Cmen difir toujours sur les rails

Partager

Malgré cette vague de froid qui tend à confiner les gens dans les endroits chauds, je choisis plutôt ce lundi pour rendre visite, en compagnie d’amis, à Oukil Amar, une icône de la chanson kabyle. Cela fait déjà plusieurs semaines que l’artiste est

hospitalisé dans une structure parisienne.

Oukil Amar est de la race de ces gens simples et généreux. Humble et courageux, il est à l’image de ces ouvriers qui, très tôt, étaient contraints de quitter leur Kabylie natale pour se retrouver en France, non pour courber l’échine mais pour gagner leur vie à la force des bras. Dans ce monde rude de l’émigration, et comme beaucoup de ses semblables, Oukil Amar a trouvé son énergie dans la chanson. Il en a fait un moyen pour s’accomplir. C’était pour lui un catalyseur, un exutoire et bien plus encore, une arme de combat contre la douleur de l’exil et l’injustice de la vie. Il était là aussi, avec ses mélodies, pour accompagner et aider les siens à mieux supporter leur vie d’émigré. Dans mon jeune âge, j’ai beaucoup été bercé par ses mélodies qu’on écoutait en communion dans nos villages de Kabylie. Nombreuses sont ses chansons qu’on réécoutait sans se lasser en faisant pivoter les fameux 45 tours sur les tourne-disques. Il est donc normal pour moi, comme l’ont fait plusieurs personnes, d’aller saluer et apporter un peu de réconfort à un artiste, un bâtisseur de notre culture kabyle. En arpentant les couloirs de cet énorme Centre Hospitalier de Villeneuve Saint Georges dans la région parisienne, j’avais l’inquiétude de retrouver un homme affaibli par la maladie. Ce ne fut pas du tout le cas. C’est un homme qui avait toute son énergie que j’ai eu le plaisir de revoir.

Après les salutations d’usage, Oukil Amar nous rassure sur son état de santé et nous fait part de son bonheur de recevoir des visites. «Je suis heureux que les gens me rendent visite. Je reçois chaque jour une dizaine de personnes. Elles viennent de partout : de la région parisienne, de toute la France et de Kabylie, de la petite et de la grande». Même s’il est vrai que les visites le réconfortent beaucoup, Oukil Amar n’a qu’un profond souhait c’est de sortir de cet univers au plus vite. «Le destin a voulu que je revienne en France pour me soigner. Moi, très franchement, je me sentirais encore mieux chez moi, parmi les miens». Je lui rappelle que ces derniers jours la Kabylie est sous un manteau de neige et que rester au chaud est plus indiqué pour lui. «Non, je préfère la misère de là-bas que le confort d’ici. Mais comme le disait si bien Slimane Azem : Tout passe pour celui qui prend son mal en patience et d’ajouter les paroles de Chérif Kheddam (dont la disparition l’a beaucoup affecté) : Ikhir ajalab ntmurt iw, wala akhalkhal abarani». J’ai trouvé là un homme très vigoureux. En dépit de sa maladie et de ses quatre-vingts printemps, Oukil Amar possède une force intérieure qui l’aide à mieux garder son moral. Un moral bien au dessus de certains de ses visiteurs. A un de ses cousins, dans la salle, qui se plaignait d’un mal au bras, Da Amar lui rétorqua avec son humour habituel : «Slimane, il ne faut pas trop se plaindre. Il faut se rendre à l’évidence : ou c’est la jeunesse qui s’en va ou c’est la vieillesse qui s’installe, ou peut-être les deux». Et il se mit à déclamer une de ses chansons. Sa voix encore vivace retentit dans la chambre et dans les couloirs de l’hôpital. Ma mazal saad muqar akwni d anfekar Awen ner lkhir mazi negh muqar. Ma tura akli am lhut, At aamugh di labhar

Ses souvenirs se succèdent. Il revient sur ses vie artistique. «J’ai débuté dans la chanson dans les années cinquante. J’ai enregistré mon premier disque Cmen difir en 1959. J’ai travaillé avec Pathé Barclay. J’ai composé beaucoup de chansons et certaines, je l’ai oubliées aujourd’hui. Les gens les chantent encore, ce qui me comble !» On resterait bien des heures avec lui, à l’écouter parler et chanter . Et c’est sans insister qu’on eut droit, à notre bonheur d’entendre le sifflement du train : Cmendifir buwurfan retentit de nouveau dans cette chambre hospitalière. A la différence cette fois-ci, Da Amar modifie les paroles, en live, pour demander à son train de le transporter sur les cimes de Kabylie afin d’humer les senteurs du terroir. Nous avons pris rendez-vous pour revenir réécouter son riche répertoire avec le souhait qu’il se rétablisse très rapidement et de reprendre cette fois l’avion plutôt que le train, traverser la Méditerranée, revoir les siens et retrouver Ma laayounTaous, atas itasbar.

Prompt rétablissement Monsieur Oukil Amar. Bonne santé l’artiste.

De Paris, Tahar Yami taharyami@yahoo.fr

Partager