Le malaise de la société en débat

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La société algérienne est en mutation, en voie de modernisation, explique Lahouari Addi, dans une conférence organisée samedi dernier par le Café littéraire de Béjaïa, que l’invité qualifie de « bourgeon qu’il faudrait élargir pour créer un espace autonome de débat». «Devoir de mémoire et impératif scientifique», plus qu’un leitmotiv, un mode d’être guidant le sociologue doublé du spécialiste en politique, qu’il est, dans ses travaux à travers lesquels il s’efforce d’aider à comprendre et à cerner la société algérienne dans ses mécanismes les plus profonds. En guise de préambule, le conférencier est revenu sur l’importance des sciences sociales. «Car, dit-il, le lien social en Algérie est marqué par une très forte conflictualité qui a parfois recours à la force physique (…) On n’a pas besoin de sortir le couteau ou le sabre pour nous faire entendre. Et les sciences sociales participent à cette pacification à travers la prise de conscience». Et c’est bien là le rôle de l’intellectuel : pacifier les rapports sociaux. Et il y va de la survie de l’homme… L’auteur de «Algérie. Chroniques d’une expérience postcoloniale» (Ed Barzakh 2012) est revenu, lors des débats, sur les malaises de la société algérienne qui peine à trouver sa place dans le concert des nations et sur les mécanismes grâce auxquels certaines institutions se sont retrouvées consacrées comme seuls pourvoyeurs de légitimité au détriment des autres pouvoirs à l’instar du pouvoir syndical, judiciaire, législatif, ainsi que des médias, entre autres. C’est là l’occasion pour lui de débattre à propos de cette violence ayant fait irruption depuis des années sur la scène algérienne. Ce déficit en légitimité rend l’Etat inapte à jouer son rôle de seul détenteur de la «violence légitime». Aussi, l’orateur propose que «il faudrait que les rapports que nous avons avec l’Etat soient pacifiés». «Couper la route est une violence, ajoute-t-il, mais c’est parce que ce régime ou cet Etat ne joue pas son rôle qu’il y a violence ». Tous les espaces, au sens physique et symbolique, et comme lieux sociaux, connaissent un tremplin de violence en raison de cette «illégitimité», mais aussi en raison des mutations que vit la société. Ces mutations engagent les individus qui la composent à (ré)apprendre à gérer et à (re)construire leurs rapports tout en intériorisant certains mécanismes à même de faciliter l’accès à la modernité. Pour l’invité de la séance, «l’espace public est à construire». Il rappelle à cet effet l’importance d’« institutionnaliser les rapports d’autorité». Par ailleurs, le rôle de la femme, à laquelle une certaine culture patriarcale interdit toute visibilité dans les lieux publics, a été abordé par le conférencier. Citant ses propres recherches ainsi que les travaux de Pierre Bourdieu sur, notamment, la société kabyle, il fait le parallèle entre le pouvoir réel (ici la mère), et le pouvoir formel (le patriarche). Allusion est ici faite aux rapports de force opérant au niveau politique engageant des sphères détentrices du vrai pouvoir, mais qui ne l’exercent pas à titre officiel. L’idée engage aussi à comprendre que la femme algérienne serait, selon l’orateur, détentrice d’un certain pouvoir qu’elle n’exercerait pas seulement au sein de l’espace domestique. La grille émancipatrice telle qu’appliquée à la femme occidentale serait ainsi à nuancer s’agissant de la femme algérienne, selon l’invité de la séance. Lire à propos de cette problématique :«Des mères contres les femmes», Camille-Lacoste Dujardin. Ed La Découverte, Paris 1985 ainsi que «La vaillance de la femme kabyle».

Autre sujet sensible abordé la religion, dont certains voudraient tirer un projet de société et que d’autres considèrent comme ayant exacerbé les rapports sociaux et politiques. C’était l’occasion pour l’auteur de revenir sur son concept de «Régression féconde». Démythifiant l’islamisme, tout en ne voyant en lui qu’une «utopie», il rappelle les dangers de «l’idéologisation du sacré». Il affirme avec la même force que les tenants de cette idéologie portent néanmoins en eux les germes de leur propre destruction, car «tant que les islamistes n’ont pas dépassé la problématique de la sacralisation de la Charia, ils ne pourront pas satisfaire les demandes politiques».

Le conférencier achève sa communication sur certains éléments présentés comme fondant la modernité un Etat de droit : l’économie de marché et la division sociale du travail.

La domination coloniale ayant amorcé ce processus (de modernisation), l’orateur a tenu à rappeler que la domination coloniale a refusé la modernisation à la société algérienne dominée et c’est pour cela que le nationalisme est apparu, il avait pour objectif de donner aux Algériens ce que la colonisation leur a refusé».

Guemghar Nabila

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