Aujourd’hui, il est facile de démontrer que la langue berbère n’est pas aussi redevable qu’on le pense à ces deux peuples et, qu’en retour, ces peuples ont, eux-mêmes, emprunté au berbère !
Emprunts phéniciensUn certain nombre de mots, donnés comme puniques, sont certainement d’origine arabe : c’est le cas de inir « lampe » et de agerjum « gorge ». Dans la liste donnée, le critère d’identification des emprunts puniques est surtout morphologique: l’emploi du morphème du pluriel – im, attesté également en hébreu, langue étroitement liée au phénicien et avec laquelle les mots berbères sont souvent confrontés dans ce type de recherche.On remarquera que c’est le vocabulaire de la botanique qui est le plus redevable au punique. Il n’y a là rien d’étonnant quand on sait que les Carthaginois étaient passés maîtres dans l’art de l’agriculture et de l’arboriculture. Il est possible que les Berbéres aient appris d’eux l’art de greffer et de soigner les arbres et qu’ils aient amélioré, à leur contact, leurs techniques et leurs instruments agricoles. On fera remarquer, cependant, que les principales plantes cultivées sont spontanées en Afrique du nord et qu’elles portent des noms berbères qui paraissent d’une grande antiquité, puisque communs à la plupart des dialectes berbères.: irden « blé », timzin « orge » pour les céréales, tazemmurt « olivier » (à côté du touareg tahatimt, qui serait, lui, d’origine punique), tazart « figuier » pour l’arboriculture. Les données linguistiques laissent donc croire que la culture de ces plantes est antérieure à l’arrivée des Phéniciens.Si on peut imaginer que des plantes non autochtones puissent porter des noms empruntés, le rattachement de plantes sauvages – donc forcément spontanées – à des mots étrangers ne se justifie pas. Pourquoi, en effet, les Berbères emprunteraient-ils aux Carthaginois le nom de l’aubépine ou celui du roseau qui font partie de leur environnement naturel ? Au demeurant, faut-il rattacher au punique tous les mots qui se terminent par – im ? Ils sont certainement plusieurs dizaines et il n’y a aucune raison de leur supposer une origine étrangère.Un certain nombre de mots donnés comme puniques pourraient appartenir au vocabulaire chamito-sémitique commun, auquel appartiennent le berbère et le phénicien. C’est le cas de elmed « apprendre », gbar « appeler, lire » etc. attestés dans les différentes branches de la famille. Il y a, enfin, les mots voyageurs que l’on retrouve dans des aires qui ne sont pas forcément apparentées. C’est le cas de agbanim « roseau » que l’on retrouve en latin sous la forme cana.
Emprunts latinsOn peut supposer qu’une partie de la terminologie relative à la charrue est empruntée au latin, les Romains ayant pu, en effet, introduire des modifications dans la charrue berbère ou plutôt, les Berbères ayant pu adopter certains éléments de l’araire romaine. C’est ainsi que le berbérisant français Emile Laoust écrivait, au début des années 1920 : »L ‘attelage actuel de l’araire berbère est romain ou visiblement modifié du romain et non de l ‘égyptien, le corps désignant les parties essentielles sont tous berbères… »Mais il reste l’hypothèse que les Berbères n’aient rien emprunté. « leur charrue, écrit encore Laoust, est-elle l’instrument modifié d’un modèle importé par des étrangers ? Est-elle due, au contraire, à l’initiative intelligente des autochtones ? C’est possible quoique nous soyons habitués jusqu’ici à considérer les Berbères comme tributaires de l’étranger pour les acquisitions précieuses qui ont le plus contribué, comme la charrue, au développement de la civilisation. Faut-il invoquer également la possibilité d’acquisitions techniques pour ce qui est de certains objets: afarnu « four », anaw « navire », tekamurt « fenêtre », tusebla « alêne » etc. ? Les ressemblances phonétiques et sémantiques sont fortes dans certains cas et plaident donc pour l’emprunt, mais il reste l’hypothèse que les mots appartiennent à un fonds commun, ce fonds méditerranéen que l’on évoque