Les échardes de la construction démocratique

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Bien que le slogan colporté pendant les années quatre-vingt-dix du siècle dernier, à savoir le “parachèvement de l’édification institutionnelle du pays», ait imposé sa présence, laquelle s’est matérialisée par une sorte d’“industrie électorale” en plein subversion terroriste, et ait également sévi par l’ambiguïté de sens qu’il laissait transparaître, il ne persuadait, cependant, que peu de monde.

Il est tout à fait vrai que la contestation politique a été puissamment émoussée par les enjeux sécuritaires, au point où ni les partis, ni les associations, ni les personnalités indépendantes ne pouvaient peser convenablement dans la balance. Le temps de l’illusion démocratique et de la fraude comme mode d’emploi a duré presque deux décennies. Il en a résulté une défiance légendaire des populations envers l’autorité particulièrement l’autorité qui organise les élections. Pratiquement, aucune élection, d’envergure nationale ou locale, n’a été épargnée par l’accusation de fraude. Cependant, les faussaires ne se retrouvent pas seulement dans les pavillons de l’administration, mais également à l’intérieur des partis qui se proclament de l’opposition, qu’elle soit démocratique, islamiste ou simplement opportuniste. En effet, les rangs des partis politiques algériens nés de la césarienne d’octobre 1988, sont truffés de toutes sortes de personnels qui sont loin d’avoir l’exercice de la politique comme vocation. Ils se sont retrouvés dans ces formations par effraction, au moment où les portes étaient ouvertes pour n’importe qui pour accéder au commandement d’un parti. L’on se souvient de ce “face à la presse», une émission de la télévision algérienne des années 1990, où le premier responsable d’un parti politique a été interrogé à propos du nombre d’adhérents de sa formation. “Je ne saurais vous dire. Ils entrent et ressortent continuellement, comme dans un marché», répondit-il. On s’était étonné par la suite, de retrouver le responsable en question comme gérant d’une gargote à l’Est du pays, abandonnant l’activité politique après qu’il eut bénéficié de deux voitures pour son parti. Ce n’est là qu’une illustration de ce à quoi s’est réduite l’activité politique dans notre pays, en ayant nourri une pléthore de faussaires de tout acabit. En réalité les acrobaties politiques, auxquelles se sont livrés l’administration et les vrais centres de décision, n’ont été possibles que parce que le champ politique algérien et ce qui en considéré comme élite, sont souvent mâtinés, truffés et neutralisés par une sous culture politique héritée de l’ère de la glaciation du parti unique et sustentée par une école médiocre et formatrice de chômeurs. En fait, combien de chômeurs ont investi les rangs des partis politiques dès leur formation au début 1989? Le chômage n’est pas une tare, c’est une situation déplorable de non emploi. Mais, il est loin de pouvoir servir les structures partisanes dans leurs activités régulières ou exceptionnelles. Si une telle situation était possible et a duré pendant des années, c’est que le parti, l’analphabétisme aidant, était vu comme une “appendice’‘ de l’État. Un organe que, de surcroît, l’on peut approcher, solliciter et investir gratuitement. Le secret espoir qui sous-tend un tel rapprochement, est que le parti puisse payer ses adhérents au lieu qu’il soit lui-même financé par ces derniers. Ce sont les pouvoirs publics qui avaient laissé s‘incruster une telle idée dans la tête des gens en consentant, au début du pluralisme politique, des subventions pêle-mêle aux formations politiques, avant même de savoir si elles allaient participer à une quelconque élection. Par ce procédé pernicieux, l’État a pu consacrer l’idée que le pluralisme est un ‘’don’&lsquo,; un privilège qui comporte une récompense matérielle immédiate et, surtout, des perspectives d’ascension sociale.

“Qui souffre de l’injustice… ?”

