Par Abdennour Abdesselam :
Un premier différend opposera Chikh Mohand au Chikh Aheddad autour de la prééminence de l’un ou de l’autre dans la société kabyle. De son vrai nom Mohand Ameziane n Ali Iheddaden, originaire de Seddouk, était un homme aux qualités humaines exceptionnelles doublées d’une parfaite maitrise de la langue kabyle. Son père, Ali, était forgeron d’où son nom Aheddad. Chikh Aheddad était en ce temps le chef de la confrérie Rahmania et Chikh Mohand n’était qu’un simple membre, mais dont l’autorité était déjà largement établie et reconnue à travers toute la Kabylie. L’évolution aidant Chikh Mohand, qui était membre de la Tariqa, ne concevait plus son rôle et sa mission sous l’emprise d’une quelconque organisation fut-elle d’un ordre religieux. Même l’adaptation du fonctionnement et de la pratique de l’ordre rahmanien aux réalités sociologiques kabyles paraissait pour le Chikh insuffisante pour laisser s’exercer une libre pensée, une libre opinion. Une confrérie signifiait pour le Chikh un fonctionnement réglé rigoureux, rigide et délimité par avance dans «un cadre de recommandations strictes» et figées. Seule la liberté d’entreprendre et d’intervenir, en dehors de tout espace limité pouvait consacrer l’individu dans son statut de penseur et de serviteur de la pensée. Chikh Mohand, le libertaire, s’en tenait à cela. Il œuvre alors pour la dissolution du dogme rahmanien dans la pensée kabyle. Lorsqu’il fut convoqué par Chikh Aheddad à Seddouk, la confrontation fut violente par les répliques qu’ils s’échangèrent. Chikh Aheddad commença par exiger de lui des explications sur la responsabilité qu’il avait prise de s’autoproclamer représentant de la confrérie à Igawawen (habitants du versant Nord du Djurdjura). Comme pour stopper net toute contestation de son chef, Chikh Mohand répondra qu’il avait été choisi par Dieu lui-même. Il lui dira : «d Rebbi!». Pour Mammeri dans «Chikh Mohand a dit», cette réplique «inaugure en réalité une rupture totale, une façon neuve d’interpréter les choses de la foi, une façon qui va à contre-courant de la doctrine reçue jusque-là non seulement dans la confrérie Rahmania mais dans la pratique religieuse en général». Pourtant, un représentant pour Igawawen avait été déjà formellement désigné par Chikh Aheddad en la personne de Sidi Hend Umejber. Mais c’est Chikh Mohand qui sera consacré de fait par la population. Il n’y a pas eu de contestation connue de la part de Sidi Hend Umejber, du moins directement. A suivre.
A. A.