Entreprise et recherche : à quand les justes noces ?

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Dans une multitude de ses aspects, la dynamique économique que les pouvoirs publics et les potentiels investisseurs comptent mettre en œuvre en Algérie bute- outre les aspects traditionnels d’ordre bureaucratique et financier- sur certaines contraintes techniques et technologiques aggravés par les questions relatives à la gestion des ressources humaines (qualification, compétence). Une grande partie des intervenants dans le champ économique ont eu, au cours de ces dernières années, à toucher de près à ces questions essentielles dont dépendra l’avenir de l’entreprise algérienne.

Le temps n’est plus où il l’on doit verser des larmes sur le déficit de transfert de technologie tel qu’il était aperçu presque naïvement par certains dirigeants du tiers-monde, dont ceux de notre pays. Depuis ce temps-là les écarts se sont aggravés, la fuite des cerveaux s’est accentuée et les horizons d’un rattrapage de niveau s’éloignent chaque jour davantage. Un seul concept, utilisé depuis une dizaine d’années par les économistes et les experts, suffit à rendre la triste réalité du retard technologique des pays du Sud : c’est la « fracture numérique ». En effet, à lui seul, le domaine de la numérisation (traitement informatique des données, conception et fabrication de logiciels,…) suffit à illustrer l’incommensurable retard dans lequel baignent l’économie et l’administration du pays. Pour la petite histoire, et c’est très significatif, il faut noter que l’appareil de navigation GPS a été utilisé par la harragas algériens bien avant les administrations techniques (cadastre, domaines, agriculture,…) auxquelles il est exigé une autorisation des services de sécurité. En tout état de cause, le sujet de la mise à niveau technologique de l’économie algérienne et de son ouverture sur les résultats de la recherche scientifique- dans un environnement concurrentiel et de plus en plus mondialisé-suppose la convocation de tous les autres thèmes qui leur sont consubstantiellement liés, et principalement le rôle des structures de formation (école, université centre de formation professionnelle, centres et instituts de recherche,…) dans le développement économique du pays.

Justement, toutes ces articulations scientifiques et tous ces segments de la formation et de la recherche sont appelés à de nouveaux rôles qui les feraient sortir de la Tour d’ivoire dans laquelle ils se sont longtemps engoncés, loin des réalités économiques du pays et des pressants besoins de la société.

Les heures incertaines du transfert technologique

Après les contestations qui ont caractérisé il y a quelques années, les activités d’une catégorie particulière d’enseignants universitaires, celle versée dans les activités de recherche, une nouvelle grille de salaires et un nouveau statut ont été mis en place en direction de cette catégorie d’universitaires. Après cette avancée, le Conseil national de l’enseignement supérieur (CNES), qui a été l’interlocuteur des pouvoirs publics, espère ainsi relancer et redéfinir les axes de la politique de la recherche scientifique. En effet, ce concept, malgré les avancées faites dans le domaine de l’ouverture économique et les nouveaux besoins criants venant du monde de l’entreprise- besoins en innovation et en modernisation des outils de production- demeure entouré d’un certain ‘’flou artistique’’ si bien que une kyrielle d’incompréhensions grèvent de leur poids un domaine si délicat situé à la confluence de deux domaines stratégiques : la sphère économique et la sphère universitaire/académique.

En 2009, la direction générale de la recherche scientifique, par la voix de M.Rachedi Yahia, directeur du développement et des services scientifiques, a fait état d’un projet de mise en place de 1 000 laboratoires scientifiques d’ici à 2012. Il dira que ce projet avançait de ‘’manière satisfaisante’’. Le nombre de laboratoires réalisés entre 2009 et 2010 est de 665. Pour l’année 2012, il est prévu que 3 000 jeunes chercheurs bénéficieront d’une formation doctorale de façon à obtenir un potentiel de 4 500 chercheurs permanents à l’échelle du pays. Dans ce contexte, M.Aourag, directeur de la Recherche scientifique et du Développement technologique au ministère de l’Enseignement supérieur, insistera sur le rôle qui incombe à la recherche appliquée. « Nous œuvrons à la réalisation de cet objectif en appliquant le modèle anglo-saxon (…) Le système de recherche actuel est un système hérité de la France et il ne sert pratiquement plus la nouvelle vision de la recherche », a-t-il soutenu en février 2010. La nouvelle politique nationale de la recherche est envisagée dans le cadre de la nouvelle stratégie industrielle et des ‘’pôles de compétitivité’’ que les pouvoirs publics comptent mettre en place. Cette vision appelle incontestablement plusieurs observations d’autant plus que la notion de recherche n’est pas tout à fait étrangère à la littérature produite par l’administration universitaire et académique de notre pays depuis les années soixante-dix du siècle dernier.

