“C’était à mourir d’angoisse!”

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La petite bourgade d’El Guendoul dans la région de Fréha a vécu avant-hier un événement singulier. Elle a allégrement savouré le retour à la maison d’un fils très particulier : Nafaâ Hanouche. Un grand garçon aux cheveux blancs, «retraitable» par-dessus tout (Il a plus de 50 ans) qui se retrouve choyé de tous.

Pas étonnant ! Il revient de loin. D’un long «séjour» chez les pirates somaliens. Oui, Nafaâ faisait partie de l’équipage du MV Blida, le navire algérien retenu en otage dans les eaux somaliennes pendant plus de dix mois. Il était second chef mécanicien à bord. Avant-hier, ce fut donc le grand retour pour lui parmi les siens. «Quand vous êtes engagés dans un domaine comme celui de la marine, c’est sûr que ce n’est pas le genre de boulot où vous vous dites : Tiens, il est quatre heures, il est temps de rentrer. C’est pour vous dire que c’est toujours des moments particuliers qu’on vit à chaque retour, mais là c’est vraiment exceptionnel pour nous. Ce ne fut pas facile ! C’était la Somalie et on était des otages là-bas, chez des gens prêts à tout et pour lesquels on ne représentait rien». Nafaâ est resté très lucide. Plutôt réconforté mais toujours un peu perdu dans ses souvenirs douloureux ; il garde néanmoins la mémoire intacte. Tout lui revient en détail. Du fameux jour où les Somaliens se sont introduits à bord du navire, jusqu’au dernier moment, avant qu’il embarque dans l’avion spécial qui le ramena avec le reste de l’équipage à Alger. Les amis, les villageois, la famille, et les nombreux anonymes qui viennent se rassurer de son retour, l’écoutent attentivement. Il raconte son histoire presque en boucle, et à chaque fois, une anecdote de plus, nouvelle… Avant-hier, il y avait du monde autour de lui. Il avait aménagé son garage en salon, pour contenir tout ce beau monde, qui venait lui manifester affection et soutien. Assez décontracté en survêt et emmitouflé dans son burnous blanc, Nafaâ semblait zen ! même si de temps à autre il perd le fil, avant de reprendre avec un timide sourire. Il raconte sa mésaventure comme on raconte un film : «On naviguait le plus normalement en haute mère. On transportait du ciment vers le port de Monbasa au Kenya. A un certain moment, on allait croiser un navire tunisien, Hanibal II, qui semblait venir droit sur nous. Alors on a viré sur le côté pour l’éviter, suite à quoi le navire a fait un demi-cercle pour nous prendre sur le côté. On a vu descendre du navire deux embarcations rapidement mises à l’eau pour venir vers nous. A leurs bords, des gens qui tiraient en l’air. On avait compris tout de suite… En un rien de temps, ils sont montés avec des échelles et pris possession du navire. La première chose qu’ils ont faite, est de nous rassembler, avant de placer leur arsenal sur la passerelle. Ils avaient des RPG, des FM et des Kalachnikovs» , narre-t-il placidement. Nafaâ se souvient bien qu’au moment de l’attaque, les pirates étaient à huit. «Ils étaient quatre dans chacune des deux embarcations. Puis, d’autres les ont rejoints». Ils ne parlaient pas tous anglais. Juste un ou deux. «Mais on n’avait pas besoin d’interprète pour comprendre quand ils nous ont sommés de vider les poches et leur remettre tous nos objets de valeur». Il se souvient avec humour de ce pirate qui refusait de prendre les dinars algériens, qu’il lui tendait. L’équipage sera par la suite séquestré «en bas» dans une salle qui pouvait à peine contenir tout le monde. Commence alors la déroute du navire vers les côtes somaliennes. «On a mis du temps pour arriver là-bas. Et on y est restés. Cela dit, on n’est pas restés dans un même lieu. On a été déplacés entre deux villages somaliens avant qu’on s’immobilise définitivement, après que le navire fut tombé en rupture de tout : de fioul, d’eau, de vivre, on ne pouvait ainsi plus bouger. Il n’y avait même pas de quoi alimenter les générateurs». Durant tout ce temps, l’impatience et le doute cèdent la place à l’angoisse, dans le camp des marins otages. «Le temps devenait de plus en plus pesant pour nous, on était enfermés en bas, et on ne savait pas ce qui se tramait. On restait suspendu à ces coup de fils qu’on nous autorisait de passer à la famille chaque mois». «Ce n’est que maintenant que nous réalisons pourquoi nous sommes restés otages durant tout ce temps, tandis que plus d’une dizaine d’autres navires piratés ont été libérés». Le négociateur de l’affréteur grec du navire n’aurait fait sa première proposition qu’au mois d’Avril… «Et sa proposition était vraiment en deçà de ce que réclamaient les pirates». Le montant exigé était de l’ordre de trois millions de dollars. «Ce n’est que par la suite qu’on saura que celui qui négociait pour nous, mettait du temps pour répondre ou faire une contre-proposition. Parfois, ça lui prenait jusqu’à