“Passer à l’ecriture pour preserver la langue”

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Djamal Arezki, écrivain d’expression amazighe, vient d’éditer aux éditions Tira un recueil de nouvelles intitulé Akal d wawal (Terre et parole) qui est une production de pas moins de onze nouvelles en tamazight. Pour Djamal Arezki, le passage à l’écriture est un moyen de préserver et de garder une empreinte de sa propre culture.

La Dépêche de Kabylie : Parlez-nous un peu de vous ?

Djamal Arezki : je suis né à Tazmalt en 1966, enseignant de tamazight et inspecteur de français à Bouira depuis 1998. Je suis titulaire d’un Master 2 en sciences de l’éducation et d’une maîtrise en lettres modernes que j’ai obtenus à l’université Paris 8. En plus de Akal d wawal, j’ai également publié Contes et légendes de Kabylie, chez Flies France, à Paris en 2010.

Votre livre s’intitule Akal d wawal (Terre et parole). Qu’évoque ce titre?

Et bien comme son nom l’indique, c’est l’enracinement de la parole dans un terreau qui est le nôtre, celui d’Imazighen. Tamazight est une civilisation de parole. La parole est le pouvoir dans notre société. On dit en kabyle: Bu yiles, medden akk ines! Celui qui a la parole a le pouvoir, a de l’influence. C’est dans ce contexte que j’ai rédigé ce recueil de nouvelles où j’ai repris la sagesse d’antan, les belles paroles, les jeux de mots, les histoires anciennes en les contextualisant, en les «habillant», en les rendant vivantes avec des personnages de ma création, tout en gardant le fond, parfois sa moralité.

Lors de votre conférence à Aokas, vous avez évoqué le passage de la culture de l’oralité à celle de l’écriture pour sauver notre patrimoine intellectuel et culturel. Pensez-vous qu’il est vraiment possible, à l’heure où le lectorat est en déperdition ?

D’abord je remercie l’association Rahmani Slimane qui m’a donné l’occasion de rencontrer des lecteurs, des amis, de pouvoir m’exprimer. D’ailleurs, je la félicite pour l’excellent travail qu’elle entreprend. Ensuite, pour répondre à votre question, je dirai que le passage à l’écriture est inévitable si on veut sauvegarder encore ce qui reste de notre culture, guettée malheureusement par la disparition si on n’agit pas. Un long travail de sauvegarde et de transcription est nécessaire, voire vital. Je crois fermement qu’on pourra, non seulement, sauvegarder notre patrimoine culturel mais le développer aussi par des créations nouvelles : romans, nouvelles, théâtre…par de la recherche. Taqbaylit se trouve partout : dans les champs, dans les villages, dans les comportements de tous les jours, dans la façon de penser et d’agir, etc.

Quel rôle joue l’école pour la promotion de la langue Amazighe?

L’école est une arme à double tranchant. Par le passé récent, elle a joué un rôle des plus néfastes dans le reniement de la langue et de la culture amazighes. Aujourd’hui, qu’elle prend en charge de façon parcellaire, incomplète et facultative cette langue, elle pourra la promouvoir si certaines conditions sont réunies. Je crois que ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. Beaucoup de choses restent à faire à commencer par l’abrogation du caractère facultatif de son enseignement, un des principaux obstacles à sa généralisation et à sa prise en charge sérieuse. L’école est, par définition, un instrument entre les mains de l’idéologie officielle, son prolongement, je dirai. Et l’idéologie officielle inclut, dans sa vision, juste du bout des lèvres, la culture et l’identité amazighes du peuple algérien…

Akal d wawal est édité en langue amazighe. Pensez-vous qu’une littérature d’expression amazighe a encore sa place en Algérie ?

Bien évidemment, sinon je ne l’aurais probablement pas écrit ! Non seulement elle a sa place mais nous devons la développer, il y va de notre devoir, de notre identité aussi. Si on ne le fait pas nous-mêmes, je ne crois pas qu’il puisse y avoir quelqu’un pour le faire à notre place. Comme quoi, on n’est mieux servi que par soi-même.

Quel regard portez-vous sur la littérature d’expression amazighe ?

