Forum autour de Tajmaït et le développement local

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Le professeur Taïb Essaïd, docteur en droit et professeur à l’Ecole nationale d’administration d’Alger était, avant-hier, l’hôte du village Ighil Bouamas, dans la commune d’Iboudrarène, où il a donné une conférence sur le thème de « société civile (Tajmaït) et développement local ».

Cette rencontre s’inscrit dans le cadre des activités de l’association culturelle M’barek Aït Menguellet dont un groupe de membres et amis se sont constitués en collectif pour mettre sur pied cette initiative qui se veut un forum de rencontres intitulé « Un café au Djurdjura» et qui se tiendra chaque mois au niveau du centre culturel de l’association, autour de thèmes traitant de l’organisation sociale, du développement local, de la formation, des montages de projets, de l’environnement et d’autres sujets à « la carte ». C’est-à-dire, en fonction des besoins exprimés. Et la conférence de vendredi n’est que l’acte inaugural de cette première initiative du genre au niveau de la région. Aussi, le choix du thème ainsi que du conférencier, pour ouvrir ce cycle de rencontres mensuelles, n’est pas le fait du hasard, mais une « vision bien étudiée » par ses concepteurs. En effet, l’organisation sociale de la société Kabyle autour de Tajmaït (assemblée du village), associée au concept du développement local, ne peuvent qu’être intéressants et constituent la préoccupation actuelle de la société civile et des autorités locales, sur fond de réformes tous azimuts engagées par les pouvoirs publics au niveau central. Devant un public assez nombreux, où on a surtout relevé une présence féminine assez significative, venu des villages de la commune Iboudrarène, mais aussi de la commune voisine de Yatafène, le professeur Taïb Essaïd a entamé sa conférence par la présentation de la forme organisationnelle de la société dans le temps autour de Tajmaït, « l’institution la plus célèbre et la plus connue en Kabylie» pour son apport au développement social et économique et sa pérennité à travers les siècle. En présence du maire d’Iboudrarène et surtout de l’icône de la chanson Kabyle Lounis Aït Menguellet, dont le nom, pas seulement patronymique, plane toujours sur l’association culturelle de son village, lui qui en est l’un de ses fondateurs et son premier président, le professeur en droit expliquera que cette institution (Tajmaït) était respectée par tous les villageois en raison de son caractère « démocratique et laïque » et du fait que ses membres activent tous dans l’intérêt général et l’aplanissement des litiges et des contentieux, en jouant le rôle d’arbitre sans recourir à la justice ni à l’autorité. Pour le conférencier, c’est grâce à cette organisation sociale que la Kabylie a été de tous les temps, un bastion de la démocratie : « On n’avait pas non plus de prisons, ni la peine de mort, les fauteurs sont pénalisés par une amende (ghrama, khtiya) ou peuvent faire l’objet de mise en quarantaine par le village qui peut, aussi, les excommunier en cas de crime ou de délit infamant ». Et de préciser que les décisions de Tajmaït étaient observées et respectées de tous parce que s’inspirant d’une « charte qui tient compte des problèmes et des besoins de chacun». M. Taïb Essaïd expliquera ensuite qu’il ne faut pas faire l’amalgame entre la société civile, que peut représenter Tajmaït, les Zaouia, les syndicats et les autres sociétés politiques, économiques…etc. Même les associations, telles que conçues actuellement, ne peuvent rivaliser avec Tajmaït du fait, notamment, qu’elles ne sont pas toujours représentatives de la communauté qui les porte. Concernant le développement local, l’hôte d’Ighil Bouamas fera remarquer qu’il est possible de faire plein de choses grâce à cette forme d’organisation, si les autorités locales, notamment les élus, faisaient l’effort « d’associer la société civile dans toutes les décisions la concernant». Même s’il reconnaît que la démarche est toujours difficile à cause de certains facteurs liés au niveau des responsables et aussi à l’atavisme local qui fait que le tribalisme et l’attachement au sol empêchent encore de réaliser un idéal commun, « on doit avoir 1367 communes en Kabylie, et si on respectait l’identité villageoise, chaque village en serait une», avant d’asséner : « Un siècle de colonisation et 40 ans de socialisme n’ont pas réussi à faire de nous des citoyens». Mais, malgré cette pesanteur sociologique, le formateur des énarques n’a pas manqué de préconiser une démarche au profit des responsables pour assurer un développement harmonieux et équitable : l’information, la consultation, la concertation et la négociation, s’il le faut, avant la prise de décision. Durant le débat, le sujet de l’exclusion de la femme du droit à l’héritage dans la société Kabyle et sa non participation à Tajmaït, le seul point antidémocratique de cette organisation, a été abordé et le conférencier, tout en reconnaissant cette tare, a tenté de la justifier par des raisons économiques et par l’attachement au sol ancestral (un étranger, même parent par alliance, n’est jamais le bienvenu si c’est pour prendre la terre) qui ont motivé ce choix, ajoutant, comme pour décrier lui-même ce fait que « les âarchs de la Kabylie ne se sont rencontrés, dans leur ensemble, qu’à deux reprises pour s’entendre : En 1748, pour priver les femmes de leur droit à l’héritage, et en 1871, durant le soulèvement d’El Mokrani». Quant à la participation de la femme à Tajmaït, l’orateur dira qu’aucune organisation n’est totalement parfaite, mais aujourd’hui, elles participent pleinement et dans tous les domaines.

Signalons que les organisateurs de ce forum, notamment M. MakhouKh Ouamar, ingénieur agronome et directeur de l’Urbal, qui est lui même retenu pour des formations et des conférences dans le cadre de ce forum, espèrent faire de ce carrefour un rendez-vous mensuel qui sera autonome et ne comptera que sur ses propres moyens financiers.

Nassim Zerouki

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