La démocratie pour arrêter la roue de l’infortune

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“Il est à se demander à quoi joue, aujourd’hui, Ghozali, qui vient de déclarer que la victoire du FIS, en décembre 1991, était légitime.”

Face à la tentation de faire durer un pénalisant et mortel statu quo, et à la conjonction de quelques forces fondamentalistes dans une alliance qui espère rééditer les exemples de certains pays arabes où les insurrections populaires ont été détournées au profit d’une tendance théocratique au cours de l’année 2011, les forces démocratiques algériennes sont-elles prêtes à négocier, en position de force, le nouveau virage de la République ?

A deux mois du rendez-vous électoral des législatives, il est difficile de répondre par l’affirmative, bien que l’espoir démocratique soit majoritaire dans la société. Une majorité faite de tous ceux, ouvriers, étudiants, chômeurs, femmes, syndicalistes, journalistes, fonctionnaires…etc., dont les voies de libération sociale et politique et la voix d’expression de la liberté sont étouffées par la bureaucratie d’Etat (qui se rattache des clientèles rentières dans toutes les sphères, y compris celle des partis politiques) et culpabilisées par un discours clérical qui complète et fortifie tous les errements de la mal gouvernance algérienne. Outre cette question de savoir quelle serait la place des quelques partis démocrates et républicains algériens qui participeront aux prochaines élections, il importe également de s’interroger sur les intentions réelles du pouvoir politique quant à la régularité de l’opération électorale. De toutes façons, aussi fondées et légitimes que soient ces interrogations qui taraudent l’esprit des Algériens, elles ne peuvent guère justifier une défection devant ce que certains islamistes ressentent et présentent comme l’occasion rêvée de prendre leur revanche sur l’histoire, une histoire algérienne qui remonte à deux décennies, lorsque les fondamentalistes ont été arrêtés dans leur folle course vers les rênes du pouvoir. Il est à se demander à quoi joue, aujourd’hui, Sid Ahmed Ghozali, premier ministre au moment des événements, qui vient de déclarer que la victoire du FIS, en décembre 1991, était légitime. L’amertume et l’aigreur générées par l’impasse politique qui se dessine à son propre parcours suffisent-elles à se livrer à de telles explications biscornues ? L’on sait pertinemment que, abstraction faite de la fraude massive ayant précédé et sanctionné le scrutin de l’époque, et indépendamment même du grand nombre d’abstentionnistes et de bulletins nuls, la situation politique, morale et culturelle des Algériens ne pouvaient permettre de réussir le saut dans l’inconnu. Passer du règne hégémonique et martial du parti unique à une pléthore de partis, une soixantaine, ne pouvait pas s’effectuer sans dégâts. Tout le monde se rappelle l’hystérie et l’atmosphère de fin du monde instaurées par le parti de Abassi Madani, culpabilisant des millions de citoyens pieux, analphabètes, leur promettant que chaque voix engrangée pour le parti d’Allah était un pas vers le paradis. L’on sait, maintenant, le genre de paradis que les islamistes algériens ont préparé à leurs concitoyens. Presque vingt ans de guerre contre la population, l’élite et les cadres du pays. Sans doute instruits par l’inédite expérience algérienne, les islamistes tunisiens ont adopté une autre tactique qui les ferait passer, croient-ils, pour des politiques modérés. La preuve, semblent-ils suggérer, la présidence intérimaire est revenue à un ancien militant de la démocratie et des droits de l’homme, Moncef Merzouki. Dans l’entretien qu’il a accordé la semaine passée, au journal El Khabar, Redha Malek, un intellectuel et homme politique moderniste et républicain, se dit convaincu que cette façon de procéder des islamistes est une simple tactique, une ruse de guerre. Sous le vernis d’une pseudo tolérance, se cachent des desseins hégémoniques et totalitaires dont la première victime sera la démocratie et ceux qui la portent.

Y a-t-il une exception algérienne ?

Une idée est en vogue dans certains milieux ‘’intellectuels’’ et des médias consistant à dire « laissons les islamistes gouverner pour qu’ils soient confrontés aux réalités complexes de la gestion d’un pays, après avoir longtemps idéalisé et mythifié la solution islamique ». C’est là une vision qui peut être de bonne foi, mais qui accepte de voir un pays continuer à sacrifier sa jeunesse à force d’en faire un cobaye depuis l’ère des décolonisations. Cette solution arrangerait même certains ‘’partenaires’’ étrangers qui ne voudraient pas voir notre économie se relever et notre élite réhabilitée. La nouvelle colonisation mobilise rarement les troupes, elle se contente de ‘’conseils’’, de pression, de corruption des tenants du pouvoir de façon à les fragiliser et leur faire accepter toutes les ‘’recommandations’’. Dans quel cas notre pays pourrait être une exception à ce qui est devenu presque la règle dans le monde arabe, à savoir une insurrection violente dirigée contre le pouvoir politique ? Un des représentants du courant républicain et démocrate, Amara Benyounes en l’occurrence, soutient cette thèse en avançant les spécificités de l’Algérie dans cette aire géoculturelle, à commencer par la guerre de Libération nationale qui n’a pas eu son équivalent dans cet espace géographique.

