Hnifa, l’Edith Piaf kabyle

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Par Abdennour Abdesselam

La condition de la femme est un phénomène universel. Y a-t-il jamais un seul pays qui s’est réellement affranchi de toutes les injustices faites à l’endroit de la femme ? Dans les pays les plus civilisés (encore faut-il relativiser le sens même donné habituellement à la civilisation) des cas, en grand nombre, de flagrantes agressions de tous genres sont rapportés. La société kabyle n’a pas «dérogé», pour ainsi dire, à cette terrible et regrettable condition. Aussi, des voix se sont élevées pour dénoncer cette situation de fait. Hnifa, pour ne citer qu’elle, mais non moins pionnière avec des textes ciselés sur la question, reste le modèle d’engagement. Sur la voie de la rébellion, de la contestation et de la dénonciation, Hnifa a prêté sa voix à toutes les femmes de nos montagnes pour dire et crier leur rage face aux situations dramatiques, souvent insupportables, qu’elles ont vécues. Elle-même, Hnifa, a subi et a été accablée par nombre de péripéties, sa vie durant. Elle se saisissait d’un cas particulier pour le porter en chanson, alors seul canal d’expression à son époque. Dans sa chanson «zzahr-iw anda tensidh» (à la recherche de la chance éperdue), elle pourchassera et poussera le tabou jusqu’à son dernier retranchement, pour traiter d’un sujet rendu rare par l’étouffement de sa survenance, mais hélas réel, pourtant. Il s’agit des jeunes femmes qui ne vivent que de courts printemps, car sitôt convolées en noces, le mari est obligé de s’engouffrer malgré lui dans les dédales du monde de l’immigration pour subvenir aux nombreux besoins de la nombreuse famille. Les femmes, laissées à la maison dans les villages, deviennent proies à toutes les tentations masculines, les plus dangereuses même. Ainsi, dira-t-elle, «ay amghar sfedh i wudem-ik t-tamettouth n mmi-k chahrayen tlata a d-iban». La strophe va d’elle-même à émettre le sens du drame de l’inceste. Un abject geste répandu dans le monde entier, mais dont on ne se console pas du fait de sa mondialisation. Elle composa une chanson à travers laquelle elle déclame qu’elle ne chante pas pour chanter, mais pour dérouler le fil d’une vie criblée de souffrances, de bonheur toujours fuyant, de joies inaccessibles, de jouissance jamais connues et de satisfactions non atteintes. Telle Edith Piaf (kabyle par sa grand-mère), Hnifa s’en va par les vieux quartiers d’Alger et de Paris mugir sur les situations déferlantes qui s’abattent sur le triste sort réservé aux femmes. Mais aujourd’hui, grâce à l’écho regroupé des milliers de voix des Hnifa et des Edith Piaf dans le monde, la femme se libère petit à petit de sa condition de mineur à vie, refusent d’être considérée comme simple objet meuble.                    

A.  A.

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