Tares et avatars des services publics

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Amar Naït Messaoud

On l’a constaté dans le discours de Sellal devant l’APN et dans les préoccupations que les nouveaux députés ont eu à exprimer: la notion de service public tient le devant de la scène.C’est le Premier ministre lui-même qui a lancé un tel thème quarante-huit heures avant sa nomination; ce fut au cours d’un forum organisé par le journal Liberté. L’ancien ministre des Ressources en eau avait, au cours de ce forum, “étendu’‘ prématurément ses prérogatives pour dire le mal principal dont souffrent les Algériens, à savoir la qualité et le niveau des prestations relatives aux services publics. Dans une forte proportion, ces derniers prennent l’aspect de ‘’sévices publics’‘ qui ont animé la rue algérienne dans un climat de délire coléreux où barricades et affrontements avec les agents de police sont devenus le pain quotidien des jeunes, y compris de nuit, comme on a eu à le vivre pendant le Ramadhan aoûtien de cette année. Qui mieux que les habitants des quartiers populaires et de certaines bourgades rurales peut savoir ce que vaut la déliquescence des services publics, depuis l’assèchement des robinet pendant plusieurs semaines sous une température de 45 degrés jusqu’aux coupures intempestives d’électricité en passant par les pannes de la connexion internet, les miasmes fumants des décharges sauvages et les interminables queux qui se forment devant les bureaux de l’administration, principalement le service d’État civil des mairies. Le Premier ministre semble identifier une partie des raisons qui fondent le malaise des populations algériennes, et principalement de la frange juvénile que son ‘’sang chaud’‘ propulse vers les attitudes de révolte et de rébellion. Comme le dit Sellal devant les députés, ce n’est pas l’argent qui manque pour installer bonne gestion et rationalité dans les

services publics. Ce sont l’incompétence, la corruption et le laisser-aller qui ont fait établir leur règne dans tous les coins où le citoyen- contribuable et électeur- est censé trouver écoute et solutions à ses problèmes. La défaillance des boulangers des grandes villes, et principalement d’Alger, pendant les fêtes de l’Aïd el Fitr a malmené les populations pendant plus de dix jours. On annonce le même comportement pour le prochain Aïd qui aura lieu dans un mois. L’Union générale des commerçants a beau appeler au respect des règles déontologiques, rien n’y fait. C’est que, la première défaillance vient des services de l’administration qui donnent des registres de commerce sans contraindre les bénéficiaires à une morale de service public. Dans tous les domaines de la vie quotidienne, le même constat semble prévaloir: transport collectif, entretien du réseau d’assainissement, réparation des fuites des conduites d’eau,…etc. Souvent, ce n’est pas un seul service qui est à mettre en cause dans pareilles situation. Pour ce qui est, par exemple, des centaines de décharges sauvages disséminées dans les villes et dans la campagne, il s’agit essentiellement d’une dilution de responsabilités, d’un déficit de coordination entre les communes et les daïras pour créer des décharges intercommunales, et surtout d’un manque d’imagination de certains élus ou fonctionnaires habitués à des solutions de facilité par l’ancien mode de gestion assuré par l’État-providence. Les associations et les comités de villages ou de quartiers sont également loin d’avoir assuré leurs responsabilités en la matière, puisque le problème du foncier, auquel se heurtent sempiternellement les décharges, peut être résolu en impliquant toutes les parties, y compris la direction de l’Environnement de la wilaya pour établir des projets de centres d’enfouissement techniques et de proposer au secteur de la l’industrie et des PME des projets d’unités de recyclage.

Loin des standards mondiaux

S’agissant des questions domestiques et relevant de la vie de chaque jour, on peut citer l’exemple de la plus banale des opérations (nécessité d’ouvrir une piste, établissement d’un permis de construire, raccordement au réseau de téléphone fixe ou au réseau de gaz de ville,…), où les services publics sont loin des aspirations des populations et à mille lieues des normes mondiales en la matière.

