“La Kabylie retient beaucoup l’attention”

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La Dépêche de Kabylie : Dans un article paru peu après sa première élection, vous écriviez que Bouteflika a deux défis à relever : transformer la richesse en progrès social et remettre l’armée dans les casernes. Qu’en est-il après tout ce temps ?

William B. Quandt : L’Algérie a une économie basée sur la rente pétrolière et les pays qui sont dans ce cas ont une certaine inclination à vouloir retarder certaines réformes en continuant à subventionner des industries non payantes et à faire toutes sortes de choses qui sont à la longue contreproductives.Il faut toujours avoir présent à l’esprit, en matière de politique économique, la création d’emplois et de services de nature à assurer un meilleur fonctionnement de la société.Il y a beaucoup d’exemple de pays qui ont bien su tirer le meilleur profit de leurs richesses en investissant dans le capital humain.Qu’un gouvernement investisse dans l’éducation et la santé est sans doute bien, mais il doit surtout créer les conditions d’émergence d’une classe d’entrepreneurs capables d’insuffler à l’économie un mouvement continu de création de richesses.Grâce au score large avec lequel il a été réélu, il me semble que Bouteflika a de larges possibilités d’asseoir son autorité comme président.J’ai l’impression, mais c’est uniquement une impression qui demande à être confirmée, qu’il a plus d’autorité à présent qu’il y a cinq ans.Avec la retraite du général Lamari et compte tenu de tout ce que celui-ci avait déclaré sur le rapport de l’armée à la politique, je pense que l’Algérie est sur le point d’entrer dans une nouvelle phase où l’armée jouera son propre rôle sans trop s’immiscer de la politique quotidienne.C’est important pour tout pays en voie de démocratisation d’avoir une personne élue qui soit vraiment à la tête du système. Il me parait évident que nous sommes aujourd’hui nettement plus proche de cela que du schéma du passé où on parlait de mystérieux “décideurs” qui se cachaient derrière les présidents. Vous avez aujourd’hui un président qui fait bouger les choses et qui a l’autorité.Cela ne veut pas dire que l’armée et les militaires ne se mêlent plus de politique. On ne change pas ainsi du jour au lendemain mais le processus est enclenché et me semble aller dans la bonne direction.

Parlez-nous du très controversé projet GMO esquissé par l’Administration Bush et qui fait autant peur au régimes arabes ?Je suis un grand partisan de la démocratie mais je ne crois pas que nous autres Américains devons délivrer à chaque pays une sorte de mode d’emploi démocratique.Il est important que les démocrates de tous les pays sachent qu’ils ont des gens dans le monde qui les soutiennent et les encouragent. Mais ce soutien ne peut prendre systématiquement l’aspect d’une intervention directe. On ne doit pas toujours envoyer les forces militaires renverser les régimes, quand bien même ceux-ci seraient antidémocratiques comme celui de Saddam Hussein.Ce qu’il faut, c’est encourager les forces démocratique de la société et les prendre au sérieux.Et parfois il s’agit seulement de discuter avec les gouvernements, comme ici chez vous, avec les problèmes qui ont surgi avec la presse. Dans ce cas d’espèce, j’estime que notre ambassadeur doit simplement aller rencontrer qui de droit et lui dire que nous ne comprenons pas qu’un pays qui se veut engagé dans un processus démocratique jette tel ou tel journaliste en prison. Si vous tenez à notre soutien, sachez que nous n’admettons pas ce que vous faites. Il faut le dire, dans les canaux diplomatiques, directement et sans hésitation. Je ne pense pas qu’on doit monter une grande campagne publique avant d’avoir épuisé le procédé que j’ai décrit.

C’est efficace ?parfois…

Dans le cas de l’Algérie ?Je ne sais pas mais je pense que c’est possible. Votre gouvernement veut avoir de bonnes relations avec les Etats-Unis et l’Algérie souhaite être vue comme un pays qui est résolument engagé dans la voie de la démocratie. Et si vous réussissez, vous serez un des rares exemples dans cette partie du monde à passer par une crise aiguë, à la surmonter et à résoudre ses problèmes par les moyens de la discussion, du débat et des élections.Et cela, sera quelque chose de très important. Dans le dernier livre que j’ai écrit sur l’Algérie, j’ai terminé par une prévision où je disais qu’en dépit de tout, l’Algérie a une vocation démocratique comme d’ailleurs d’autres pays de la région. Il y a une profonde aspiration au changement chez la population, il y a cette expression plus au moins ouverte dans la presse, qu’on ne retrouve pas dans d’autres pays y compris chez certains de vos voisins.Et je pense qu’on a bien intégré que le prix fort a été payé pour la période du parti unique où les décisions se prenaient au niveau central sans prêter suffisamment d’attention à ce qui se passait dans la société réelle. Et quand un gouvernement se coupe trop de la société, il secrète dans le même temps les conditions d’une explosion comme celle d’octobre 1988. Je pense qu’on en a retenu les leçons. Je l’espère du moins.

L’islamisme est-il un phénomène complètement dépassé ou risque-t-il de rebondir à l’avenir ? Moi, j’ai toujours pensé que l’islamisme n’est pas vraiment un phénomène authentiquement algérien. Dès mon premier séjour en Algérie (1966), j’ai certes rencontré des gens pieux, qui prenaient très au sérieux les choses de la religion mais ceux-là étaient loin d’être des extrémistes. Et n’oublions pas que l’islamisme était déjà une composante du mouvement national.Les conditions socio-économiques ont, je crois, fait le lit d’une contestation anti-FLN qui a fini par prendre une expression politique islamiste extrémiste. Je me souviens qu’en 1988, les jeunes manifestants arboraient plutôt jeans et tee shirts que le qamis islamique.Je crois qu’après une décennie coûteuse, le messianisme islamiste doit être abandonné par ceux qui y croient encore. Il faut néanmoins laisser ouvert le champ de la contestation pacifique. Ceux d’entre les algériens qui veulent organiser leurs vies autour des valeurs traditionnelles doivent trouver leur place. Mais je pense que la tendance militante intégriste a été discréditée par cette violence aveugle qui n’avait pas fait la différence entre citoyens innocents et proches du gouvernement qu’on prétendait combattre. Les intégristes ont perdu la partie à partir du moment où ils ont commencé à déposer des bombes dans les villes tout en sachant que celle-ci allaient faucher indistinctement les citoyens.

Comment percevez-vous la crise de Kabylie et ses implications ?La Kabylie a couvé une très grande crise qui attire beaucoup l’attention. Elle pose, si je comprends bien, deux problématiques. Il y a l’aspect socio-économique qui concerne l’investissement dans la région, l’emploi, les problèmes du logement, qui, sans être spécifiques à la région, semblent être néanmoins vécus avec plus d’acuité.Il y a bien sûr aussi le problème culturel. J’ai l’impression que le gouvernement commence à donner une réponse à tout cela à travers ce qu’il a enclenché avec les représentants de la contestation. Et cela correspond d’ailleurs à la meilleure façon de résoudre les problèmes dans un pays démocratisant.Je sais que lors des dernières élections, il y eut un fort taux d’abstention en Kabylie et j’espère que les luttes menées vont pouvoir être engrangées dans l’avenir au plan de la vie politique.

Entretien réalisé par Mohamed Bessa

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