Par Abdennour Abdesselam:
Nous entamerons une série de chroniques à travers lesquelles nous essayerons de traiter des dits de Cheikh Mohand Oulhoucine. Le but étant de vulgariser, de faire connaître au plus grand nombre et de comprendre sa pensée empreinte d’une conception d’une vie basée plutôt sur la raison humaine. Il enseignait le sens à partir du champ des connaissances des réalités du terroir. La profonde maitrise de la langue kabyle a permis au Cheikh d’en faire un élément au service de la pensée. Mais pour qu’une langue s’établisse, il lui faut l’association de la parole qui est l’image verbale de cette voix intérieure qu’est la pensée. Cette pensée est la faculté de réfléchir, de créer, de juger, de construire des idées, de formuler des opinions, d’analyser le passé d’imaginer et de concevoir l’avenir. C’est justement cette faculté de penser qui fera dire à Descartes : « Je pense, donc je suis ». « Etre » est donc tout l’essentiel de l’être humain. Aussi, l’intervention du penseur Cheikh Mohand Oulhoucine Amoussnaw, dans la cité kabyle, était faite de cette faculté de penser. Il y a une étroite corrélation dans le triptyque : pensée, langue et parole. Cette chaîne, une fois interrompue, rend la langue inerte. C’est précisément à cette parole pensante et cognitive, plus qu’à l’émission de simples images acoustiques de la langue, que s’intéressera cette série de chroniques réservées au philosophe Cheikh Mohand. Une remarque d’importance se pose à nous. Elle est relative au fait que du temps de Cheikh Mohand, la Kabylie vivait très en dessous du seuil de pauvreté. De ce fait, la société kabyle devait être alors encline à n’offrir que sourdine, indifférence et insensibilité aux jeux de la parole. Le Cheikh, dira Mammeri dans « Inna-yas Ccix Muhend », « eût dû passer inaperçu », car poursuit-il encore, « les révélations du Verbe pouvaient paraître dérisoires gymnastiques ». Mais, paradoxalement et malgré ce cercle fermé Cheikh Mohand ne considérait pas la langue kabyle close pour autant. C’est pourtant face à cette situation étroite et très contraignante que Cheikh Mohand allait justement s’exercer à répondre et à dénouer tant de contradictions. C’est dire que son génie a construit des idées durables à partir d’un monde fragile. La pensée kabyle s’est trouvée alors désenclavée de cette condition, grâce au mouvement de rénovation apporté par le maître. Il a mis la pensée kabyle en harmonie et en accord avec le cours des évolutions de l’être et de son environnement. Il est arrivé au bon moment. Au moment où devaient finir l’archaïsme, d’une part, et la soumission devant l’ordre colonial nouveau, d’autre part. Autant dire qu’avec l’avènement du Cheikh, est apparue l’aventure de la pensée. Une aventure qui est le dépassement de l’héritage figé. A suivre.