C’est du moins ce que ressentent les personnes auxquelles on a appris à aimer le livre et à vibrer avec la magie des mots. Cette “grande forme en mouvement : la lecture” (J.P. Sartre) est d’une manière générale, et ce, depuis l’avènement du prêt à penser qu’assurent le cinéma, la télévision et autre “littérature people”, confinée dans des cercles d’amoureux de la lecture de plus en plus restreints. Ce constat, même s’il n’est pas confirmé par des chiffres, est vérifiable dans n’importe quel établissement qu’on continue à appeler “librairies” et de plus en plus spécialisés dans la cuisine algérienne, le para scolaire et le para religieux.
Ecrire“Quelque chose de nouveau et de vrai ; c’est la seule excuse d’un livre”, c’est ainsi que justifie Voltaire l’acte d’écrire pour les autres. Comment l’aurait justifié Si Mohand U M’hand ? Le poète insoumis était sans aucun doute loin de s’imaginer que viendra un jour où son “asmi akkhen llight d’acwrar/zzin-iw yuffar…” sera couché sur du papier. Si M’hand U M’hand s’était contenté de dire ses états d’âme. Plus tard, les autres se sont chargés de transcrire et de décrire sa vérité, son génie.Depuis “sligh i lbabur yughwas”, beaucoup d’encre a coulé et des colères sporadiques sont passées. Tamazight est entrée presque par effraction “dans l’école” fondamentalement “pavlovienne”. La langue, la variante kabyle essentiellement, est passée à l’écrit d’une manière boulimique. Plus qu’une préoccupation intellectuelle, écrire était devenu une sorte de défouloir, un “devoir” pour tous ceux qui se reconnaissent dans “tamazight di lakul”. On se met alors à écrire. “Une bonne chose”, estimait Allaoua Rabehi, l’ancien directeur du département de langue amazigh de l’université de Béjaïa. “Le tri finirait par se faire”, laissait-il entendre. Le “écrire” post tamazight di kakul, consistait le plus souvent à fixer l’oralité. Peu importaient les écritures (tamaâmrit, tamazipt, phonétique…) et même les supports graphiques pour les inconditionnels (tamazight d’abord !”.)Tamedyazt et tamacahutt (conte et poésie) étaient donc tout naturellement indiqués pour ce faire. Dans un premier temps, le “lecteur” achetait le livre même s’il allait finir dans le tiroir.
Ecrivain ?Tamazight réellement “enseignée” et plus tard consacrée langue nationale, on continue à écrire. Ecrire — qui ne veut pas dire forcément éditer — était devenu le sport national de “la Kabylie fraîchement alphabétisée”.En l’absence d’une autorité qui ferait le tri entre le gribouillage, l’écrit et le dit, tout le monde, s’est improvisé écrivain. Cela est d’autant plus facile qu’il suffit pour devenir “écrivain”, mot magique, de payer un imprimeur. L’œuvre est “édité” comme sont imprimées des cartes de visite. En l’absence d’un lectorat amazigh averti, parce que réellement pas encore “formé”, les auteurs improvisés se permettent toutes les entorses linguistiques. S’aventurer à “publier” ses états d’âmes n’engage, à la limite, que l’auteur et surtout son porte-monnaie, puisque il est destiné à un public “adulte”. En plus, à la longue et pour des raisons commerciales, un navet littéraire finira par ne pas trouver preneur et donc “interdit” de publication. Mais là où l’aventure est inadmissible, c’est lorsque le livre est destiné au monde scolaire. En effet, en l’absence de support pédagogique en tamazight et sur tamazight, les jeunes élèves encore fragiles se rabattent sur n’importe quel “ouvrage” qui traite de “amawal, tajerrumt, taseftit” (lexique, grammaire ou conjugaison). Le créneau rapporte. L’intérêt pousse des profanes à se métamorphoser en un rien de temps, en lexicologues ou en spécialités de syntaxe et de morphologie. On est édité sans risque d’être remis à sa place.
La société doit s’impliquerHamid Oubagha, président de l’association Imedyazen met en exergue “le phénomène d’analphabétisme et du manque d’intérêt social”. L’auteur de “Nunja” estime que les facteurs qui entravent la promotion du livre amaszigh “ne se situent pas là, où la démagogie politicienne et médiatique voudraient les situer”. Pour lui, le livre en général, livre amazigh en particulier, n’est pas considéré par la société comme un produit de consommation convoité et digne d’intérêt. En plus du pouvoir d’achat qui pose certainement un problème. Oubagha pense que tamazight “productions livresques”, Ndrl) est souvent vécu par ses lecteurs comme une langue non valorisante.Khaled Tazaghart, universitaire et auteur, regrette “l’absence d’une ligne éditoriale, une stratégie de promotion du livre”. Il parle carrément de politique du livre à mettre en œuvre. Tout comme Oubagha, lui aussi pense que la société “porte un regard méprisant sur sa propre langue”. Tazaghart insiste surtout sur la nécessité d’une prise de conscience citoyenne. Car, pour lui, il est question d’“être ou disparaître !”. Il ne manquera pas aussi, tout en insistant sur les démarches techniques et pratiques à même de fabriquer le lectorat, de rappeler que la problématique est d’abord culturelle.Autrement dit, il souligne l’impératif de la soustraire au politique.A ce propos et confortant Tazaghart dans son appréciation, Shamy, du groupe “Abranis”, présent lors du 2ème salon du livre et du multimédia amazigh, rappelle que le “politique est éphémère, la culture est pérenne”.
