Comptes et mécomptes

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Si, sur le principe de l’alternance générationnelle aux commandes du pouvoir, on peut concéder au représentant de l’Alliance de l’Algérie Verte (AAV), Abou Djorra Soltani, son envolée exprimée dans une harangue à Tébessa, vendredi dernier, où il disait que « la génération de la Révolution a fait ce qu’elle avait à faire, et il est temps que la génération de l’indépendance accède à la gestion des affaires du pays », le reste de ses confessions sont beaucoup plus pernicieuses et portent en elles de vieux desseins, nourris depuis des lustres par le projet islamiste de mouler la société et les institutions de la République dans le schéma moyenâgeux d’une théocratie désuète.

Dans son meeting, l’ancien fervent de l’Alliance présidentielle, dans laquelle il a siégé huit ans, annonce clairement la couleur et lance sa nouvelle alliance dans le projet de réviser la Constitution algérienne dans le sens qui sied à ses vieux fantasmes. La prochaine Assemblée populaire nationale «aura pour première tâche de réviser la Constitution », assène-t-il, tout en précisant les contours de son projet en expliquant que le vote pour l’Alliance de l’Algérie Verte signifie le soutien du «changement du système présidentiel en système parlementaire, pour une gestion transparente des affaires du pays ». N’est-ce pas que les dérives et les perversions d’une éventuelle Constituante, comme ont eu à en avertir quelques personnalités politiques, à l’image du leader du MPA, sont en train d’être recherchées et sollicitées par les islamistes algériens, particulièrement ceux couvant dans l’Alliance de l’Algérie Verte. Ce que notre pays n’a pas vécu par le moyen d’une anarchie sous le supposé « rouleau compresseur » du Printemps arabe, nos islamistes veulent le réaliser par un processus pacifique et légal.

Cependant, on semble, dans ce genre de comptes, faire table rase de la grande part de mécomptes dans lesquels s’enlisent et s’embourbent les tard-venus d’une idéologie antinationale, parodie d’un grand mouvement qui va à rebours de l’histoire, et que favorisent les calculs et les impératifs de la géostratégie mondiale. C’est au moment où l’assemblée constituante tunisienne, pourtant dominée par les islamistes, bute sur l’instauration de la Charia comme source du droit tunisien (la proposition a été catégoriquement abandonnée), et au moment où l’assemblée égyptienne éclate, suite à une proposition du même genre, que la mouvance islamiste algérienne estime pouvoir imposer son projet de société après qu’elle eût été à l’origine d’une guerre contre le peuple qui aura duré plus d’une décennie. Du côté des gouvernants, il y a eu, malheureusement, beaucoup d’occasions ratées pour que le pouvoir politique médite les limites de l’endurance et de la patience du peuple face aux abus en tous genres. Il est vrai que l’obsession d’un exercice d’un pouvoir absolu, confortée par une patente inculture, et la puissance ascendante de la rente, ne pouvaient créer que plus d’aveuglement et moins de lucidité dans les cercles agissants. Après la terrible épreuve du terrorisme islamiste, qui a failli emporter tout un pays dans cette entreprise macabre, les forces du progrès qui, avec les franges les plus éclairées des forces de sécurité se sont opposées à ce mouvement qui va à contresens de l’histoire et des ambitions de notre peuple, s’attendaient légitimement à ce que les sacrifices des citoyens, des militaires et de l’élite décimée, au milieu des années 1990, ne soient pas vains, c’est-à-dire qu’ils soient prolongés par une politique courageuse de redressement du pays sur la base des choix démocratiques. Comme le craignaient certaines personnalités politiques de la mouvance républicaine, la tentation de transformer la défaite militaire du terrorisme en victoire politique est toujours latente. Par une imbrication et une connivence soutenues par des intérêts communs, la mouvance islamiste et l’aile conservatrice de l’ancien parti unique ont balisé la voie royale qui est censée les maintenir au pouvoir aussi bien dans l’appareil exécutif que dans l’Assemblée populaire nationale. Le paravent du programme présidentiel, derrière lequel les partis de l’ex-Alliance présidentielle avaient l’habitude de s’abriter, n’avait pas convaincu grand monde. Le taux d’abstention de plus de 65 % au dernier scrutin législatif de mai 2007 est une preuve éclatante de l’inanité de ce genre d’alliances et des discrédits qu’elle a nourri par rapport à la noblesse et au civisme de l’acte de voter. Qu’en est-il, sous cet angle, des prochaines élections de mai 2012 ? Il faut avouer que les nouveaux partis agréés n’ont pas eu le temps suffisant pour mûrir leur préparation. Ceux, parmi eux, qui se sont lancés, malgré cet handicap, dans la course électorale, comptent sur le sentiment, répandu dans la société qu’il faut renouveler la « classe politique » algérienne et les pratiques quotidiennes de celle-ci. Dans sa grande majorité celle qui a prévalu depuis 1989 est affectée d’un certain essoufflement et d’un vice rédhibitoire qu’est le défaut de proximité par rapport aux préoccupations des populations. De même, la période d’insécurité n’avait pas permis une véritable décantation qui aurait permis l’émergence d’une culture de gouvernement au sein des formations politiques. La plupart de ces dernières sont restées recroquevillées dans de vieux réflexes d’ « oppositionnisme » à tout crin, voire de volonté d’obstruction, au détriment de l’affrontement des défis majeurs qui se posent au pays et à la société en ce début du troisième millénaire.

Amar Naït Messaoud

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