Autour de la représentativité dans la région des Igawawen (6)

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Par Abdennour Abdesselam :

Par « at wexzan » (ceux qui thésaurisent) Chikh Mohand indiquait et dénonçait clairement les membres de l’ordre rahmanien qui s’adonnaient au prélèvement de l’impôt religieux. Dans la culture kabyle, passer le col (tizi) est un acte symbolique de courage extrême. Les cols de Kabylie sont réputés très dangereux lors des grandes neiges des rudes hivers. Une foule de légendes mythiques les décrit comme habités d’animaux sauvages, mangeurs d’hommes du genre de « iwaghezniwen ». Chikh, habité par une forte colère, ne cède rien de sa liberté d’action et de pensée quelles qu’en soient les conséquences. Il décide alors de quitter les lieux de Seddouk et de passer le col dangereux d’Ichellaten. Avant de partir, Chikh Mohand Oulhoucine lance en direction de Chikh Aheddad la terrible réponse par laquelle il refuse toute complicité dans le déséquilibre social en raison des pratiques dogmatiques. Il annoncera alors à la face du Chikh Aheddad sa rupture avec l’ordre rahmanien. Il lui dira: « Atnad letman-ik; atnad lexwan-ik; kksegh seg iri-w*; rrigh ar yiri-k*; âuhdegh Rebbi; ur nsigh deg uxxam-ik » (garde pour toi seul tes serviteurs soumis ainsi que tes disciples je me décharge de ces pratiques prends en seul la responsabilité je jure par Dieu que je ne dormirai pas en ta demeure). Le point fort de cette contestation est au troisième* et au quatrième vers*. En effet Chikh Mohand dégage par devant le chef de la confrérie Rahmania toute sa responsabilité dans le statisme des idées car, et selon Mammeri « la confrérie rahmanienne continue de fonctionner en vase clos, selon les règles de l’ordre, mais l’histoire est pressante, les hommes sentent qu’à défi insolite il faut des réponses inédites. Désormais Chikh Mohand refuse de cautionner ce type de dévotion reposant sur le dogme et le culte. C’est en cela et par cela qu’il fût un séculier à la pensée temporelle et dynamique. Ils se sont jeté mutuellement des sorts pour le moins inconfortables. Etrangement, le sort décidera que le Chikh Aheddad sera enterré à Constantine et ses biens confisqués par l’administration coloniale. Chikh Mohand mourra sans laisser de descendance. Même si la légende populaire les donne pour tels, l’un et l’autre ne sont pas une puissance divine pour qu’enfin leur fin se passe de leur bon vouloir. Il n’est point ici que de pure coïncidence que le génie populaire interprète par exagération. Aujourd’hui encore l’on ne s’explique pas les raisons pour lesquelles Chikh Aheddad n’a pas prononcé d’excommunication à l’endroit de Chikh Mohand. Il ne l’a pas « jeté en pâture » et n’a pas dépassé le seuil violent de la colère. Probablement que la notoriété déjà établie de Chikh Mohand, a joué en faveur de ce dernier. Refusant ainsi de se soumettre à l’ordre Rahmanien, Chikh Mohand quitta précipitamment les lieux et jamais plus, il ne revit Chikh Aheddad. Depuis, les contacts se faisaient par des envoyés spéciaux particulièrement à propos du soulèvement de 1871 que nous aborderons dans nos prochaines chroniques.

Abdennour Abdesselam ([email protected])

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