A quand les justes noces ?

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Rares sont les occasions qui s’offrent à nos journaux, d’ouvrir sur un événement culturel, lié à la production littéraire. Cette dernière étant entendue dans son acception la plus large : littérature de fiction, poésie, théâtre, essais, études sociologiques ou politiques… etc. La réponse, pour ceux qui sont tentés par la superficialité de l’analyse est toute trouvée : la production d’un livre, qui mérite l’attention des médias et du lecteur, serait plutôt une exception qu’une règle. On justifie également le manque d’intérêt accordé à l’actualité du livre par l’absence d’un lectorat potentiel. La génération qui a hérité du réflexe de la lecture à partir des obligations de l’école coloniale, tendant de plus en plus à disparaître, il ne reste que les jeunes arabisants qui baragouinent l’arabe et se sentent étrangers au français. Quant à pénétrer les écrits en berbère, cela relève d’une corvée à laquelle ils répugnent à s’astreindre, sous prétexte que ses horizons ne dessinent encore, aucune espèce d’“utilité” économique ou sociale.Pourtant, sur le plan de la quantité, la scène éditoriale commence à s’encombrer pour un pays, qui dans un passé récent, vivait sous le monopole de l’ENAL (ex-SNED). Les maisons d’édition privées sont déjà bien établies depuis que,timidement, Bouchène et Laphomie ont ouvert la brèche à la fin des années 1980. Casbah-Editions, Barzakh, Dar El Gharb, El Amal, Talantikit…, les noms des boites privées fleurissent avec, certes, un inégal bonheur.L’ancien slogan démagogique qui disait que le peuple avait besoin de livres, de la même façon qu’il avait besoin de pain, n’a jamais été suivi d’effet. On poussa le zèle de l’hypocrisie et du paternalisme jusqu’à vouloir “enlever au peuple le droit d’être un âne”, formule empruntée à Fidel Castro.Aujourd’hui et devant l’absence d’instances académiques idoines et de revues spécialisées en critique littéraire, le flux des productions livresques, ne rencontre pas de filtre qui puisse conduire à une décantation, basée uniquement sur la valeur intrinsèque de l’ouvrage, selon des canons esthétiques et qualitatifs, établis d’après les spécificités culturelles du pays et les valeurs de la culture universelle.La presse écrite, sans prétendre remplacer les structures et les outils inhérents à ce genre d’activité, peut aider à une meilleure lisibilité de la production littéraire, à une didactique de la lecture. Dans la chaîne de la production et de l’industrie du livre, la presse écrite constitue un maillon essentiel indépendamment des bons de commandes publicitaires que pourraient y introduire les éditeurs. Et puis, il ne faut pas aussi oublier que le champ littéraire algérien à étendu ses ailes sur tous les cieux où se retrouve notre communauté. Des livres d’auteurs algériens sont publiés à Beyrouth, au Caire, a Berlin, à Ottawa et à Paris. Les contraintes commerciales et le déficit d’information (à l’heure des technologies de pointe) font que ce cosmopolitisme est mal rendu dans notre presse. Nul besoin de pousser jusqu’à cette extrémité, nos appétits de lecture et d’information sur le monde des livres. Des productions précieuses, réalisées par des maisons d’édition établies en Algérie n’ont pas connu l’heur d’être présentées dans la presse.Il est vrai aussi que l’effort de nos journaux reste limité, par l’absence d’une stratégie professionnelle qui ferait de l’activité culturelle leur “chose”. Un événement politique, économique, social ou scientifique serait mieux vulgarisé et explicité s’il était encadré par une bibliographie, une cartographie et une iconographie appropriées. Dans un pays comme la France, pourtant assez cultivé pour éviter certains détails qui peuvent paraître superfétatoires, le 20 heures de F2 ou de TF1 ne donne l’information de proximité, que précédée d’un médaillon cartographique qui en situe la commune et la bourgade. C’est une affaire de culture et de tradition pédagogique, qu’il importe de méditer de ce côté-ci de la Méditerranée, au lieu de s’employer à singer des émissions de divertissement ou de sitcoms marqués d’une certaine spécificité culturelle souvent “intraduisible”. L’auteur du “Dictionnaire des curiosités linguistiques” publié la semaine dernière (voir “La Dépêche de Kabylie” du mardi 4 octobre 2005) affirme que “c’est par les mots intraduisibles que l’on peu le mieux résumer la culture d’un pays”.Dans l’état actuel du paysage éditorial algérien, la presse semble quelque peu en décalage, par rapport à la masse de production de livres. Des journaux ont lancé des pages littéraire au cours de ces deux dernières années, mais l’effort à accomplir dans ce sens, reste encore important pour pouvoir faire convoler le livre et la presse en justes noces.

Amar Naït Messaoud

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