Lorsque l'authenticité et l'universalité ne font qu'un

Partager

La rencontre de rang universitaire, organisée cette semaine à la maison de la Culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, sur l’œuvre du poète Aït Menguellet, s’est distinguée des hommages « classiques » consistant à retracer la biographie et la discographie, avec des louanges à tout va, d’un artiste, parfois…disparu depuis des années. Là nous sommes devant une autre réalité celle qui rejoint le titre d’un article écrit, il y a près de trente-cinq ans, par El Moudjahid, le seul journal quotidien des années soixante-dix du siècle dernier, lorsqu’il parlait du phénomène Aït Menguellet. Cette appréciation et cet émerveillement devant la poésie d’Aït Menguellet se sont exprimés bien avant la composition des œuvres, telles que Amacahu! (1982), Ammi (1983), Asefru (1986), et tout le riche répertoire suivant qui s’est étalé jusqu’à Tawriqt tachevhant (2010). Le caractère exceptionnel de l’œuvre poétique d’Aït Menguellet fait indéniablement dépasser à celle-ci le rang de  »chansons », tel que nous avons l’habitude de l’entendre. Face à la densité à la profondeur et à la portée des mots et des idées portés par les compositions d’Aït Menguellet, on ne peut trouver que réducteur le qualificatif de chanteur qu’on décerne à ce dernier, dans la paresse ou les galas. Ces derniers, les galas, animés par Lounis sont des moments uniques de méditation et d’invitation à la réflexion, des moments au cours desquels les mots et les images voguent dans l’empyrée, se chargent d’âme et de sens, et pénètrent les esprits vigiles. Ce sont des mots tirés du répertoire lexical kabyle simple qui, juxtaposés, arrangés, poussés aux confins de leur sémantique, nous envoûtent par leurs métaphores et nous secouent par leur vigueur. Étudier les textes d’Aït Menguellet, sous le regard des apports dynamiques de et à l’universalité est une heureuse initiative, permettant à la littérature kabyle, car c’en est une, de situer dans la sphère de la création humaine. L’universalité n’est pas le « calquage » des œuvres faites dans d’autres pays ou civilisations, ni le vain effort des les « égaler ». C’est l’expression des profondeurs de l’homme, de ce qui est le plus  »humain de l’homme » au-delà même des langues et des pays. 

Cris de douleurs et d’espoirs

Ce sont les cris de douleur et d’espoir dans lesquels se retrouvent tous les hommes, car, en définitive, comme l’a souligné un philosophe, il n’y a qu’une seule race sur terre. « Ta mère, c’est toute la Terre; et ses habitants, sont tes frères », dit Lounis à propos de l’artiste. La poésie d’Aït Menguellet nous renvoie l’image d’un pays qui veut se réveiller à sa culture authentique longtemps tue, marginalisée, voire même opprimée dans les moments les plus noirs du règne de l’arbitraire, « un arbitraire qui a hanté toutes les contrées, toujours aux aguets », comme le chante notre poète. Dans un moment, où la jeunesse se fourvoie dans la culture de l’apparat, du superflu et, pour résumer le drame, dans l’arène de l’inculture- lorsqu’elle n’y est pas machiavéliquement entraînée-, il est plus que réconfortant de la voir entourer, applaudir, aduler et, aussi simplement, écouter celui qui n’a jamais cédé à la facilité au sensationnel ou au monde du show-biz. Pourtant, notre aède a bien pris de la hauteur, il a volé bien haut et continue à nous montrer nos failles, nos faiblesses, la vanité du monde et des choses dans une angoissante sensation de l’absurde. Et pourtant, il faut bien vivre ! Il nous invite à le faire avec un regard transcendant les frasques et les vétilles qui sont accrochées à nos basques d’être humains, de mortels qui, souvent, oublions notre condition première. Ayant pris de la clairvoyance et du monde désillusionné de Si Moh U M’hand,  les éléments les plus saillants s’étant inspiré de certains penseurs universels, comme Machiavel et Ibn Khaldoun, qui désignent pour nous les raisons et les mécanismes des troubles de l’humanité du goût de domination et des motivations de la tyrannie des hommes, Aït Menguellet demeure néanmoins cet observateur averti qui fait de son village de montagne ce « microcosme », à partir duquel il lit et décrypte les grands enjeux et les multiples défis qui se posent à l’homme. Avec un esprit d’humilité et de modestie, que nous ne retrouvons que chez ceux qui savent que, face au néant et devant la vanité du monde, nous ne savons rien-, il n’a pas toujours eu l’heur d’être compris. « Si je me suis trompé de chemin, je ne suis, après tout, qu’un être humain ; peut-être ai-je  mal soupesé », lance-t-il à un frère à qui il a voulu exprimer la responsabilité de tous dans une faillite générale. Le verbe de Lounis Aït Menguellet peut, légitimement, être considéré comme celui d’un intellectuel d’un nouveau genre, à la sapience traditionnelle kabyle, il a ajouté et greffé l’apport de la culture universelle avec une harmonie qui élève le tout au rang de littérature originale. Et c’est à ce titre que ses pièces poétiques peuvent prétendre dignement à l’enseignement, dans nos classes. Depuis l’expression de la fougue amoureuse et les tabous entourant ce sujet, au cours du début des années 1970, jusqu’à la réflexion sur le sort de l’humanité et le sentiment de l’absurde dans ses derniers albums, en passant  par la chanson sociale et politique, notre poète a voulu dire l’homme dans toute sa dimension, sa nudité ses angoisses, ses illusions et ses espoirs. Certes « tout a été dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent », comme l’écrit La Bruyère. Cependant, «La parole, personne ne peut la tuer, mais l’homme est bien mortel. Quand elle explose, la parole va à la rencontre de ceux qui la cherchent. Mieux vaut sans doute parler.  Dis le mot avant qu’il ne soit trop tard’’, réplique Lounis. Exemple de self-made-man qui ne doit son nom qu’à un travail et un effort continus, Aït Menguellet est l’image de la Kabylie et de l’Algérie qui luttent pour des lendemains meilleurs, qui luttent contre toutes les formes d’entraves, y compris celles que nous nourrissons dans nos tréfonds et que, paradoxalement, nous sustentons.                        

Amar Naït Messaoud

Partager