L’indignation positive est-elle possible ?

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Les différentes frustrations socioéconomiques des populations, les ahans et les louvoiements des promesses de réformes politiques et, enfin, la vide sidéral dans lequel est tombée la culture dans notre pays, sont des handicaps majeurs qui se sont dangereusement agrégés au fil des années dans la société algérienne et dans les institutions de l’Etat, et risquent aujourd’hui d’atteindre le niveau de désespoir qui donnera le ‘’la’’ du non retour. Le chantre de la culture kabyle, Matoub Lounès, disait dans une strophe datant du début des années 1980 : « A trop éperonner la paire de bœufs, elle finira par rompre le joug ». C’est là un avertissement qui n’est pas né ex nihilo, mais qui vient de la vieille sapience montagnarde qui a muri à l’épreuve de la vie et des ses vicissitudes. La paralysie actuellement ressentie sur la scène politique trouve malheureusement son pendant dans les rouages de ce qu’un chef d’une organisation patronale a nommé il y a deux semaine, la ‘’non économie’’. C’est, à bien y regarder, d’une conjuration fatale qu’il s’agit ; une somme de coups tordus qui, à intervalles plus ou moins réguliers, finissent par exploser à la figure de la société et des gouvernants, faisant ainsi voler en éclat des certitudes en apparence bien chevillées et une arrogance prétendument invincible. Dans un passé récent, ce fut le sang des Algériens qui a coulé pour des questions démocratiques et des revendications socioéconomiques. Néanmoins, ce furent malheureusement autant d’occasions ratées pour que le pouvoir politique médite les limites de l’endurance et de la patience du peuple face aux abus de tous genres. Il est évident que les dérives de l’exercice d’un pouvoir absolu, aggravées par une patente sous-culture, et la puissance magique de la rente pétrolière ne pouvaient mener qu’à plus de myopie et moins de clairvoyance dans les cercles agissants. Après l’épreuve sanglante du terrorisme islamiste qui a failli rayer de la carte le pays entier, les forces de progrès et de modernité qui se sont opposées à ce funeste dessein se sont attendues légitimement, mais sans doute aussi naïvement, à ce que les sacrifices de simples citoyens, des éléments de services de sécurité et de l’élite décimée par la folie islamiste ne soient passés par compte « pertes et profits ». L’on nourrissait le précieux espoir que ces sacrifices soient prolongés par une politique hardie de redressement du pays sur la base des choix démocratiques. Cependant, il semble que les atermoiements aient de beaux jours devant eux. Les différentes échéances électorales que l’on aurait pu mettre à profit pour l’émergence d’un pôle démocratique qui redonnerait aux Algériens l’espoir et la confiance en eux-mêmes et dans leur pays n’ont pratiquement servi qu’à instiller un peu plus d’incertitudes et de défiance dans l’avenir immédiat. Cela ne nous console guère qu’il y ait des pays ou des peuples qui souffrent plus que nous. Cela ne nous console pas non plus d’entendre, de la part même des officiels, que nous avons vécu notre « Printemps arabe » en 1988 ou même pendant la guerre de Libération. C’est là peut-être une vérité mais qui est loin de nous exonérer de notre devoir d’indignation. Indignation face à l’injustice, face à la corruption, face aux inégalités criardes et face à l’impunité. Tous ceux qui aiment ce pays, qui tiennent à sa stabilité et à son développement souhaiteraient que notre potentiel d’indignation ne se transforme pas en…capacité de nuisance contre nous-mêmes de façon à mettre en péril nos chances de sortie de crise. Le pouvoir et la classe politique de notre pays sont appelés à faire des révisions déchirantes dans leur culture figée s’ils agréent au fait que la capacité d’indignation de la société se transforme en énergie positive. La supposée « voie royale » -conservatisme issu de l’ancien parti unique et islamisme-que l’on tente de nous présenter comme le fatal ‘’bicaméralisme’’ politique qui doit nourrir les Algériens, n’est pas notre destin forcé. Les luttes héroïques des Algériens pour la liberté et les potentialités réelles du pays sont censées nous éloigner de cette voie qui a pris en otage le pays pendant plusieurs décennies. La perspective démocratique, même si elle patauge actuellement dans les ornières de calculs personnels et qu’elle souffre de plusieurs interférences visant sa neutralisation, est la seule voie valide qui finira par imposer son alternative.

Amar Naït Messaoud

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