L’Office national de la recherche scientifique a été fondé à cette époque marquant les premières ambitions de l’Algérie indépendante de sortir du sous-développement. Les activités de cette institution furent de courte durée et subirent le sabordage des rentiers du système qui n’avaient de vision pour l’Algérie que celle des intérêts personnels immédiats. Et ce sera un thème ‘’bateau’’ qui remplacera pendant de longues années cette stratégie étouffée dans l’œuf. Ainsi, sous le règne du tiers-mondisme triomphant, et sans qu’une politique sérieuse n’accompagnât la phraséologie en usage, il était question de ‘’transfert de technologie’’. Comme si la chose pouvait relever d’une opération magique, l’on n’a préparé ni l’école ni l’université ni les unités industrielles pour opérer éventuellement ce fameux transfert. On contraire, dans un système basé sur le nivellement par le bas, toutes les énergies susceptibles de s’investir dans la recherche scientifique ont été marginalisées. Les moyens de dissuasion n’ont pas manqué et le plus pernicieux n’était pas exclusivement le salaire de misère accordé à nos universitaires. La bureaucratie, le dénuement des laboratoires, la difficulté d’accès aux sources documentaires, l’absence de statut et d’autres écueils aussi objectifs et aussi insurmontables ont fini par dresser un barrage à tout esprit de recherche. Mais pour donner le change et distribuer la rente par ce canal, on n’a pas hésité à envoyer à l’étranger des boursiers triés sur le volet par le fameux système de copinage. L’opération se transformera, dans la plupart des cas et sans surprise, en une fuite des cerveaux organisée par les pouvoirs publics. Les résultats sont là. Les meilleurs laboratoires de médecine du monde, les plus performantes usines de montage électronique ou de conception informatique emploient des

Quels horizons pour la recherche/développement (R & D) ?

Visiblement, le sujet de la recherche scientifique revient en force au devant de la scène. Ainsi, le gouvernement a mobilisé en 2009 une enveloppe financière de 100 milliards de dinars pour ce secteur. À ce niveau, deux questions ne manqueront pas d’être posées par les institutions chargées de gérer cette enveloppe (université et autres laboratoires) et par les concernés eux-mêmes. Jusqu’à quand la recherche scientifique demeurera l’apanage de l’État alors que sous d’autres cieux elle est assurée par des entreprises industrielles qui consacrent une partie de leurs budgets à ce que leur comptabilité mentionne sous la rubrique R & D (Recherche et Développement) ? Cette question se justifie par le fait qu’une recherche pragmatique, utile et efficace pour le développement ne peut réellement être ‘’commandée’’ que par ses futurs utilisateurs. De là découle la deuxième question : à quel type de recherche devraient s’atteler les Algériens ? Nous savons que la recherche fondamentale requiert des aptitudes et des enveloppes financières hors de notre portée.

L’accent devrait alors être mis sur ce qui est valablement supposé constituer l’axe fondamental de notre système de recherche, à savoir la recherche appliquée. Que ce soit pour les besoins de l’industrie, de l’agriculture ou des autres secteurs de développement, l’on ne peut consentir des dépenses en recherche qu’en contrepartie d’un cahier de charges dans lequel seront inscrits les vrais besoins de l’économie en la matière et projetés les résultats d’application censés augmenter la productivité résoudre un problème technique ou apporter une nouvelle organisation des mécanismes de travail. L’idéal sera d’impliquer dans le futur proche les entreprises industrielles dans le financement de la recherche, et cela sans aucune coercition. Au contraire, c’est en encourageant l’investissement dans l’économie d’entreprise par toutes formes d’incitations que, à un certain moment de sa croissance, l’unité de production ou l’atelier d’usinage sentira de lui-même –via la concurrence et la pression du marché-la nécessité du renouvellement des connaissances et l’impératif de l’innovation.

C’est en quelque sorte ce que vient de reconnaître les autorités algériennes à travers les nouvelles mesures destinées à renforcer la recherche appliquée. Des chercheurs auront à piloter leurs propres start-up pour pouvoir s’impliquer aussi bien dans la vie économique du pays que dans le secteur de l’innovation.

Plus que toute autre activité académique ou économique, la recherche scientifique requiert un cadre de travail, aussi bien organisationnel que matériel, qui ne doit souffrir aucune approximation. En outre, par-delà la partie qui commande le projet de recherche et la partie appelée à en utiliser les données pratiques, le cœur du système de recherche se trouve être indubitablement dans l’instance académique et universitaire. Celle-ci, promise à des réformes annoncées depuis longtemps, patauge encore dans des difficultés où l’intendance et la logistique les plus rudimentaires prennent en otage l’organisation entière et réduisent l’offre pédagogique dans ce qu’elle a de plus substantiel. Le salaire et le logement des enseignants, l’hébergement, le transport et la restauration des étudiants, l’accès aux sources documentaires et informatiques, les indemnités d’encadrement des mémoires et autres thèses de recherche, bref, tout un éventail de problèmes qui mettent face à face les étudiants, les enseignants, le syndicat et l’administration. A tort ou à raison, cette dernière est toujours vue comme évoluant dans une tour d’ivoire qui lui ferme la vue sur l’environnement pédagogique et social de l’université.

