Le pari laborieux de la gouvernance locale

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Après l’installation, samedi dernier, de la nouvelle Assemblée Populaire Nationale, et l’annonce attendue du nouveau gouvernement, c’est sur les élections locales de novembre prochain que s’ouvrent les horizons politiques algériens. Si les législatives du 10 mai ont fait courir un personnel pléthorique pour pourvoir aux 462 sièges de l’Assemblée, les prochaines élections (APW et APC) locales ne manqueront pas, non plus, d’« ameuter » hameaux, villages et quartiers pour susciter des candidatures et galvaniser l’électorat. Or, même si les enjeux politiques des élections législatives sont autrement plus importants, le scrutin local recèle, quant à lui, sa propre ‘’mythologie’’ populaire, du fait qu’il constitue une consultation de proximité étendue sur un faible rayon géographique et donnant lieu à moult tractations tribales et villageoises, tendant à faire passer leur candidat préféré. Cependant, cette vision, faite de fougue, d’engouement et de luttes homériques, devra sans douté être nuancée et relativisée, au vu de l’histoire peu brillante de la gestion locale au cours de la décennie écoulée. En effet, à aucun moment de l’histoire de la gestion locale, depuis l’indépendance du pays, les assemblées locales, et singulièrement les APC, n’ont fait l’objet d’autant de colères populaires, d’affronts et de dérisions. Rien que pour le dernier mandat des maires, qui va s’achever dans cinq mois, l’Algérie aura connu une « révolution permanente » dans le rapport entre les populations et leurs conseils municipaux. Depuis les élections de novembre 2007, la majorité des mairies d’Algérie sont devenues des ‘’murs de lamentations’’, sur lesquels se déversent l’ire et le fiel de populations désabusées, frustrées ou carrèrent ‘’menées en bateau’’ par des élus qu’elles jugent ‘’indignes’’ de leur fonction. Contrairement à l’Assemblée populaire nationale, vue parfois comme une ‘’abstraction politique’’ élisant domicile loin des foyers populaires, dans un grand boulevard d’Alger, les assemblées communales mobilisent souvent l’électorat qui agit selon le clivage ancestral des tribus et des grandes familles. Et la remise en cause de la gestion des élus locaux, quelques semaines ou quelques mois après leur installation, procède souvent de la même logique de clivage, en plus, bien sûr, des raisons objectives qui poussent les jeunes des quartiers et des villages à incriminer les maires et le conseil municipal de toutes les déboires et impasses qu’ils vivent. Ces responsables élus sont rapidement, et trop facilement, rendus responsables de tous les retards que vit la commune en matière de développement et de prestation de service public. Ils sont tenus, abusivement, pour responsables du chômage qui frappe une grande partie de la jeunesse. Dans plusieurs cas, ces élus, au lieu de communiquer franchement avec la population et de contribuer à tisser un réseau associatif susceptible d’établir un dialogue fertile, jouent le jeu du pourrissement en faisant actionner de répréhensibles moyens dans l’octroi de postes de travail du filet social ou d’emplois créés par quelques entreprises venues s’installer dans la commune. Les mêmes voies tortueuses sont enregistrées dans l’établissement des listes des bénéficiaires de logements sociaux, à tel point que le gouvernement a préféré faire prévaloir le poids du chef de daïra.

Sur les projets communaux de développement, les citoyens n’ont eu de cesse, sur plusieurs points du territoire national, de crier à la discrimination et au manque d’objectivité dont se sont rendus coupables les maires. Certains de ces derniers ont, en effet, préféré réaliser une route ou une piste dans leur hameau d’origine, ils ont établi des listes pour le raccordement au réseau d’assainissement dans le quartier où résident leurs familles et proches. Cela, sans parler des affaires de corruption dans lesquelles sont impliqués des dizaines d’élus locaux. En tout cas, la liste des griefs, vrais ou inventés, est trop longue pour être sériée. Les indices les plus illustratifs de cette tension entre élus locaux et populations, sont certainement cette atmosphère d’émeutes, de barricades, de fermeture de sièges d’APC et d’autres procédés peu ‘’civilisés’’ qui en arrivent même à la prise en otage du maire ou de ses adjoints. C’est une situation qui a lourdement déteint sur la marche générale de la municipalité y compris par la mésentente chronique et les guerres de tranchées qui ont élu domicile dans les rangs des élus eux-mêmes, à tel point que certains actes de fermeture de mairie ont été commis par des élus eux mêmes.

Face à des telles situations d’impasse, la jeunesse demande des comptes à ses élus et à ses responsables administratifs, souvent de façon anarchique, à l’aide de pneus brûlés et de sièges de maries cadenassés. La nouveauté est ce procédé d’immolation par le feu qui, au cours des deux dernières années, a fait les choux gras de la presse à sensation. La semaine passée, un ‘’candidat’’ à l’immolation, se présentant dans un siège de commune, a aussi aspergé d’essence le maire pour l’entraîner dans… sa descente aux enfers.

Les jeunes ont fini par ‘’socialiser’’ la culture de l’émeute. Ainsi, parfois, ils s’en veulent en retournant contre eux-mêmes la colère de toute la société et en se donnant pour destin le suicide ou le naufrage en mer.

Mais, que l’on ne se méprenne pas sur les capacités d’une commune à instaurer le bonheur au sein de sa population, ni sur les prérogatives du maire que le dernier code communal de 2011 n’a pas totalement réhabilitées. La nature hypercentralisée des institutions algériennes et le caractère figé et déséquilibré de la division administrative du territoire sont loin de pouvoir contribuer à la réhabilitation de la gestion et à la bonne gouvernance locale. Ce sont là des dossiers qui, s’ils sont pris en charge par la nouvelle Assemblée nationale, pourraient rendre d’immenses services à la République et aux citoyens.

Amar Naït Messaoud

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