Se défaire des camisoles du centralisme

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Par Amar Nait Messaoud

Comment les programmes de développement mobilisés par l’Etat pour l’ensemble des wilayas du pays  sont-ils appréhendés et conduits en Kabylie ? Les signes les plus visibles d’une réelle difficulté à les mettre en œuvre et de les mener à bon port se cristallisent souvent dans les bilans peu flatteurs des consommation de crédits présentés régulièrement par les membres de l’exécutif de la wilaya devant le wali. Tout en étant un ‘’instrument’’ de mesure du rythme des programmes d’équipement, les taux de consommation des crédits de payement ne donnent de lisibilité à la problématique posée que lorsqu’ils sont accompagnés des explications inhérentes aux retards de réalisation. Le handicap commun à l’ensemble des wilayas est assurément le code des marchés publics, dont les procédures ne cessent de faire traîner des projet et de les rendre parfois infructueux. Quant aux spécificités de la Kabylie, elles sont surtout liées au foncier, rare et précieux, qui, en outre , est majoritairement situé dans les zones  à relief accidenté. Les exemples que vivent les projets de raccordement des villages au gaz naturel et les projets d’installation d’infrastructures publiques (lycées, collèges, centres d’enfouissement techniques,…)  sont assez éloquents dans le sens où ils sont grevés de multiples oppositions au point de renvoyer la réalisation de certains projets aux calendes grecques. Néanmoins, le piège dans lequel il serait dangereux de tomber, c’est d’accepter le prétexte du problème foncier pour baisse les bras devant ce qui s’apparenterait à du fatalisme. Dans ce contexte, la concertation avec les population s’avère d’un précieux concours. La collaboration des citoyens peut bien être obtenue pour peu qu’il y ait transparence et régularité dans la gestion des affaires publiques. L’implication des associations et des comités de village peut dénouer bien des situations qui paraîtraient sans issue. La Kabylie a un besoin pressant en matière d’investissement, et il serait paradoxale que le frein vienne de ses propres enfants. Le chômage, l’émigration intérieure et extérieure et le malaise général de la jeunesse réclament une autre politique et une nouvelle dynamique de développement en direction de cette région. Comment , pourra-t-on réconcilier le vieux et fidèle couple ‘’travail-Kabylie’’ après qu’il fut malmené par les errements de tout un système qui, pendant un demi-siècle, a fait prévaloir la médiocratie et l’assistanat générés par la rente au détriment des valeurs ancestrales de labeur et d’organisation  d’une population qui avait érigé le travail en valeur sacrée ? Ces valeurs faites d’amour du travail, de rationalité et d’abnégation se sont effilochées à la suite de l’exode rural, de l’hégémonie du travail salarial, permis par le développement général du pays, et de l’installation de nouvelles valeurs culturelles  rendues possibles par les technologies de l’information qui brassent pêle-mêle le culturel et le ludique. La conséquence est que l’ancienne organisation ancestrale de la société avec son savoir-faire, son génie populaire et ses réseaux de solidarité a cédé face à ce qui s’apparente à une modernité de façade ; de façade, parce que ses ressorts ne sont pas maîtrisés et sa ‘’culture’’ n’est pas complètement intériorisée.  Une idée- provisoirement et partiellement vraie- a fait de la Kabylie une ‘’zone euro’’ de l’Algérie en raison de la forte émigration qui caractérise cette région depuis maintenant un siècle. La dévaluation du dinar depuis le milieu des années 1980 a donné du tonus aux détenteurs de la devise française et a même crée des emplois dans le domaine de la construction et des services. Mais, on l’oublie souvent, la typologie de l’émigration algérienne est en train de subir de profondes mutations. Les vieux retraités disparaîtront dans quelques années et les jeunes installés ailleurs dépensent leurs devises sous d’autres cieux. La Kabylie est en train de s’acheminer graduellement vers l’assèchement de la ‘’rente euro’’. Les signes visibles de l’essoufflement sont là : chômage, banditisme, conflits fonciers, suicide, violence de toutes sortes, …etc. Malgré la bonne volonté des pouvoirs publics, il apparaît que les nouveaux projets de développement destinés à la Kabylie manquent de cohérence, d’imagination et de vision d’ensemble. L’une des raisons, et non des moindres, demeure la centralisation de la décision qui risque d’ignorer les spécificités naturelles et sociales de la région. Les nouveaux codes de la commune et de la wilaya, adoptés en 2011 prolongent la suprématie de l’administration sur les instances élues. Le projet d’une nouvelle division administrative du pays   est mis sous le coude depuis 2006. Ce sont là deux situations qui ne militent guère pour une révolution antijacobine censée commencer par la décentralisation des structures de l’Etat et aboutir à la libération de l’initiative citoyenne. Pour redonner espoir à une région qui a tant donné pour l’Algérie, et afin d’insérer sa jeunesse dans une dynamique de développement qui exclut l’amateurisme et la navigation à vue, il y a lieu de faire accompagner les grands projets structurants- à l’image des barrages hydrauliques, des infrastructures routières, du gaz naturel – de réseaux de petites et moyennes entreprises, d’investissements dans l’économie des services (NTIC,…), de formations qualifiantes et de soutien réel à l’agriculture de montagne et à l’artisanat. Autrement dit, une ébauche d’une économie intégrée qui s’appuierait sur la mobilisation des énergies et des ressources locales afin de redynamiser une région menacée par la confusion politique, l’atonie économique et le l’effritement des solidarités sociales.

A. N. M.

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