Leçons d’un dangereux désordre

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Les éléments du puzzle algérien, qui s’imbriquent pour la rentrée sociale qui aura lieu dans deux semaines, offrent une espèce de paradoxe algérien sui generis, faisant que l’on a la forte impression que les événements se succèdent sans s’enchaîner, s’accélèrent sans liens apparents et laissent pantois observateurs et chroniqueurs.

Il semble que seuls les caricaturistes tirent provisoirement leur épingle du jeu, en trouvant dans l’actualité la plus oppressante de notre pays matière à railler, à critiquer et à faire partager un humour sarcastique. Sans cet humour, le poids de la réalité nous écraserait fatalement. « Si les rêves ne sont plus là les jours deviendront amers, et nous ne pourrons pas faire face à la réalité », chante Aït Menguellet dans Iminig guidh. Le suspens semble avoir trop duré. On nous apprend que les nouveaux députés se mettront au travail à partir du 3 septembre, et le bruit court que le  »nouveau » gouvernement sera formé peut-être 24 heures avant cette échéance. Tout redémarrera en trombe: préparation des élections locales de décembre prochain, esquisse de la nouvelle Constitution, probable remplacement de Benbouzid en pleine rentrée scolaire,…etc. En réalité les événements, ou ce qui en tient lieu, ne font que donner l’illusion d’une accélération vertigineuse. Dans sa globalité le pays est plongé dans une situation d’un dangereux surplace. Les différents acteurs semblent s’en remettre au temps; lui seul, pense-t-on, pourra donner des solutions aux questions pendantes, aux vieux malentendus et aux différentes impasses qui tétanisent la société. L’été 2012 aura été chaud dans tous les sens du terme. Tous les ingrédients de la crise algérienne y ont trouvé leur terrain d’expression. La logique de la gouvernance, le code de l’honneur, l’autocritique et même le bon sens paysan semblent déserter fatidiquement la scène algérienne. À la fade et anachronique ENTV, avec ses cinq variantes, on pense sans doute, en haut lieu, avoir trouvé l’alternative, à savoir les trois chaînes satellitaires  »off shore » de statut privé. Sans les reconnaître ou les agréer, nos responsables se plaisent quand même à passer et à bomber le torse sur les écrans de ces télévisions. On croît avoir trouvé la parade pour consacrer une hypothétique liberté d’expression; une sorte de soupape de sécurité pour absorber, ne serait-ce que quelques semaines ou quelques mois, la colère populaire. Une colère nourrie par la déliquescence des services publics, l’absence manifeste de l’État là où le citoyen (contribuable et électeur) en a le plus besoin. L’art de l’illusionnisme et de l’établissement des écrans de fumée continue à être exercé et servi en pleine révolution de…l’écran (multimédias numériques, Internet et chaînes satellitaires du monde entier; ces dernières ont été déclarées  »nationales » par feu Abdou Benziane en raison de leur adoption fiévreuse par les Algériens). Et si les véritables victimes de l’illusion ne sont pas les populations ciblées, mais plutôt les adeptes de la spagirie de l’agit-prop! Cela a un nom: la méthode Coué de l’autosuggestion. Depuis quelques mois déjà les Algériens ont largement dépassé le débat sur le problématique et nébuleux  »Printemps arabe ». L’été algérien a montré les failles du système politique, économique et social, lesquelles sont loin de se limiter à une sorte de crise conjoncturelle qui serait due à des dysfonctionnements au sein d’un secteur quelconque. C’est à une véritable régression culturelle et sociale- où l’Algérien, à l’échelle  »anthropologique » se trouve sans repères ni balises, sans perspectives ni projet- que nous avons affaire. La saison estivale-supposée être inaugurée en  »grandes pompes » par les festivités relatives au 50e anniversaire de l’Indépendance ne s’est pas signalée par une marque particulière qui verrait le regain de l’espoir et de la confiance en soi; elle n’a pas connu un afflux extraordinaire de touristes, d’autant plus que le Ramadhan est venue la couper en deux; elle est loin d’avoir permis des universités d’été qui enrichiraient la formation de militants politiques ou associatifs; elle n’a même pas permis aux habitants de la Kabylie d’oublier l’historique hiver du début 2012 qui avait paralysé tous les villages de la région. Après avoir annoncé et validé les résultats des examens du baccalauréat, avec les gestes d’autosatisfaction surfaite, le gouvernement entra en hibernation-et non en  »estivage »- avec six portefeuilles gérés par des intérimaires. Il a laissé les Algériens sans eau et sans électricité sous des températures caracolant entre 40 et 45 degrés dans la région du nord. Entre les protestataires, diurnes et nocturnes, et les services de police appelés à les  »faire rentrer dans l’ordre », il n’y a aucune espèce d’intermédiation. Ni maire, ni chef de daïra, ni notable n’ont aucune prise sur les événements. Les menaces qui pèsent sur la rentrée ne sont pas moins consistantes.

De quel sursaut est capable la nouvelle Assemblée?

Pour des calculs qui tiennent bassement de calculs politiciens ou d’intérêts matériels, les préoccupations essentielles des Algériens ont été sacrifiées par les députés de la précédente législature, au point d’être passées par le compte  »pertes et profits ». Ces préoccupations auraient pourtant pu et dû trouver leurs solutions au sein de l’APN. On a préféré les remplacer par de débiles et assourdissants hosannas accompagnant l’adoption à l’unanimité de certains projets de loi dont le sort a pourtant été scellé à l’avance. Les défis de la nouvelle législature sont nombreux et variés. Sur les représentants du camp républicain pèsent sans doute des responsabilités plus grandes; car, dans le court terme, les grandes interrogations des Algériens et les dérèglements qu’elles induisent risquent de s’exprimer avec moins de patience et de bon sens. Les provocations, venant de certains lobbies ennemis de l’ordre et de la justice, na manquent pas. Soumises aux manœuvres dilatoires et aux jeux d’écrans de fumée, les solutions à apporter aux questions sociales, économiques et politiques risqueraient de faire choux blanc et de disqualifier tous les protagonistes au profit d’un chaos que peu de gens souhaitent pour le pays.

Les nouveaux députés ont eu à peine le temps de prendre connaissances des lambris, des travées et de la cantine de l’hémicycle Zighoud Youcef qu’ils sont dare-dare déclarés en vacances jusqu’au 3 septembre prochain. Comment pourront-ils entamer leur législature, avec des projets de loi à  »débattre » et des ordonnances à ingurgiter, dans un contexte de rébellion sociale sans répit? Pour inaugurer leur mandat, le devoir ne les appellerait-t-il pas à une session extraordinaire pour décrypter et analyser le contenu de l’été algérien afin d’en tirer les leçons et d’en faire une plate-forme d’un renouveau politique, économique et social; un renouveau susceptible de faire oublier les platitudes des anciens projets de réforme et les mornes velléités de changement colportés par un corps politique rongé par patent déficit de crédibilité.

A. N. M.

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