“Amaguer N’tfsut”, ou l’art d’accueillir la saison des fleurs, tel est le thème développé par M. Medjoub Nacer, professeur de tamazight au centre culturel d’Aokas à travers l’interview qu’il nous a accordée pour revenir avec force détails sur les festivités rituelles chez les sociétés berbères. Timecrat, Dhiafa, Anzar, Amenzu N’yenayer, As n’temghart… et notamment Adaryis, la liesse marquant l’avènement de la plus belle saison de l’année, sont entre autres des pratiques très anciennes de nature typiquement méditerranéenne qu’il a qualifiées, d’emblée, d’empiriques et savantes :“Ces cérémonies populaires sont étroitement liées au calendrier agraire qui est commun à tout le bassin méditerranéen et une partie de l’Europe orientale, dont la Grèce et la Turquie, voire même l’Iran, marquant les moments de transition d’une saison à une autre. Ce sont des rituels pour la fécondité et la préservation des récoltes. Le fait de consommer pour la circonstance de la nourriture bouillie, est une manière dans le raisonnement des paysans, d’appeler la terre nourricière à donner d’avantage de richesses”, explique notre interlocuteur et d’ajouter : “Le monde méditerranéen a connu la révolution néolithique relative à la découverte de l’agriculture qui a, depuis, caractérisé son monde de pensée”.A propos des rapports entre les préceptes de l’Islam et ses croyances qui sont parfois contradictoires comme dans le cas du rite d’Anzar (rogations à la pluie) et la prière dans laquelle les musulmans sollicitent cette même pluie, M. Medjoub dira sans ambagues : “Il n’y a pas de culture qui soit isolat. L’objectivité et la finesse du raisonnement laissent savoir que les cultures s’interpénètrèrent. C’est une règle, les habitants de l’Afrique du Nord ont toujours réalisé ce qu’on appelle en anthropologie des cas de syncrétisme entre la culture ancienne et les apports de la religion musulmane, entre autres. Beaucoup de travaux prouvent de manière irrétutable que l’islam s’est adapté à notre culture, comme il l’a si bien fait ailleurs, notamment aux Balkans, en Iran, en Turquie et en Extrême-Orient. Il y a une interpédendance entre l’usage musulman et le substrat berbère qui lui est antérieur.”Continuant sur les mêmes explications, le professeur abordera l’importance de ces rituels dans l’Iran contemporaine, même si ces hautes sphères dirigeantes ont voulu en faire un modèle d’Etat théocratique alors que la réalité socioculturelle de ce pays n’adhère pas toujours à cette thèse : toute la culture “persane” célèbre les rites relatifs aux saisons, et Naourouz (le jour de l’an en Iran) est, à nos jours, l’occasion de grandes réjouissances populaires.Traitant de l’ancrage profondément méditerranéen de la culture “amazigh”, notre interlocuteur qualifie cette mer de lieu de brassage des cultures avant de citer l’exemple de la civilisation grecque qui a énormément emprunté à la culture berbère ancienne. “La civilisation grecque porte plusieurs analogies avec la culture berbère. Athènes, la capitale de la Grèce, tire son nom de celui d’Athéna, déesse des arts, de la littérature, de la sagesse, de l’artisanat et de la philosophie dans le panthéon polythéiste de la Grèce antique. Athéna est d’origine libyenne (berbère) et son égide est en peau de bouc, vêtement des femmes berbères de l’époque. Les Grecs ont habillement extrait la substance de leurs pensées de cette divinité de chez nous.”Pour ce qui est de la célébration de “Adheryis” (fenouil) qui marque le printemps, M. Medjoub a mis l’accent sur les vertus thérapeutiques de cette plante vivace de la famille des “ombellifères” dans le traitement de plusieurs maladies, dont les bronchites, les rhumatismes, la goutte (excès d’urée dans le sang) la rage, la stérilité féminine, les blessures et les différentes irritations. Utilisée en outre pour les masques de beauté et pour soigner le bétail, “l’eutaciaz-garganca” Adaryis, est une plante médicale, dont l’importance est, aujourd’hui, scientifiquement établie. Abordant dans le même sens, il parlera longuement de l’homéopathie, un principe thérapeutique récent en Europe, accessible seulement à la bourgeoisie intellectuelle. “Aujourd’hui, à la pointe de la médecine occidentale, les paysans de l’Afrique du Nord ont découvert ce principe de façon empirique, il y a des millénaires”, conclut-il.
Rabah Zerrouk