiteur étranger à la région.
Et ce n’est certainement pas ce cimetière implanté en bas de l’entrée du chef-lieu qui réconfortera les éventuelles appréhensions. Mais pour la population locale, cela fait partie du quotidien. Attouche vit à son rythme. La rue principale de la petite agglomération est animée. Au café du coin, le sujet de la vieille et de ses deux enfants, est évoqué.
Tout le monde en parle, mais personne ne semble s’expliquer ce qui s’est produit. « C’est une famille qui vivait isolée. Ils ne fréquentaient pas les gens du village. On les voyait rarement. Ils n’ont pas de relations avec les familles du voisinage, ni avec quelqu’un en particulier. C’est pour ça que personne ne s’est rendu compte de leur disparition. La vieille avait un caractère singulier, elle était très solitaire, elle n’était pas du genre à aller rendre visite aux autres ou à la famille. Elle préférait se retirer chez elle où elle avait l’habitude de s’enfermer avec ses deux enfants. Son mari, un ancien émigré est décédé il y a de cela une dizaine d’années ». Plus bas, au cœur des Ihedadden, le village de la famille endeuillée, les dires des uns et des autres concordent. C’est à croire que cette famille vivait déjà dans un monde à part. « On n’arrive toujours pas à comprendre ce qui s’est passé. Ils avaient pris l’habitude de vivre en retrait. On ne savait même pas qu’ils étaient là cela fait longtemps qu’on n’a pas croisé l’un d’eux. Des bruits ont couru qu’ils avaient une autre maison à Baghlia, avant de s’installer ici », confie un homme d’un certain âge.
Un autre qui l’accompagnait abondait dans le même sens : « Personne n’a rien compris à cette affaire. Ont-ils été tués ? Sont-ils morts par asphyxie ? Comment est-ce arrivé ? » C’est le flou total, et au village tout le monde est resté perplexe. Mais comment ne s’est-on pas rendu compte de la disparition de toute une famille ? Cette vieille sortait bien pour faire des achats pour survivre et le garçon avait bien pour habitude de faire de temps à autres des tours au village, même s’il ne sortait pas chaque jour…” Les réponses sont toutes évasives: « C’est vrai qu’elle sortait et allait dans les épiceries du village pour s’approvisionner, mais comme elle ne partageait pas de relations, personne ne s’est rendu compte de son absence. On a cru d’ailleurs qu’elle avait quitté le village. Certains disaient qu’ils avaient déménagé à Baghlia, pour d’autres à Draâ Ben Khedda, mais personne ne savait la vérité ». Devant la maison de la défunte, une imposante bâtisse de deux étages, quoique, pas complètement finie, c’est le désert. La demeure ressemble à un lieu abandonné. Le jardin est complètement asséché en dehors de quelques arbres qui semblent résister.
Pas le moindre voisin à proximité de la maison, pas même un gamin, malgré la grève scolaire. On peut atteindre les lieux par une piste tout juste carrossable. « C’est au bout de ce chemin », nous oriente une dame, croisée juste en quittant la route bitumée de la localité. Un voisin finira par pointer au bout d’un moment. Mais ce dernier ne nous a rien appris de plus.
« Moi, je ne les ai pas vus depuis maintenant près de deux ans. On ne savait même pas qu’ils étaient à l’intérieur de la maison ». Selon les témoignages recueillis auprès des villageois, la défunte famille était allée s’installer ailleurs. Jusqu’à ce que ce gamin découvre l’horreur, dimanche dernier.
Tenté par l’un des grenadiers bien achalandés du jardin de la défunte, ce dernier a alors enjambé la clôture de fortune pour cueillir un fruit. La curiosité finira par le conduire à la découverte macabre. Terrifié par ce qu’il venait de voir, il fera vite d’alerter la famille et les villageois. Selon une autre version, ce serait un proche, en visite à la défunte, qui aurait découvert l’effroyable spectacle avant d’alerter les autres.
Un indice partagé toutefois par ces diverses versions rapportées mais non confirmées par les officiels habilités : les premières données feraient croire que les décès seraient intervenus en temps de froid au vu de la literie et la bombonne de butane trouvée sur place au moment où il a été procédé à l’enlèvement des trois cadavres. Une version indiquant que des effets auraient été trouvés jetés à terre, laisserait supposer que la maison aurait été visitée. Une autre qui rapporte qu’une somme d’argent aurait été retrouvée dans la maison la contredit fatalement.
C’est dire qu’en l’absence d’un témoignage fiable, chacun y va du sien. L’enquête diligentée par les services de la police n’a, quant à elle, pas encore rendu ses conclusions. On croit savoir que les corps des victimes seraient toujours en leur possession pour une expertise approfondie.
Farid Ouaïl