un mois pour répondre. A ce moment-là on n’en savait rien, car à chaque fois on nous disait que tout sera réglé dans une semaine, dans dix jours… Voilà et de jour en jour on est passés d’un mois à un autre, jusqu’à atteindre la dizaine de mois». Avant qu’enfin un accord ne soit trouvé en septembre. «Les deux négociateurs ont fini par se mettre d’accord sur le montant de 2,6 millions de dollars. A partir de là c’était une autre attente pour nous qui commença. Le stress du jour attendu s’amplifiait davantage. Et d’autres problèmes ont surgi. Car après, il fallut approvisionner le navire en tout. On n’avait plus rien à bord. Généralement, après accord, c’est un navire militaire qui s’occupe de l’approvisionner, mais pour notre cas, Mahmoud (Le négociateur de l’affréteur grec), a préféré demander aux pirates de nous ravitailler eux-mêmes. Sans doute, pour faire quelques économies, car un navire militaire reviendrait encore plus cher». Mais cela a constitué d’un autre côté un grand inconvénient, car avec les moyens dérisoires des pirates, l’équipage otage a mis plusieurs jours pour faire monter à bord quelques 45 tonnes de fioul. Il fallut aussi s’approvisionner en eau, en vivres… «Ce n’était pas du tout facile pour nous qui étions très affaiblis, mal nourris, manquant terriblement de sommeil pendant plusieurs mois, hantés par l’angoisse de tirer avec une corde toutes ces tonnes d’embarcations à faire monter à bord. C’était vraiment harassant !». Nafaâ raconte que leur seule force a été puisée de cet espoir fou de recouvrer la liberté. «On a passé des moments vraiment difficiles, comme lorsque l’accord a failli être remis en cause par les pirates qui, dans un premier temps ne voulaient rien savoir. ils ont carrément exigé qu’on nous désigne un nouveau négociateur. Eux, ils ont désigné un autre de leur côté. Mais notre négociateur et le patron campaient sur leur position, ce qui a fait que les choses ont traîné avant qu’on arrive à convaincre les pirates de poursuivre les pourparlers avec le même négociateur. Ce qu’ils finiront par accepter». Arrive alors la phase de l’exécution de l’accord. Un avion devait alors venir pour larguer l’argent dans un sachet. Les pirates avaient exigé les 2,6 millions en coupures de cent dollars, dont la fabrication ne devait pas être antérieure à 2006, car parait-il l’ancien billet de cent dollars, portant une petite effigie de George Washington, existe en faux. Ce qui n’est pas le cas pour le nouveau, dont la même l’effigie a été agrandie. Et là encore, tout ne se passera pas comme prévu. Le fameux jour venu, point de l’avion attendu avant que le pilote n’appelle pour dire qu’il ne pouvait décoller, à cause du mauvais temps. Un autre jour, il invente une tout autre histoire de vitre de l’appareil brisée… C’est dire que ça a négocié très serré avant qu’enfin un avion ne vienne survoler au dessus du navire. L’appareil devait faire deux tours avant de larguer l’argent. «On a tous été appelés en haut pour que tout le monde soit identifié du haut de l’avion et qu’on soit sûr qu’on est tous sains et saufs. «Cette fois aussi, il y’a eu réticence, car il était prévu qu’il y ait deux embarcations aux côté du navire alors qu’il n’ y en avait qu’une seule. Mais les pirates ont fait venir une autre et le pilote a refait le tour pour jeter l’argent dans un sachet suspendu à un parachute. Le colis sera alors cherché et remonté à bord. J’ai oublié de vous dire que ce jour-là toute la hiérarchie des pirates était présente, une centaine, si ce n’est plus. Le plus jeune ne devait pas dépasser les 12 ans…» A partir de là les pirates ont commencé à quitter le navire progressivement pour le laisser repartir au début du mois de novembre. «On a eu du mal à remettre en marche les machines restées à l’arrêt durant presque une année. Puis, ce n’était pas évident pour le navire de naviguer à la même vitesse qu’avant. On est remontés avec quatre nœuds alors qu’on naviguait avant, à 10 nœuds. Sa coque a été chargée de coquillages, un surplus de poids qui nous ralentissait. Ce qui a fait qu’on a navigué lentement. Et comme on n’a pas eu d’escorte, on a failli se faire prendre à deux reprises par d’autres pirates. Heureusement qu’on a été assistés par des Américains et un navire espagnol qui sont venus à notre secours». Visiblement, le retour a dû être aussi éprouvant que l’aller, pour Nafaâ et les autres marins du MV Blida, qui finiront par atteindre le Kenya, d’où ils seront rapatriés par avion spécial vers Alger. Aujourd’hui, il ne veut plus revivre ce genre d’expérience. Dans la tête de Nafaâ, tout est clair. Il prend sa retraite, même anticipée. Mais ce n’est pas pour autant qu’il perdra son humour : «A bord, pendant notre séquestration, on n’a jamais manqué de cigarettes et de chic. Y’en avait à gogo !».

Djaffar C.

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