parfois. Par ailleurs, l’origine latine de certains mots n’est pas certaine. C’est le cas de pirus duquel on fait dériver le berbère ifires « poire » mais que les dictionnaires étymologiques latins mentionnent comme d’origine inconnue.Le vocabulaire « religieux » pourrait être le résidus de la période chrétienne de l’Afrique, avec des mots comme amerkidu « grâce » merces « grâce, salut » notions qui appartiennent à la terminologie ecclésiastique et surtout taleska « fête de l’aïd el kébir » qui proviendrait de pascua « Pâques ». Même si les dialectes où ces mots sont attestés (mozabite, ouargli, touareg) ne sont pas situés dans les anciennes zones christianisées, on peut supposer qu’ils y ont été transportés par les contacts entre les populations du nord et du sud, ou les déplacements du nord vers le sud.Certains mots comme aqittus « chat » (Nefousi) ou asnus « âne » (Chleuh, sont isolés et pourraient bien être des emprunts. De prime abord, la motivation de l’emprunt n’apparaît pas dans la mesure où il existe des dénominations berbéres et de surcroît communes à la majorité des dialectes. Peut-être, faut-il supposer des raisons sociologiques comme les interdits qui frappent certains mots berbères jugés maléfiques et les remplacent par des équivalents étrangers jugés plus neutres. Ces cas mis à part, on voit mal comment les dialectes berbères emprunteraient des mots pour nommer des référents qui font depuis toujours partie de leur environnement naturel : « faucon », « grenouille », « orme », « fève » ou même des techniques et des objets qui, en toute apparence sont locaux-: « hutte », « tente en poils », « hommage », « evain » et surtout les noms de plantes sauvages On peut objecter que des dénominations de référents locaux sont, dans beaucoup de dialectes berbères empruntées à l’arabe. Il faut répondre que les contacts entre l’arabe et le berbère sont plus étroits que ceux qui pouvaient exister avec le latin, principalement la langue des cités romanisées, et le berbère. Les pressions exercées par l’arabe, ainsi que la masse du vocabulaire emprunté ont fini par atteindre même les domaines de la vie traditionnelle.Enfin, quelques mots considérés comme des emprunts peuvent s’expliquer par le berbère. Ainsi awusu « période de calcule » pourrait provenir du verbe awes « bouillir, avoir chaud », attesté dans quelques dialectes, ifires « poires » pourrait se rattacher au verbe efres, attesté, lui, dans plusieurs dialectes avec les sens de « couper, tailler, émonder », iger « champ » peut provenir du verbe ger, avec le sens général de « mettre, introduire » mais qui connaît des sens secondaires dont celui, attesté en kabyle, de « produire, en parIant d’un champ ou d’un verger ». Le nom du jardin et du verger, urti, pourrait également être rapporté à un verbe berbère : erti, attesté en touareg avec le sens de « être mêlé, être un mélange de deux ou plusieurs éléments »Le vocabulaire « religieux » (supposé d’origine chrétienne) a également de fortes chances d’être berbère. En effet, abekkad’ « péché », rapporté au latin peccatum, doit plutôt être rattaché au verbe bekked’, attesté en chleuh, avec le sens de « être aveugle ». Quant à tafeska « sacrifice de l’aïd el kébir », rapporté au latin pascua « Pâques » (le mot latin lui-même provient de l’hébreu pesah ‘), il pourrait avoir, lui aussi, une origine berbère. Le chleuh qui possède le terme, connaît le mot asefk p. isefka « cadeau consistant en une bête égorgée offert par le mari à sa femme qui accouche », taleska, comme asefk pourraient dériver du verbe efk (métathèse: ekf) qui signifie « donner », ils auraient ainsi le sens de « don, offrande ».Parmi les apparentements douteux, citons pour finir tabburt « porte ». En fait, la forme originelle du mot est tawwurt, le bb étant une variante de ww qui se réalise aussi, parfois, gg, ce qui fait qu’il ne saurait provenir du latin porta. Au demeurant, on a montré depuis longtemps que le mot se rattache à un verbe wer signifiant « fermer, obstruer ».
