En quête d’une structuration de la société civile

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 Par Amar Naït Messaoud

Dans le capharnaüm politique algérien caractérisé par une pléthore avérée de partis politiques – entre anciennes formations agréées au début dès 1989 et nouveaux partis agrées depuis le début de l’année 2012-, il est malaisé de trouver une voie ou une place pour le monde associatif « apolitique ». On dirait qu’il n’y a d’intérêt et d’engouement, au sein de notre société que pour des organisations politiques candidates à des élections et à des postes de responsabilité. S’agissant spécialement de la Kabylie , cela contraste étrangement avec une histoire brillante et glorieuse d’une culture associative organisée, vécue et assumée dans la clandestinité…sans but lucratif. Ce label, apposé aujourd’hui sur les statuts des associations culturelles et sociales, nous aurait paru aussi risible qu’indécent, tant la fougue, l’énergie et la passion mises pour l’animation de la vie associative étaient à mille lieux de ces basses considérations. Évoluant dans l’informel, au même titre que le peu de partis clandestins de l’époque, les membres des associations tiraient de leurs poches les subsides permettant d’éditer une revue, toujours clandestine, d’organiser une exposition de peinture ou un gala artistique, de diffuser un lexique berbère laborieusement écrit sur stencil, de faire connaître un herbier en langue kabyle… On était, particulièrement au milieu des années 1980, très loin de cette  »générosité » tapageuse de l’État qui ne clôture un festival ou une « année de… » que pour entamer et inaugurer une noria d’autres festivités où le prestige a, malheureusement, la primauté sur le joyau. Les noms, pour nommer les collectifs et les associations culturels informels, étaient ceux qui rappelaient la recherche de l’authenticité: Tilleli, Tagmats, Tiddukla, Tafrara, Tafat, Djerdjer…etc. Ce fut, à peu près, la même tendance pour les groupes de chanteurs kabyles; une formule qui a tendance à disparaître aujourd’hui. Aujourd’hui, la cupidité et le monde interlope des affaires ont beaucoup rogné de cet esprit primesautier et désintéressé d’antan. La politique a phagocyté bien des énergies et dévoyé le combat associatif sain et dévoué. C’est que l’on n’arrive pas encore à faire la part des choses. Il n’y a pas lieu de jeter la pierre à l’exercice de l’activité politique. Au contraire, la logique aurait voulu que l’ouverture du champ politique mette le monde associatif à l’aise pour éviter la confusion des genres. Mais, c’était compter sans la puissance et les capacités de nuisance des attitudes politicardes, venant aussi bien des pouvoirs publics qui ont, contre leur gré accepté l’ouverture du champ politique, que des partis et des « particules » dont certains sont issus des laboratoires politiques impénétrables. Malgré cette descente aux enfers de la culture associative, tout n’est pas noir en Kabylie. Aux désenchantements et désillusions d’une précipitation politique qui a mis le pays sens dessus dessous, ont succédé une forme de lucidité  »post-traumatique »  et de décantation actuellement en cours. Les élans tendant à organiser la vie en société se multiplient, quand bien même les animateurs potentiels seraient à la recherche de la formule idoine. Dans cette dernière, sont intégrés les anciens comités de villages qui sont, pour nous les relais d’une authentique culture d’organisation et de valeurs morales et sociales qu’il y a lieu de défendre et de pérenniser. Les convoquer, aujourd’hui, pour servir d’interface entre l’administration et les citoyens, est assurément une façon intelligente de marier modernité et authenticité dans un monde travaillé au corps par l’uniformité et la tentation de standardisation des modes de vie. L’espoir que tout n’est pas perdu dans ce domaine, ce sont ces exemples d’accompagnement de certains projets publics par des associations de village. Il y en a même qui sont devenues de véritables partenaires, non seulement des pouvoirs publics algériens, mais également d’instances étrangères qui ont conclu des partenariats avec l’Algérie. L’exemple le plus vivant, dans ce domaine, est sans aucun doute ces associations de villages qui, dans la région de M’Chedallah, ont mis en œuvre le programme d’appui au développement rural avec l’Union Européenne. D’autres exemples existent bien sûr dans d’autres activités, même si les résistances et les embûches ne manquent pas pour faire capoter, parfois, d’exaltantes initiatives. À l’échelle du pays, il existe 800 associations à caractère national, et environ 80.000 associations dont les agréments ont été délivrés par les directions de la réglementation et de l’administration locale (DGRAG) des wilayas.

Tentation politique et déficit culturel

 »Sur les 80.000 associations, il n’y a probablement que le tiers qui fonctionne plus ou moins valablement », a reconnu le ministre de l’Intérieur et des Collectivités l’année dernière. Une nouvelle loi sur les associations a été promulguée en 2011 en remplacement de la loi de décembre 1990. Le ministère de l’Intérieur s’est fait assister, pour l’élaboration de la nouvelle loi, d’experts dans la vie associative et communautaire, de magistrats et de professeurs, ainsi que des spécialistes de l’administration publique et de la société civile. Est-ce là une véritable garantie pour faire émerger un corps associatif performant et représentatif qui puisse servir d’avant-garde pour la société? Le parcours est encore ardu pour faire valoir correctement une véritable culture d’association qui puisse transcender les contingences de la vie quotidienne et les aléas de la vie politique. Rares sont les associations qui ont pu honorer les obligations qu’elles se sont fixées lors de leur assemblée constitutive. Le parcours individuel de chacun des membres, dans un environnement où les valeurs morales et du travail sont écrasées par l’appât du gain et la course à la rente, a été soumis à mille tentations et subi bien des déviations. L’une des ces tentations est l’intégration de partis politiques et la recherche d’un poste d’élu. C’est ainsi que des associations professionnelles, ayant pour mission non seulement de défendre une corporation mais également de diffuser la culture propre à elle, on fini par se dissoudre dans le jeu politique en faisant subir une grande saignée au monde associatif.   En raison d’un parcours historique peu serein qui n’a pas pu permettre l’émergence de la société en tant qu’acteur émancipé conscient de sa citoyenneté à même, par une évolution graduelle, d’alimenter la société politique en personnels et en idées, l’expression « société civile » revêt en Algérie un caractère quasi exotique; en tout cas, qui est loin de s’ancrer dans le vécu quotidien des Algériens. Aucune espèce de pédagogie n’a été entreprise pour cultiver l’esprit de la société civile et travailler à son émergence. La première institution en la matière, à savoir l’école, et de par le contenu de ses programmes et de ses orientations idéologiques, a manifestement failli. Les médias lourds publics n’ont d’yeux que pour les associations  »BCBG », politiquement correctes et ayant des atomes crochus avec le sérail. L’on n’évoque les comités de villages et les associations représentatives- comme ultime recours d’intermédiation- que lorsque des situations relevant de l’ordre public commencent à devenir incontrôlables pour les autorités politiques et les services de sécurité. L’exemple des événements de Berriane, dans le M’Zab, au cours des années 2008 et 2009, est, à ce sujet, fort éloquent.              

A.N.M.

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