L’équivalent, il faut peut-être le chercher du côté du Sud-Est asiatique, le Vietnam. D’autres avancent que l’exception algérienne, si elle a la chance de se vérifier, ne serait due qu’à une distribution généreuse de la rente via des dispositifs sociaux d’emploi sans lendemain et un soutien des prix exagérément onéreux (le déficit budgétaire de l’année 2012 est de 54 milliards de dollars). Là non plus, le sujet ne risque pas de s’épuiser complètement puisque la Libye n’a pas, en la matière, un système très différent de celui en vigueur en Algérie. Il est vrai que la spécificité algérienne existe, au vu de son parcours historique et culturel, mais elle ne pourra jamais servir de garantie contre un éventuel débordement que l’aveuglement politique et la cupidité rentière pourraient rendre inéluctable. Ce genre d’interrogations et de réflexions nous remet, à notre corps défendant, dans le bain du début des années 1990, lorsque a été lancé le débat sur la nécessité de la formation d’un bloc démocratique face à un pouvoir ‘’finissant’’ qui avait dilapidé toutes les richesses du pays et qui plus est, fut tenté par un ‘’concubinage’’ avec la mouvance islamiste, sortie réellement de ses laboratoires. Le brouhaha politique de l’époque, évoluant dans une crise économique sans précédent, avait poussé les populations, par la faute de la perversion de la notion de démocratie, à considérer le pluralisme politique comme la raison principale de leurs déboires. La recette est connue, elle fut brillamment mise à l’essai dans les pays d’Europe de l’Est, juste après la chute du mur de Berlin. La peur du libéralisme, qui commençait à produire ses premiers méfaits, avait conduit de larges franges d’électeurs à vouloir s’accrocher aux basques des anciens partis uniques via un vote-refuge. La phobie de l’inconnu a joué sur un fond fait de médiocrité d’une élite qui n’a pas su apporter une alternative crédible et, aussi, sur un fond de misère culturelle que ne pouvait irriguer spirituellement que l’underground clérical. Les craintes des lendemains incertains avaient donc profité momentanément certes, aux vieux appareils politiques. C’est une situation qui a largement discrédité le renouveau politique, supposé s’arrimer à la perspective démocratique.

Des blocs sociaux selon le schéma d’Ibn Khaldoun

Chômage, baisse du niveau de vie, violence sociale, banditisme ayant fait jonction avec les résidus du terrorisme, suicide, immolation par le feu, Harga, recul du niveau scolaire et universitaire, vacuité des instances en charge de la culture&hellip,; sont les quelques parties visibles d’un volcan social qui signe la déréliction humaine d’une jeunesse en total désarroi. A un certain niveau de confusion et de colère, il est difficile, voire quasi impossible, d’instaurer une ‘’intercession’’ ou une intermédiation politique sereine et valide. Les déceptions et les désillusions issues de telles impasses risquent, aujourd’hui, par esprit de revanche et d’aigreur, de continuer à dresser les citoyens contre leurs gouvernants, contre le système qu’ils incarnent et même contre les partis. On ne fait pas dans la dentelle. Ce sont tous ces malentendus qui trouvent leurs prolongements, et non leurs solutions, dans les émeutes. Ces dernières sont quotidiennement signalées dans les quatre coins du pays. L’émeute scelle l’échec de la politique. Elle déclare l’inanité du contrat social et remet en cause les valeurs de la citoyenneté. Continuer à dessiner les blocs sociaux, comme a pu les décrire Ibn Khaldoun en son temps – bled Ssiba (pays de la révolte) contre bled El Makhzen (lieu du pouvoir politique et de la rente)- est le signe irréfragable de la faillite du système en vigueur depuis l’indépendance. Les notions modernes de bonne gouvernance, de démocratie locale et de participation politique ne peuvent quitter le champ de la virtualité pour se traduire en actes, dans la réalité quotidienne, que par l’instauration d’une nouvelle culture basée sur l’effort, le respect des valeurs du travail et le respect du droit à la différence. Ce sont, alors, les droits et les devoirs de chacun qui seront plus nettement précisés et, partant, mieux assumés. L’ouverture du pays sur le reste du monde ne signifie pas seulement les échanges de marchandises et la libre circulation des personnes, ce sont les idées de progrès et de modernité bien socialisées qui seront aussi merveilleusement partagées. Ainsi, l’avenir de l’Algérie ne peut plus être moulé dans les lubies et les desiderata d’une classe politique en déphasage par rapport aux réalités du pays.

Amar Naït Messaoud

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