L’héroïsme, le courage et la bravoure qui les ont conduits au sacrifice suprême sont restitués par le présent récit qu’a bien voulu nous faire parvenir le valeureux moudjahid, ancien officier de l’ALN, Si Mohamed Chérif Ould El Hocine, sur une bataille livrée aux abords d’un village, aux confins de Cherchell. Le mérite de ce récit est de rendre, sans fard ni vernissage des faits et des sentiments, la dimension humaine des héros, qui jouent avec l’eau de l’oued et attendent avec impatience la zlabia, avant leur immersion dans une bataille historique qui infligera à l’ennemi, malgré l’énorme différence en nombre, des dizaines de tués et de grandes pertes matérielles, dont deux avions abattus. Puisse la lecture de cet épisode de la lutte de libération nationale renforcer et conforter l’hommage et le respect envers les chouhada et les moudjahidine.
L’ennemi avait installé son P.C. un peu plus loin ; par radio, il a fait appel à l’aviation. Pendant quelques minutes deux avions bombardiers type B 26 survolèrent la zone de combats sans pouvoir larguer leurs bombes au risque de toucher leurs soldats qui étaient à proximité. Ils ne pouvaient aussi voler à basse altitude car la mauvaise visibilité et la hauteur élevée de la montagne leur faisant prendre le risque d’être abattus par nos tirs. Les avions B26 inopérants étaient repartis et ont été remplacés par deux avions T6 Morane (Jaguar) qui nous survolèrent. Si Moussa nous demanda de nous préparer à faire face aux avions chasseurs, particulièrement aux tireurs de fusils mitrailleurs. Si Maamar et Si Benaicha étaient munis de FM BAR américains, Si Tayeb disposait d’une mitrailleuse 30 américaine. Les avions chasseurs commencèrent à piquer sur nous, nous attaquant aux roquettes. Sur ordre de Si Moussa, en position debout, tête en l’air, les armes sur l’épaule nous tirions sur les deux avions qui tournaient au-dessus de nous, nous attaquant aux roquettes ; nous étions bien couverts par les rochers. Les deux pilotes ont amorcé un grand virage pour charger de nouveau ; Si Moussa a crié aux tireurs de pièces « à vous, tirez, tirez ». Très rapidement, nos tireurs de pièces Si Maamar, Si Benaicha et Si Tayeb se sont levés ensemble. Ils tiraient debout sur les avions chasseurs T6 ; surpris par nos tirs, les 2 pilotes n’ont pas eu le temps de réagir, ignorant que nous disposions d’armes lourdes, ce fut trop tard ; les avions ont été touchés ; l’un a pris feu et est tombé dans la mer, tandis que l’autre, atteint également s’est écrasé plus loin. Notre joie était immense, abattre deux avions était très important même si, nous nous savions encerclés. Nous nous sommes exposés lors de nos tirs sur les avions ; grâce à Dieu, leurs roquettes n’ont touché personne parmi nous. C’était un spectacle. Les habitants des douars proches, qui suivaient le cours des événements, n’en croyaient pas leurs yeux après la destruction des deux avions. Ils nous exprimèrent leurs encouragements par les youyous des femmes : « Allah Yansserkoum Ya El Moudjahidine ». Nous avons donné une leçon de bravoure, de courage, de sacrifice et de foi à l’armée française qui était réduite à regarder le spectacle dans le ciel.La seule solution pour l’ennemi était de faire appel à d’autres avions ; pendant ce temps-là, il y eut un calme absolu, un silence total malgré la présence de milliers de soldats français autour de nous, nous étions les plus forts car notre combat est juste ; c’est grâce à la bénédiction de Dieu le Tout-Puissant et notre foi en Lui. Effectivement, quatre avions chasseurs Morane T6 arrivaient pour nous attaquer de face. Si Moussa nous demanda de nous préparer, de bien nous abriter dans les rochers. Les quatres avions nous survolaient, l’un de face, l’autre derrière nous, le 3ème à gauche et le 4eme à droite. Ils tournaient sur nos têtes, il nous était difficile de faire face. Ils tiraient, lançaient des roquettes avec acharnement sans trop s’exposer aux tirs de Si Maâmar et Si Benaicha. C’était infernal. Si Moussa cherchait une solution pour éviter le déluge de feu par un éventuel repli. Le temps était brumeux, nous étions près du littoral, seul un changement de temps pouvait nous sauver. Dans nos esprits, dans nos cœurs nous priâmes Dieu de faire quelque chose pour être à l’abri de l’aviation. Quelques minutes plus tard, la montagne était enveloppée par un brouillard épais comme un tapis qui nous séparait de l’aviation. Dieu le Tout-Puissant a exaucé nos prières, c’est un miracle d’Allah. Si Moussa nous ordonna de décrocher en vitesse, de nous replier en arrière et suivre le flanc de la montagne.Il était midi, il faisait un peu sombre, nous étions satisfaits de ce combat livré aux soldats français. Subitement, je ne sais comment, j’ai glissé pour tomber dans le ravin ; dans ma chute je me suis accroché à une branche d’arbre et j’ai vu passer le Moudjahid Brakni Braham à qui j’ai fait appel pour me tirer de là. Il s’est penché pour m’aider lorsque par malheur le brouillard s’est dissipé. Le pilote d’un T6 nous a repérés, il nous poursuivait. Brakni Braham est allé s’abriter en me criant « Si Cherif, lâche-toi ». Je lui répondis que mon point de chute est profond ; il m’a répondu qu’il est préférable de sauter. Effectivement, le pilote venait sur moi ; j’ai lâché la branche et pensais que j’aurais les jambes fracturées après avoir sauté d’une hauteur grâce à Dieu il