L’éditeur“En éditant le premier roman d’un auteur, l’éditeur doit risquer seize cents francs d’impression et de papier” (Balzac)Quand bien même il est question de livre, on a tendance à oublier qu’une maison d’édition est d’abord une entreprise commerciale. Dès lors les éditeurs qui du livre – et ils sont légions – ne sont familiarisés qu’avec le format refusent de risquer les “seize cents francs” de Balzac.Un éditeur très branché “recettes de cuisine et parascolaire” nous apprendra sans le vouloir, qu’il avait, lors d’une manifestation en France, vendu à un éditeur Finlandais, le droit de traduire un livre de recettes de cuisine. L’éditeur du livre de recette de cuisine avait empoché sans négocier 3000 euros. A son grand bonheur, il venait de découvrir un nouveau créneau que, sans doute, il va investir avec plus d’enthousiasme. Bien entendu, l’auteur ne saura jamais que son livre est vendu en Finlande.S’agissant de la publication amazighe et à la question de savoir pourquoi l’éditeur ne met pas du sien pour extraire le livre de la médiocrité dans laquelle il patauge, un éditeur de Tizi Ouzou nous avouera que pour ce faire, les maisons d’édition devraient faire appel à une commission de lecture. Celle-ci étant forcément rénumérée, l’éditeur, continue notre interlocuteur, s’abstient de faire appel à elle. Donc, l’auteur qui édite à son propre compte ne saura jamais s’il a réussi un gribouillage ou une œuvre digne d’intérêt. En fait, tout le monde trouve son compte : l’éditeur a grignoté quelques dinars, l’auteur est devenu “écrivain”.Cela dit, contre vents et marées, des éditeurs continuent de maintenir le cap professionnel. C’est le cas, entre autres, de “Azur édition” de Sidi Aïch dont le patron, Mestfioui Nacer en l’occurrence, est un amoureux du livre dans l’absolu. C’est cet amour du livre qui le pousse à éditer “l’Oléastre” de Saïd Sebkhi, un auteur en herbe. Par amour du livre, “Azur édition” a “risqué seize cents francs d’édition et de papier”.
Lire “Tant de gens qui écrivent et peu de gens qui lisent” (A. Gide)Lit-on en tamazight ? Hormis les enseignants de tamazight, et autres initiés, le lectorat à même de permettre tout naturellement la promotion et la bonne “santé commerciale” du livre amazigh est quasiment inexistant. Car, tout compte fait et comme tous les livres édités dans le monde, la subsistance de la publication amazigh dépend fondamentalement de son lectorat. En fait, comme tout produit destiné au commerce, il est soumis à l’éternelle équation offre/ demande. Cette demande, ce lectorat est fabricable. Pour ce faire, il est impératif que tous comprennent que tamazight, ce chantier linguistique, est tributaire des moyens concrets, qu’on met à sa disposition. Que l’on comprenne surtout que la langue est une activité sociale et non un discours politique. Autrement dit, seul son génie peut la consacrer un jour langue officielle. En attendant, et au lieu d’accorder de l’intérêt au discours le plus souvent politicien et aux réactions épidermiques et passionnées exigeant dans une langue le plus souvent étrangère, l’officialisation de tamazight, il faut mettre tout en œuvre pour que cette langue donne un jour naissance à des Voltaire, Poe, Goethe et autre Tolstoï amazighs. Car ce n’est que par leur génie que les langues s’imposent. Aucun décret ne peut remplacer l’ingéniosité d’une langue. Comme le soulignait plus haut Khaled Tazaghart, le lectorat se fabrique. Cela passe par des revendications pratiques que seuls les professionnels de la question sont en mesure de formuler. Il est donc temps que le politique démagogique, laisse s’exprimer l’autorité scientifique, d’autant plus que l’Etat se dit disposé à mettre tout en œuvre pour promouvoir Tamazight. Il est temps aussi que la société comprenne que la relation existante entre la langue amazighe et le politique est largement illustrée par le slogan “Mc Cain” : “Ce sont ceux qui en parlent le moins qui en mangent le plus”
Le haut commissariat à l’amazighitéNé au lendemain du boycott du cartable, le HCA avait pour mission la promotion de tamazight dans toutes ses dimensions. Chose à laquelle il s’est attelé avec les moyens de bord. Parce que l’essentiel passe par l’école, l’institution s’est tout particulièrement intéressée à l’enseignement de tamazight. Mais pas seulement. Le HCA aidera beaucoup de jeunes auteurs. Ainsi, beaucoup de manuscrits dormant au fond des tiroirs ont été édités par le HCA. Il est incontestable que la prise en charge de jeunes auteurs par le HCA est une contribution considérable à la dynamique culturelle. Seulement, cette prise en charge aurait rehaussé le “niveau” de la publication amazighe, si le HCA s’était intéressé à “l’écriture”, en exigeant des auteurs l’adoption de l’écriture “conventionnelle” utilisée à l’école. Ainsi, en plus de mettre à la disposition des scolarisés d’autres supports, ils n’entreraient pas en conflit avec l’écriture apprise en classe. Il est aussi dans l’intérêt de la langue, que le HCA n’édite plus des auteurs sans profil professionnel et qui s’aventurent sur le terrain linguistique. S’agissant des livres édités avec l’aide du HCA et pour garantir une production de qualité, l’institution pourrait, en mettant sur pieds par exemple, une sorte de comité de vigilance composé de spécialistes, réussir le pari d’en finir avec le gribouillage.
T. Ould Amar