De même, le statut de l’enseignement-chercheur, en dehors d’une tradition institutionnelle comme celles en vigueur dans les pays développés- à l’image du CNRS en France, avec ses démembrements départementaux, ses différents services liés aux spécialités universitaires et même des correspondants de l’étranger-, ne peut atteindre tout de suite sa maturité de façon assurer la sécurité du chercheur sur le plan de son évolution professionnelle et de sa condition sociale, et de façon aussi à donner à la recherche ses lettres de noblesse par une rentabilisation optimale des investissements réalisés dans les laboratoires.

Les pouvoirs publics et les professionnels du secteur connaissent bien les limites des performances propres au système universitaire tel qu’il existe dans son schéma actuel. En effet, les gestionnaires de l’économie nationale et les nouveaux capitaines d’industrie qui comptent conférer au secteur économique ses vraies valeurs de rentabilité et de compétence se posent d’ores et déjà la grande question de savoir où se trouvent les relais en matière de ressources humaines appelées à prendre en charge les entreprises et à manager leur politique d’investissement.

D’immenses besoins de mise à niveau

L’on sait déjà qu’à des niveaux subalternes de la pyramide ou de l’organigramme de l’entreprise algérienne- tâches d’exécution au-dessous de l’ingénierie ou du travail de conception-, le marché actuel de l’emploi souffre d’un déficit effarant de qualification dans les catégories moyennes des ouvriers spécialisés, charpentiers, plombiers, menuisiers aluminium, techniciens en froid,…etc. Aussi bien l’entreprise algérienne que l’entreprise étrangère appelée à travailler en Algérie, aucune d’entre elle n’a l’assurance de tomber sur des qualifications valables dans la formation relevant du cycle court.

Cela tombe sous le sens que la partie est encore plus complexe pour le segment ‘’recherche’’, surtout lorsqu’on sait que la jonction entre le monde de l’Université et la sphère de l’entreprise demandera encore d’autres efforts d’imagination et beaucoup de volonté politique pour prétendre asseoir une relation bâtie sur le sens du rehaussement des performances techniques, de l’innovation technologique et de la croissance économique

Sur le plan de la recherche scientifique appliquée, l’Algérie, au vu de l’aisance financière dont elle dispose depuis presque une décennie, était censée pouvoir engager de grands chantiers pour mettre à niveau les entreprises et l’administration sur le plan technique en adaptant les dernières inventions et créations du monde développé. Il est désolant de voir des logiciels pirates- qui circulent en toute impunité- prendre la place et le rang de recherche applicables à nos entreprises. Or, en matière de solutions informatiques, des Algériens de valeur sont en train de rendre des services inestimables à des boites étrangères au moment où s’échafaudent ici de fumeuses chimères lors de dispendieux séminaires tendant à inciter les cerveaux algériens à revenir au pays pour y investir et s’y investir ! La part prise par la matière grise algérienne sous les cieux ‘’plus cléments’’ d’Europe, d’Amérique et des pays du Golfe est un signe révélateur des échecs recommencés de la politique nationale de recherche et de la stratégie de la valorisation des énergies humaines nationales.

Aussi bien dans le secteur primaire de l’économie (agriculture, environnement) que dans le secteur secondaire (industrie, agroalimentaire) en passant par le secteur des services (tertiaire), l’Algérie a des besoins énormes de mise à niveau technique et de gestion. Aucune mesure administrative ou ‘’jurisprudence’’ étrangère ne peut remplacer l’action de la recherche scientifique. Des actions de recherche appliquée ont été déjà initiées en Algérie pour adapter des inventions ou créations occidentales. Les spécialistes algériens en environnement et en foresterie ont tiré le meilleur parti de l’observation et de l’évaluation des couverts végétaux par satellite. Ainsi, la nappe alfatière recouvrant tout le territoire des Hauts Plateaux a pu être suivie dans son évolution régressive jusqu’à pousser les scientifiques à tirer la sonnette d’alarme pour que les pouvoirs publics prennent en charge la question des surpâturages, des labours illicites et d’autres défrichements délictueux.

Ce sont des exemples qui permettent de réfléchir à d’autres domaines techniques où la recherche appliquée se révèle d’un apport inestimable pour la promotion de l’économie nationale et l’émergence d’une élite scientifique et technique à la mesure des défis de l’heure.

Amar Naït Messaoud

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