Ces citoyens qui font les poubelles

Partager

Toutes les semaines, à la fin de chaque marché hebdomadaire à Béjaïa, des dizaines de kilos de fruits et légumes abimés sont abandonnés sur les trottoirs par les marchands. Ces marchandises, que l’on considère comme impropres à la consommation, finissent pourtant dans les marmites d’une certaine catégorie de gens. Le chef-lieu de la wilaya compte trois marchés hebdomadaires qui se tiennent alternativement le lundi, le mercredi et le jeudi, dans les quartiers Sidi Ahmed et EDIMCO. Après avoir plié leurs étals, les marchands de fruits et légumes cèdent leur place à des groupes de gens, composés principalement de femmes, qui viennent remplir leurs filets avec les déchets délaissés par ceux-ci. A défaut de pouvoir acheter leurs fruits et légumes, ces femmes font les poubelles, bravant les regards parfois méprisants des passants, mais surtout mettant leur santé en péril. Nous sommes allés à la rencontre de quelques-unes d’entre elles, afin de mieux comprendre cette situation extrème. «Je ne souhaite à aucune personne sur cette terre de tomber aussi bas », nous dira Fatiha, une femme de 38 ans qui dit avoir été abandonnée par son mari il y a cinq ans. «Mon mari m’a abandonnée en me laissant quatre bouches à nourrir et sans aucun revenu pour y faire face. Au début, je me débrouillais en travaillant chez des particuliers comme femme de ménage, puis je suis tombée gravement malade et aujourd’hui je ne peux vraiment pas faire grande chose. La récupération me permet donc de garnir mes assiettes tout en m’évitant d’aller mendier ou de tomber dans des pratiques malsaines. C’est ma façon de voir les choses », ajoute- t-elle en écrasant une larme de douleur. Si Fatiha préfère la récupération plutôt que la mendicité d’autres recourent aux deux pour s’en sortir. Ghania, la soixantaine bien entamée, est dans ce cas. Elle nous raconte comment elle a pu en arriver là bien qu’elle dit avoir vécu dans l’aisance autrefois : « Je suis veuve depuis dix ans et je n’ai pas d’enfants. Avant sa disparition, mon mari travaillait et veillait à ce que rien ne manque à la maison. Jusqu’au jour où on m’a rapporté la mauvaise nouvelle. Cela m’a causé un grand choc qui persiste jusqu’à aujourd’hui. Je me suis retrouvée livrée à moi-même, sans revenu, ni aucune qualification pour un quelconque travail. C’est alors que je me suis mise à mendier et à scruter les trottoirs et les poubelles le jour du marché. J’arrive au marché tôt le matin, je commence d’abord par implorer la générosité des commerçants et si vers la fin mon filet et toujours vide, ce qui est souvent le cas, je me mets à ramasser les déchets », raconte Ghania. Comme pour ces deux femmes, la récupération dans les marchés est devenue malheureusement vitale pour des centaines de personnes dans la wilaya de Béjaïa.

M. H. Khodja

Partager