Que tout cela arrivât au début de la libéralisation du champ politique, moment caractérisé par un inévitable cafouillage des toutes les parties, peut, à la limite, être “compris’‘ et excusé comme un pas de clerc, un passage obligé pour le laborieux et long chemin de l’émancipation citoyenne et de la consécration de la démocratie. Néanmoins, plus de vingt ans plus tard, des méthodes encore plus sophistiquées ont prolongé l’amateurisme politique des années précédentes. En effet, la course à la députation nationale (APN) prend-elle toutes ses justifications dans la volonté des candidats de servir le peuple et la République? Les caricaturistes algériens n’ont, sans doute, jamais eu d’imagination aussi fertile que pendant la campagne électorale d’avril-mai 2012, et même après. “Fais gaffe de ne pas changer ton numéro de portable! “, s’égosille un paysan en direction d’un nouveau député qui prend son cartable pour se rendre à l’hémicycle du boulevard Zighoud Youcef. C’est là un dessin paru dans un quotidien et qui montre ce qu’attend la population d’un député et les possibilités de ‘’reniement’‘ par ce dernier de son électorat, dans un nouveau climat de doucereuse opulence qu’il ne connaissait pas auparavant.

La politique et l’argent peuvent-ils faire bon ménage? Déjà dans les démocraties avancées où la comptabilité des partis et les déclarations de patrimoine des agents de l’État et des élus sont strictement réglementées, quelques défaillances du système sont, de temps en temps, portées à la connaissance de l’opinion publique et de…la justice. En Algérie, l’émergence d’une conscience politique saine, portée par les élites et annonciatrice d’un nouvel ordre citoyen, demeure tributaire de plusieurs facteurs qui auront le désavantage de dérouler leur vertu sur plusieurs années, voire sur plus d’une génération. La formation par l’école, l’imprégnation des jeunes par la culture et la neutralisation des effets morbides de la rente pétrolière ne se décrètent pas ex-nihilo. Quel ne fut la déception de quelques ingénus citoyens, lorsqu’ils découvrirent, au milieu des années 2000, que des maires, d’un parti habituellement classé dans la mouvance démocratique, ont eu le même comportement que l’ancien parti unique, en matière de clientélisme, dans la distribution de logements et de gabegie dans la gestion des projets de développement! “Qui souffre de l’injustice l’exercera lui-même sur les autres dès qu’il en aura le pouvoir“, dit un poème d’Aït Menguellet datant de la même période. Dans le sillage des dissidences successives qui sont signalées dans les partis politiques, aujourd’hui ou dans un passé récent, n’y en a t-il pas qui sont alimentées par une histoire de gestion des fonds du parti? N’a-t-on pas créé ou cousu des histoires de toutes pièces, liées à l’argent du parti, rien que pour abattre ou évincer un ennemi politique au sein d’une même formation?

Le FFS, Djamel Zenati et le parti des pauvres…

Au meeting tenu par les dissidents du FFS, jeudi dernier au centre-ville de Tizi-Ouzou, il a été aussi fatalement question d’argent. Samir Bouakouir appelle, ainsi, à “réhabiliter la politique qui est envahie par l’argent“ et à s’opposer au “système de clientélisation“. De son côté Djamal Zenati dira que “le FFS est un parti des pauvres, alors que, maintenant, il faut avoir des sacs pleins d’argent pour intégrer le FFS“. Voilà dans l’état actuel de l’arriération de la conscience politique et du déficit de la culture de la citoyenneté de quoi est fait le quotidien des Algériens, structurés ou non dans les partis politiques. Un quotidien qui se nourrit de multiples frustrations et d’une kyrielle de mirages. L’élection de la nouvelle APN, le choix des prochaines assemblées communales et de wilaya, en novembre, et surtout, l’échéance de la présidentielle de 2014, pourront-ils amorcer un début de décantation sereine de façon à conférer un sens plus noble aux partis politiques et à asseoir une mécanique institutionnelle qui “survive aux hommes et aux événements“, selon une devise des auteurs du coup d’État du 19 juin 1965. Une devise ô combien noble, mais, malheureusement, massacrée dans la réalité.

A. N. M.

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