Ces dix dernières années ont vu un élan formidable en matière de production et de création littéraires. Ce n’est pas négligeable pour une langue frappée d’ostracisme officiel durant des millénaires. Des langues et des cultures prestigieuses contemporaines de Tamazight ont complètement disparu. Je crois qu’il convient de relativiser «la chose». En dépit de l’absence de la qualité de la production escomptée, la littérature d’expression renait de ses cendres au grand dam de ses détracteurs (et ils sont nombreux malheureusement). Editer une centaine de romans, de nouvelles, des pièces de théâtres, des traductions tous azimuts ne peut être qu’encourageant.

Quels sont les problèmes que rencontre le monde de l’édition en langue amazighe ?

L’édition, la distribution et l’absence d’une véritable politique du livre (pas seulement Amazigh, je suppose) sont des freins, des obstacles à sa promotion. En outre, la lecture tout comme l’écriture, est une activité sociale qui n’a pas sa place chez nous. Très peu de gens lisent. L’école n’a pas su ni pu installer cette culture du livre. Il est vrai qu’elle est fortement concurrencée par l’image certes mais la lecture est irremplaçable, comme l’a si bien confirmé Mouloud Feraoun : «Le seul moyen d’être et de devenir cultivé est la lecture». L’histoire lui donne raison. On ne pourra jamais faire l’économie du livre.

Comment est née votre passion de l’écriture ?

En évoquant Feraoun justement, c’était l’un des tous premiers auteurs que j’avais lus. Son écriture, son style, les sujets qu’il aborde m’ont grandement aidé à aimer la lecture. Par la suite, ma curiosité m’a poussé à lire autre chose, à diversifier ma lecture. Enfant, je ne comprenais pas tout ce que je lisais. Mais avec le temps, j’ai acquis la bonne habitude de lire. Ensuite, j’ai eu la chance d’évoluer dans un milieu favorable. J’ai eu des amis qui avaient des livres et qui lisaient beaucoup aussi. D’ailleurs nous sommes toujours restés en contact et nous échangeons toujours des livres. Nous avons créé une sorte de réseau où circulait toute sorte de livres (du moins ceux qui étaient disponibles), y compris ceux écrits clandestinement en tamazight. L’interdit, loin de nous dissuader, était un vrai tremplin. Quel plaisir de lire un livre interdit ! C’était à cette époque-là que je commençais à rédiger des histoires, des contes, à transcrire des poèmes anciens… que je garde toujours. J’ai pu recueillir un important corpus de poèmes inédits.

Que vous inspire le mot Tira (écriture) ?

Tira, l’écriture avant d’être une passion, est d’abord un moyen d’expression privilégié. Je crois qu’il n’existe nulle part une civilisation sans écriture. L’écriture c’est aussi une façon de réfléchir à tête reposée, un moyen de création, de conservation et de transmission des idées. En littérature, elle permet de rêver, de donner libre cours à son imaginaire, à son génie créateur…L’écriture, tout comme le reste s’apprend par la pratique surtout et se développe.

Quels sont vos projets futurs ?

Je viens de finir, en collaboration avec mon ami Bellil Yahia, un livre sur un poète résistant du XIXème siècle, en l’occurrence Mohand Saïd Amlikech des At Sidi Ali Ou Abdellah, du village d’Iaggachen, à At Mlikech (Béjaïa). Pour son bicentenaire (il était né en 1812, mort en 1877), l’association culturelle qui porte son nom lui organise un festival culturel qui aura lieu conjointement à Tazmalt, Boudjellil et At Mlikech, du 01 au 04 juillet 2012. J’ai aussi un autre recueil de nouvelles en Kabyle que j’ai intitulé Inig aquccah (un voyage inachevé) qui paraîtra bientôt j’espère, un essai, en français, sur Taos Amrouche et des traductions du français au kabyle dont certains extraits ont déjà paru dans diverses revues, notamment dans ayamun.com consultable en ligne.

Un mot à vos lectrices et lecteurs ?

J’espère qu’ils trouveront bien du plaisir à me lire. Un auteur n’existe que par ses lecteurs. J’attends leurs échos qui me permettront d’aller toujours de l’avant, d’affiner davantage mon style d’écriture.

Entretien réalisé par Reda Senoune

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