Maâla, le village fantôme

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Situé au piémont du Djurdjura, à l’extrême sud de Tizi-Ouzou, le village d’Ath Kouffi qui comptait quelque trois mille habitants pendant la révolution, fut entièrement rasé par l’armée coloniale en 1959.

Les trois quarts de sa population furent évacués et déportés vers la ville de Boghni, Aït Imghour et bien d’autres régions, tandis que le restant de la population fut utilisé comme bouclier humain. Réduit en cendres et ruines, le douar fut décrété zone interdite à partir de 1959, et sa population martyrisée et traumatisée. C’est dire que ce village de la commune de Boghni a payé un lourd tribut pour l’indépendance de l’Algérie. «Nous avons recensé près de 480 Chouhada, dont sept femmes, à Ath Kouffi. Chacune de nos familles, compte plusieurs de ses enfants tombés au champ d’honneur, certaines autres ont carrément été décimées. Aussi, à l’occasion de la commémoration de ce 1er Novembre 2011, nous comptons faire les démarches nécessaires afin de compléter la liste des Chouhada inscrits au carré des martyrs de Larbaâ, qui comporte moins de la moitié du nombre réel de nos Chouhada», a indiqué lors d’une visite sur les lieux, jeudi dernier, M. Achegane Boudjemaâ, ancien moudjahid, originaire du village. Après la visite du cimetière de Larbaâ, il faut traverser les Ath Hamouda, Taguemount, et la zaouïa Sidi Ali Ouyahia, avant d’atteindre Maâla, qui est sans conteste le hameau le plus meurtri des Ath Kouffi. Da Boudjemaâ relate avec beaucoup d’émotion les hauts faits d’armes des moudjahidine du douar. «Après notre refus du recouvrement des impôts en 1955, des moudjahidine en refuge dans la maison de Lounès Ali Oulakhdar, à Ath Hamouda, ont essuyé en avril 1956, un accrochage qui s’est soldé par la mort de 2 soldats français et la tombée au champ d’honneur de l’adjudant Mammeri et de Hamoudi Ali, tandis que Arab Ou Kaci, Belarbi Saïd et Mohamed de Makouda, furent quant à eux blessés. Nous avions emmené ces derniers dans un abri à Maâla, jusqu’à leur guérison», se souvient-il. Une opération punitive s’en suivra en août de la même année, par des bombardements au napalm, et la création par l’armée coloniale d’un camp de concentration, de détention et de torture au lieudit Tigharghart, et un autre un peu plus bas, à Ighzer N’Chvel. «Le 17 novembre, la mosquée Ikharazène est bombardée à partir de la crête du hameau Tizi-Médène. Trois enfants qui suivaient l’enseignement coranique y ont trouvé la mort. Il s’agit de Hamoudi Djedjiga, Derriche Ahcène et Belaidi Saïd, tandis que Belaidi Ali et Mammeri Akli s’en sont sortis avec des blessures», se remémore-t-il encore, avant de rappeler le massacre de 17 Chouhada, durant la même année, réfugiés dans l’abri Ifouzathène, ainsi que le bombardement de la zaouïa de Sidi Ali Ouyahia.

Un lieu hautement stratégique

En arrivant au sommet d’une colline à haute altitude, on atteint enfin le hameau de Maâla. La première impression qui frappe est la vue imprenable dont il jouit. De là il est aisé de voir aussi loin que porte le regard, jusqu’à Aïn El Hammam et Ouacifs à l’Est, Ouadhias, Draâ El Mizan, Tizi Ghennif, Chabet, les Issers et même le chef-lieu de wilaya. «Cette position hautement stratégique faisait de Maâla un passage obligé pour tous les moudjahidine, tant le refuge était inaccessible aux troupes coloniales», précise-t-il. C’est la raison pour laquelle l’armée coloniale a complètement rasé les habitations du hameau ; aujourd’hui encore, il ne reste que des ruines, faisant de Maâla un village fantôme. On a beau chercher des yeux, les nouvelles constructions ne dépassent guère une dizaine d’habitations parsemées. Aucune trace du moindre commerce, encore moins d’une école ou d’une quelconque infrastructure. «Les rares habitants qui ont construit ici, sont obligés de faire des kilomètres pour leur moindre besoin. Dans l’état actuel des choses, rien n’incite au retour à Maâla de nos enfants éparpillés çà et là. Pour redonner vie à ce village qui ne dispose de rien, les pouvoirs publics doivent encourager les citoyens, en leur facilitant notamment l’obtention des différentes aides octroyées par l’Etat, dont celle à l’auto-construction. Ils sont nombreux nos jeunes à vouloir revenir s’établir au village, d’autant plus qu’ils ne disposent pas de moyens pour s’offrir des parcelles de terrain ailleurs. Il nous faut donc sensibiliser les autorités locales à en faire leur priorité», plaide-t-il.

Car, le sacrifice consenti par le village martyr d’Ath Kouffi ne peut avoir de sens et ne peut être pérennisé dans les mémoires des générations d’aujourd’hui et futures que si les principes et idéaux du 1er Novembre 1954 sont loyalement et fidèlement repris comme promis, pour construire l’Algérie sur des bases républicaines et une essence démocratique.

L. S.

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