À l'épreuve de la colère de la nature

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Par Amar Naït Messaoud

Pas de répit! À peine les derniers incendies de forêts commençaient à s’essouffler- ne trouvant souvent plus de matière à brûler-, que les villes et les villages de Kabylie sont inondées par les pluies pré-automnales, redoutées depuis toujours par nos ancêtres. En vérité les derniers foyers d’incendies sont éteints, en cette nuit du jeudi 30 août, par les trombes d’eau qui se sont abattues sur le Centre et l’Est du pays. Le spectacle qu’a offert la ville de Béjaïa en cette journée de vendredi, à lui seul, illustre, en grandeur nature, la déliquescence des services publics surpris en flagrant délit d’impréparation, et renseigne sur la qualité des travaux (routes, voieries, réseaux, ouvrages d’art,…) réalisés dans les nouvelles cités algériennes. Huit mois seulement nous séparent des grandes intempéries de février 2012. Outre les désagréments et les souffrances causés aux populations par l’historique épaisseur de neige, un pont de réalisation récente, à savoir celui de Draâ Ben Khedda, a été sérieusement ébranlé par les eaux de l’oued Bouguedoura. La RN 12 fut coupée à la circulation, et il a fallu l’intervention d’une entreprise pour conforter l’ouvrage et réparer l’affaissement. L’ironie de l’histoire veut que, parallèle à ce pont et à quelques mètres seulement de distance, l’ancien pont réalisé par l’administration coloniale ne soit affecté par aucun dommage. C’est devenu presque une habitude, et c’est inscrit dans le calendrier des errements de notre administration et de notre économie: à chaque début d’automne, et dès les premières pluies, somme toute saisonnières, des routes sont coupées à la circulation, des centres-villes sont inondées, des maisons se sont effondrées, du bétail est emporté par les torrents et, parfois, des pertes humaines sont enregistrées. Lorsque les règles d’urbanisme sont allègrement bafouées, on obtient des grands cloaques ou des ruisseaux écumants, comme ceux qu’a connus la nouvelle ville de Tizi Ouzou (au niveau du bas-Hasnaoua et de la Tour) il y a quatre ans de cela. C’est malheureusement un phénomène récurrent du fait que, topographiquement, le site est une dépression naturelle emprisonnée dans des constructions qui ne lui assurent que peu de voies d’évacuation. La gestion de la cité ne se peut pas se cantonner dans des espaces à bâtir, des usines à installer, des emplois à créer ou dans des galas à animer. C’est également, pour les édiles locaux et pour le gouvernement, la protection des biens et des personnes contre toutes sortes d’agressions qu’elles viennent de la nature-laquelle n’a jamais fait de cadeaux à l’humanité- ou de la société elle-même lorsque les normes de la vie collective se trouvent quelque part enfreintes ou biaisées. Les conséquences des incendies de l’été risquent de se manifester plus tôt qu’on ne le pense; on en voit les prémices cette semaine sur certaines routes dont les talus ont subi un terrible déboisement; les coulées de boue et les chutes de pierres pourront s’aggraver lors de prochaines intempéries au point d’isoler certaines villages et hameaux.

Ce genre de risques, dus à des coulées de boue dévalant les versants des collines ou des montagnes, deviennent un phénomène courant en Algérie depuis les grands dégâts de déforestation connus depuis les quinze dernières années. Ayant perdu son pouvoir régulateur du régime des eaux, le sol voit, du même coup, ses capacités de filtration réduites à néant, ce qui aboutit à une torrentialité accrue de l’écoulement des eaux créant des inondations au niveau des villes et des villages. Ce dernier phénomène est, bien sûr, aggravé par les constructions illicites sur les zones inondables des berges. Comme on a eu à le constater au cours de ces dernières années, les épreuves liées aux catastrophes naturelles et à d’autres risques majeurs s’étalent, pour les populations et les foyers algériens, pratiquement sur les douze mois de l’année; aucune saison n’échappe aux aléas du ciel et de l’atmosphère, particulièrement lorsqu’une politique d’efficace prévention et de judicieuse intervention n’arrive pas à s’inscrire dans la philosophie de la bonne gouvernance. L’on sait que, presque partout dans le monde, les coûts économiques, calculés pour les entreprises ou pour le budget de l’État, les impondérables inhérents aux différents risques (climatiques, sécuritaires, industriels, sanitaires,…) sont pris en compte d’une façon automatique et sont traduits en charges vénales. Les bailleurs de fonds (banques, caisses d’investissement) qui financent les projets et les programmes ne mobilisent l’argent qu’après avoir évalué les différents risques qui peuvent surgir lors de la réalisation de ces projets. Il en est de même des organismes d’assurances, qui ajustent le niveau de cautionnement et le volume de remboursement selon la nature et l’ampleur des risques auxquels sont exposés les personnes et les objets assurés (personnel de chantier, matériel de travail, fournitures, immeubles, ateliers,…). À ce niveau d’analyse, il y a lieu de déplorer le faible niveau de la culture d’assurance dans notre pays, particulièrement dans les régions rurales. Par exemple, les familles qui ont perdu des centaines d’oliviers lors des derniers incendies n’ont pratiquement aucune chance d’être dédommagées, si ce n’est par un improbable geste de l’État. Les principes fondateurs de la culture environnementale et les valeurs qu’elle véhicule se cristallisent dans les comportements de civisme, les données de l’économie et les idéaux de la société moderne. Rationalité bonne gouvernance, culture de la prévention et de la veille technologique s’imbriquent et interagissent pour constituer le socle de la gestion moderne. Car, respecter l’environnement et faire prévaloir ses règles, génère nécessairement un coût économique dont les autorités locales et le gouvernement ne peuvent faire l’économie. En plus des pouvoirs publics, ce sont également toute la société qui est interpellée, avec le tissu associatif, les élites scientifiques et les élus, pour sensibiliser les populations et les gouvernants à une nouvelle culture du cadre de vie basée sur la gestion des risques, les réflexes d’intervention rapides et efficaces et les principes de prévention censés réduire les conséquences de certaines calamités à leur plus simple expression.

A. N. M.

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