Le berbère, langue prêteuse de motsSi on attribue avec une grande facilité une origine étrangère à un grand nombre de mots berbères, l’idée que d’autres langues aient elles-mêmes emprunté aux Berbères est très rarement formulée. Et pourtant, on peut aujourd’hui établir avec une quasi-certitude que des langues comme le latin, le grec ou l’Egyptien ancien, ont emprunté des mots au berbère. Ainsi, il est probable que les noms de plantes berbères, traditionnellement rapportés au latin aient une origine berbère. Au 19ème siècle déjà, le savant allemand, F.C.. Movers le soutenait et il cite entre autres, le nom de la lentille, lents en latin, talentit en berbère, et celui du pois chiche, cicer (prononcé Kiker), ikiker en berbère. Dans le domaine des arbres fruitiers, le nom latin du poirier, pirus, provient sans doute également d’un mot berbère ifires. En tout cas, ceux qui défendent l’hypothèse inverse d’un empunt du berbère au latin se heurtent à un écueil de taille : les dictionnaires étymologiques du latin indiquent que pirus est d’origine inconnue !Aux plantes cultivées et aux arbres fruitiers, il faut ajouter les plantes sauvages qui poussent dans les montagnes du Maghreb et dont les noms latins pourraient provenir du berbére : la garance, rubia, berbère tarubia, l’orme, ulmus, berbère ulmu, le cresson, crisonus, berbère gernunec, le chêne, quercus, berbére, akerruc, la massette, buda, berbère tabuda etc. Des spécialistes hésitent, aujourd’hui à établir, par le latin, l’étymologie de certains noms de plantes utilisés par les Romains : c’est le cas du nom du pyrètre, tagantes, du caroubier, siliqua et de la coloquinte, gelala. Or ces mots présentent une ressemblance frappante avec les noms berbères équivalents : tadjuntast, taslighwa (ou taselgha) et gelala. Pour gelala, l. ANDRE (1985, p. 239) pense qu’il provient du latin d’Afrique. Pourquoi pas plutôt du berbère ?Toutes les plantes citées ci-dessus sont spontanées au Maghreb, elles ont aussi, depuis les temps immémoriaux des usages pratiques (plantes tinctoriales par exemple) mais surtout médicinaux. C’est sans doute par ce dernier usage – Les Berbères étant réputés pour leur savoir dans ce domaine – que les mots berbères sont entrés dans le latin. On sait, par les auteurs latins même, que la découverte de l’euphorbe est due au roi numide Juba II qui lui a donné ce nom, en l’honneur de son médecin grec, en compagnie duquel il herborisait. Le même Juba a écrit un traité, aujourd’hui disparu, sur la plante.Le vocabulaire berbère de la faune a également laissé des traces en latin et en grecque : ces langues n’ont fait que reprendre des noms d’animaux qu’elles ne connaissaient pas. Ainsi, On soupçonne le nom grec du singe, pithécos, pithe, d’avoir été emprunté au berbère biddu, abiddew, iddew, selon la forme que le mot a actuellement. Le nom adopté aujourd’hui pour désigner une variété d’antilope, l’antilope addox, serait d’origine berbère.En tout cas, c’est l’information que donne le naturatiste latin, Pline l’Ancien, qui signale qu’addax signifie, en libyque, »antilope ». Ce nom n’a pas subsisté dans les dialectes berbères actuels qui emploient d’autres termes pour désigner l’antilope, notamment amellal, employé en touareg et dans les parlers du Maroc central.Le nom de l’éléphant, elephantum en latin, elephantos en grec, pourrait être également d’origine berbère. De nos jours, le nom berbère de l’éléphant n’est plus conservé qu’en touareg, elu, féminin telut. Les dialectes du nord emploient une forme proche plus étoffée, ilef, féminin tileft, mais pour désigner le sanglier et, par extension, le porc. La forme ilef/ tileft est attestée dans la toponymie antique, avec le nom d’une localité de Numidie, Thelepte où p latin correspond à f berbère. Le mot pouvait désigner aussi bien le sanglier que l’éléphant, les deux animaux étant abondants à l’époque.
M.A. Haddadou