n’en fut rien, des roquettes éclataient en haut de l’endroit ou j’étais. J’ai couru pour rejoindre mes compagnons. Nous étions en danger dans l’oued, poursuivis par les quatres avions T6 qui nous attaquaient aux roquettes. On courait en zigzaguant, les pilotes nous tiraient dessus. On continuait notre course, on avait soif pendant ce mois de Sidna Ramadane, on avait bu quelques gorgées d’eau de l’oued, quelques compagnons n’ont pas voulu rompre le jeûne. Les soldats français, appuyés par l’aviation nous poursuivaient toujours, nous ripostons par nos tirs. Soudain, notre frère l’Istiklal tomba, touché par une roquette au ventre. Nous aurions souhaité le secourir, mais les circonstances ne le permettaient pas. L’istiklal conscient, il nous disait « je vous disais hier que je vous quitterais, je serais fi Djenat El Ferdousse avant vous ». Il était heureux, rayonnant de joie. Il continuait à parler, disant « prenez mon arme, transmettez mon salut à mes compagnons et si un jour vous êtes de passage au douar Mira, dans la région de Theniet El Had, passez le bonjour à ma famille, embrassez ma fille et maintenant, laissez-moi mourir ». N’ayant pas le choix, l’ennemi derrière nous, nous l’avons déposé dans un endroit camouflé. Les dernières paroles du Chahid furent : « Pressez-vous de partir, vite, vite, partez ; adieu, ne vous en faites pas pour moi ; je vous disais que je vous devancerai au paradis ». En principe, on ne laisse jamais nos martyrs sur le terrain. On les enterrait dans un endroit discret, ce fut la première fois que cela nous arrivait ; on n’avait pas le temps. Les larmes aux yeux, nous avons fait nos adieux au brave et courageux “Si l’Istiklal” Benmira Tayeb.Après ce moment de forte émotion, nous avons repris notre course pour rejoindre nos compagnons. Aux environs de 16 heures, Si Moussa nous ordonna de sortir de l’oued pour prendre position en un endroit stratégique pour faire face à l’aviation, aux soldats français qui étaient derrière nous. Avant de nous installer et placer nos pièces mitrailleuses, les 4 pilotes des T6 ont refusé le combat. Ils avaient flairé le danger qu’on pourrait les abattre. Les soldats, également, ont rebroussé chemin car la nuit commençait à tomber. Les habitants qui ont suivi le déroulement de notre combat ont applaudi à la fuite de l’aviation. La bataille de Sidi Mohand Aklouche qui était à notre avantage avait duré du matin au soir. Nous nous sommes dirigés vers un douar proche où les habitants nous ont préparé un refuge. Nous avons été accueillis chaleureusement par la population qui a suivi cette bataille en direct. Une heure après, Si Moussa désigne trois Moudjahidine pour ramener le corps de Si l’Iistiklal. En cours de route ils ont rencontré des civils. Ces derniers ont informé nos Moudjahidine que les soldats français, à notre poursuite, ont découvert l’istiklal. Un lieutenant français s’adressant à lui, lui dit : « on t’a eu fellaga ». L’ISTIKLAL a eu le courage, la force de se lever à genoux et s’était permis de cracher sur le lieutenant. Ce dernier l’acheva de trois balles. Après le départ des français les civils l’ont enterré. Allah Yarham Echouhada.En cette journée du vendredi 27, jour éblouissant de Sidna Ramadan, nous avons triomphé dans la grande bataille de Sidi Mohand Aklouche, malgré le nombre impressionnant de soldats français. Ils n’ont pu venir à bout de notre résistance, de notre volonté de fer. Notre arme est la foi en Dieu. A certains moments nous étions dans une situation désespérée, alarmante. Dieu a exaucé nos prières, il ne nous à pas abandonnés Mouadjizat El Illah « les miracles de Dieu ».L’ennemi, comme à son habitude pensait avoir à faire à des Moussebiline sans armes automatiques. Il a constaté qu’il a eu à faire à des Moudjahidine équipés d’un armement moderne qui ont repoussé ses deux tentatives d’invasion, laissant plusieurs morts et blessés sur le terrain ainsi que la destruction de deux (02) avions de chasse T6. Il a constaté aussi qu’il avait à faire au Commando du Chahid Si Zoubir. Les armes lourdes, automatiques de notre Commando ont été récupérées lors de l’embuscade de Beni Menacer (Tizi-Franco) soit : * Une mitrailleuse type Américain 12/7* Une mitrailleuse type Américain 30* Deux fusils mitrailleurs type FM BAR* Plusieurs fusils type Grand et MAS 56* Des carabines US Américain, des mitraillettes MAT 49, des pistolets, des caisses de munitions et grenades.L’armée française savait que notre Commando était redoutable dans toute la région ; il est sorti plusieurs fois victorieux comme dans la grande bataille de Tamezguida, dans les montagnes de Chréa (Blida) contre le Commando noir de parachutistes du colonel Bigeard le 22 mars 1957.Dans cette bataille de Sidi Mohand Aklouche, l’ennemi a subi de grandes pertes, elles s’élèvent à plus de 64 morts et à des centaines de blessés, 2 avions de chasses T6 Morane (Jaguar) abattus. Quant à nous, les Moudjahidine, nous avons déploré un mort ; le Chahid “Si l’istiklal” Benmira Tayeb et deux blessés. C’est une cuisante défaite aux soldats français, à ses valets, les infidèles Harkis et Goumiers.A la mémoire de tous ceux qui sont tombés au champ d’honneur, les armes à la main.A la mémoire de celles et ceux qui se sont sacrifiés pour que l’Algérie vive, libre et indépendante.Je dédie ce récit authentique au peuple algérienGloire à nos martyrs
Ould El Hocine Mohamed