Les heures fastes de la déliquescence des services publics

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Face aux citoyens qui viennent se plaindre de la sécheresse des robinets ou des longues et incessantes coupures d’électricité en ce mois de Ramadhan, qui tombe dans une période caniculaire et en pleines vacances, le maire n’a pas pu avoir les mots convaincants ou le ton persuasif. La menace de fermer la mairie monte dans la foule; la surenchère indique même la possibilité de fermer la daïra. « Puisqu’on y est, tonne un manifestant en colère, fermons aussi et surtout les agences de l’ADE et de Sonelgaz »! Dans ce climat électrique, alors que l’électricité est coupée dans les foyers depuis douze heures déjà aucun modérateur ne vient à la rescousse pour arrêter les surenchères et trouver des solutions moyennes. Même ceux que la presse appelle communément, et confusément, les « sages », on ne voit pas leur ombre dans l’arène. C’est que les choses se sont corsées et la situation est devenue quasi incontrôlable. On passe allègrement à l’acte et on ferme toutes les structures publiques qui sont censées offrir leurs services publics aux citoyens, plus exactement aux populations, car le concept de « citoyen » est trop galvaudé dans notre pays pour pouvoir désigner ce pourquoi il a été forgé initialement, c’est-à-dire une personne ou un habitant bénéficiant de tous les attributs politiques, en droits et en devoirs, que lui assure la République, laquelle, étymologiquement, signifie une  »chose » (res) publique. Ce qui nous ramène à un autre débat, celui de la gestion de la cité et de la représentativité politique. Mais, on est en plein dedans! La scène rapportée plus haut, qui s’est déroulée la semaine passée dans une commune de Kabylie, se répète à l’infini, singulièrement depuis l’arrivée des grandes chaleurs. Les populations des villages et des hameaux ne comprennent pas que l’on puisse emmagasiner des millions de mètres cubes d’eau dans les barrages sans que l’on daigne mettre les moyens fiables de réaliser les adductions vers les foyers. Là où les conduites existent, les fuites mettent du leur, et les agences de l’ADE sont souvent aux abonnés absents. Il en est de même pour l’électricité. Pour un pays qui s’apprête à alimenter l’Europe en énergie…solaire, via le projet Desertec, il est pour le moins énigmatique que le minimum de service public en matière de gestion du courant électrique ne soit pas assuré. Ne demandons pas le  »luxe » de voir la connexion Internet inaugurer l’ère de la régularité et du haut débit. Les entreprises, les administrations, les bureaux d’études et les universités, en cette période d’inscription des nouveaux bacheliers, et les particuliers en souffrent et en payent le prix en termes de rendement, de délais et de qualité des prestations. Inexorablement, le paradoxe continue à manifester sa présence et surtout à sévir: paradoxe entre, d’une part, un pays qui ne gère plus ses plans quinquennaux et ses projets en dinars, mais en milliards de dollars, et, d’autre part, le sous-développement et la sous culture qui pénalisent la marche générale du pays dans son cadre de vie, l’aménagement de son territoire et, surtout, la qualité de ses services publics.

Impuissance et vœux pieux

L’on se souvient de cette caricature parue dans un journal et qui fut, à quelques détails près, imitée plusieurs fois, où l’on fait dire à un fonctionnaire de l’État, lors d’un accueil froid et embarrassé qu’il a réservé à une personne venue régler un problème administratif : « revenez après les élections !». On a vu l’extension de cet humour s’appliquer aussi aux fêtes religieuses et nationales. Le Ramadhan, s’étalant de surcroît sur une durée d’un mois, n’échappe pas à la règle, surtout, comme cette année, il tombe en pleine canicule. La réalité décrite dans ce genre de dessin n’a malheureusement rien de caricatural. Elle est amère, complexe et épuise toutes les énergies des administrés contribuables, qui sont, en plus, des…électeurs. Dans la plupart des cas, il s’agit, pour des ronds-de-cuir dont les compétences ne sont pas prouvées, de bouter hors de l’enceinte du bureau les indésirables demandeurs d’audience ou de simples personnes cherchant à se faire établir une banale attestation. Les désagréments qui obèrent la marche et la gestion des affaires publiques, du fait de négligences, de laisser-aller et d’autres travers liés à l’incompétence des gestionnaires des services publics, sont lents à sérier tant ils sont nombreux et variés. Pratiquement, aucun secteur n’échappe aux serres de la bureaucratie et aux humeurs fantasques de ses exécutants qui sont à même de susciter la crise ou la pénurie lorsqu’elles ne font pas partie de leur gestion naturelle des affaires publiques. Ce sont là des handicaps qui ne se limitent pas aux services publics, censés être destinés aux populations et aux ménages; ils vont plus loin, jusqu’à remettre même en cause des possibilités avérées d’investissements dont sont porteurs les quelques capitaines d’industrie que compte le pays. Évidemment, les blocages de ce genre ne sont jamais gratuits. Ils sont toujours porteurs d’intérêts…particuliers. Les quelques tentatives faites par les pouvoirs publics au début des années 2 000, tendant à faire le diagnostic de l’administration et des structures de l’État, pour leur proposer des réformes salvatrices (allusion est ici faite à la commission créée par le président de la République et conduite par M. S’Bih), sont restées lettre morte. Cela montre la nature et l’ampleur des résistances au changement développées par le corps de l’administration et des différents services publics. Dans une intervention télévisée, en mars 2011, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, avouera l’impuissance de l’administration du pays à s’améliorer dans une conjoncture où le pays est  »pris en otage » par la mafia de l’économie informelle dont les acteurs en sont arrivés à créer une administration  »parallèle », celle de la corruption et de l’abandon de la notion de service public.

Amar Naït Messaoud

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