« Le monde du service public n’est plus un monde à part, coupé des contingences de la vie civile et étranger aux exigences de la vie économique. Bien au contraire, l’impératif économique et son corollaire, l’appréciation des coûts des actions engagées, sont au cœur des réflexions contemporaines sur le service public », note le spécialiste en droit administratif Michel Lévy. Le service public est, par définition, « une activité d’intérêt général pour laquelle des prérogatives de puissance publique sont mises en œuvre, laquelle prérogative est exercée sous le contrôle de l’administration. L’usager est le bénéficiaire des prestations du service. Il est placé dans une situation légale et réglementaire et bénéficie des droits opposables à l’administration et du droit au fonctionnement du service. Les services industriels et commerciaux combinent des éléments du droit privé en raison du caractère commercial de l’activité et des règles du droit public justifiées par l’idée du service public », ajoute-t-il. Tels qu’ils sont établis et conduits à l’échelle des pays développés, les principes régissant le service public intègrent principalement les notions suivantes : la continuité du service, car la satisfaction d’un besoin collectif impose que l’activité fonctionne de manière ininterrompue. L’adaptation du service à l’évolution des besoins d’intérêt général. L’égalité des administrés devant le service public. Et, enfin, la neutralité qui garantit l’universalité du service et la prééminence de l’intérêt général sut tout intérêt particulier. Il prohibe toute action de corruption, de concussion ou de trafic d’influence. Les modes de gestion des services publics les plus usités sont : la régie (transports communaux et scolaires, par exemple), de moins en moins en moins tolérée par les pouvoirs publics, la concession (à l’exemple des marchés hebdomadaires, marchés de bestiaux, marchés de voitures, gestion de certaines aires de stationnement, gares routières) et les établissements publics (ADE, OPGI, Sonelgaz,…). La combinaison public/privé par le moyen d’organismes intermédiaires répond souvent au souci d’une plus grande souplesse d’action et à celui de la neutralité comme il permet aussi de réduire la rigidité de certaines règles financières et comptables.

Cette tendance lourde de gestion qui est en vigueur dans la plupart des pays développés commence à s’imposer également dans certaines économies émergentes. Le nouveau gouvernement algérien, qui compte gagner la confiance des Algériens sur la base de l’action quotidienne concrète, ne peut rester à la marge des ces règles universels qui fondent les services publics.

Nouvelles formules juridiques

De nouvelles formules sont mêmes envisagées et initiées dans certains secteurs pour assouplir l’exécution des tâches inhérentes aux services publics, car, L’État, les collectivités locales et les établissements publics ne peuvent pas, à eux seuls, assurer toutes les tâches et les missions que de tels services génèrent. Le transport scolaire, les œuvres sociales universitaires, la distribution de l’eau et de l’énergie, le ramassage des ordures ménagères,…relèveront de plus en plus d’organismes privés qui seront liés à l’administration par des cahiers de charges spécifiques. Cependant, la responsabilité de l’État- représentée par ses démembrements dans l’administration publique- demeure complètement engagée dans la manière (qualité et niveau) dont les prestations sont exécutées et fournies. Néanmoins, et en lui prêtant de bien bonnes intentions dans ce domaine, l’on connaît les limites professionnelles de cette même administration, après les saignées qu’elle a subies en personnel qualifié personnel expérimenté qui l’a désertée en masse après qu’il eut été poussés à la retraite anticipée. À défaut de pouvoir enfanter le changement au sein même de ses rouages et structures, l’administration algérienne est appelée aujourd’hui à subir ex abrupto la cadence, les impératifs, les procédés et les remous du monde moderne auquel elle n’est pas préparée.

Comme on peut le deviner, les résultats ne peuvent être ni forcément cohérents ni obligatoirement porteurs d’une dynamique auto-entretenue. Ce sont là les résultats d’une gestion rentière de l’économie et de l’administration étalée sur un demi-siècle. Ce sont également là les éventuelles limites auxquelles l’action du gouvernement risque de se heurter. Mais, Sellal et son staff gouvernemental auront le mérite de donner un ‘’coup de pied dans la fourmilière’&lsquo,; et de créer le déclic au sein des populations et de la société civile sur l’importance du cadre de vie et de la bonne marche des services publics.

A.N.M.

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